Retraites de la fonction publique : regardez l’éléphant dans la pièce !
Dans un système par répartition, les pensions sont financées par les cotisations : en 2024, face aux 402,2 Mds € de prestations légales, on ne compte que 271,1 Mds € de cotisations. Le reste ? Ce sont 7,8 Mds € de subventions d’équilibre aux régimes déficitaires, 16,8 Mds € de cotisations des autres branches de la Sécurité sociale qui sont reversées aux retraites, 56,6 Mds € d’impôts et taxes affectées. Mais surtout ce sont 52 Mds € de subventions d’équilibre aux régimes de la fonction publique ce qui correspond à 14 000 € par retraité. Cette subvention qui n’est pas clairement identifiée et qu’a évoquée François Bayrou dans son discours de politique générale devra être au cœur du rapport de la Cour des comptes qui doit être rendu le 19 février prochain sur l’état financier de notre système de retraites. Espérons que ce rapport regarde enfin l’éléphant dans la pièce : le déficit du régime de retraite de la fonction publique et ses conséquences sur le déficit public. Espérons aussi que les partenaires sociaux, contrairement à leurs annonces, acceptent aussi de regarder l'éléphant dans la pièce.
Trop longtemps le diagnostic sur l’équilibre du système de retraite a reposé sur le rapport annuel du COR, instance composée de représentants des partenaires sociaux, des administrations et de députés et sénateurs qui ont renâclé à évaluer le poids de retraites publiques au sein du système de retraites. Ce refus s’explique aussi par l’organisation particulière du régime de retraite des fonctionnaires d’État : contrairement aux autres régimes, celui-ci n’est pas une caisse de retraite, mais un compte du budget général qui retrace les dépenses et les ressources afférentes aux pensions. Directement financé par le budget de l’État, ce compte d’affectation spéciale ne permet ni d’identifier un solde avant subvention d’équilibre ni un besoin de financement, laissant à penser que, contrairement aux autres régimes de retraite, le régime de la FPE serait équilibré.
Voici les chiffres que le rapport de la Cour doit d’urgence faire connaître aux Français à partir des résultats publiés par la commission des comptes de la Sécurité sociale pour enfin prendre conscience de l’état de notre système de retraite.
52,9 Mds de subvention d’équilibre aux régimes de retraite des fonctionnaires
La différence entre prestations et cotisations s’explique d’abord par la subvention d’équilibre qui abonde les régimes de retraite de la fonction publique. En effet, les cotisations - notamment l’employeur - qui financent les régimes de retraite des fonctionnaires ne peuvent pas être considérées comme de réelles cotisations étant donné leur niveau particulièrement élevé :
Salarié du privé | Fonctionnaire d’État | Militaire | Fonctionnaire local et hospitalier | |
Taux de cotisation salarié | 11,31% | 11,10% | 11,10% | 11,10% |
Taux de cotisation employeur | 16,58% | 74,28% | 126,07% | 31,65% |
Total | 27,89% | 85,38% | 137,17% | 42,75% |
On constate un écart de 57,49 points entre un salarié du privé et un fonctionnaire d’État, 14,86 points entre un salarié et un fonctionnaire local ou hospitalier. Dès 2025, ces écarts devraient d’ailleurs s’accroître, la LFSS pour 2025 ayant acté une augmentation de 4 points des cotisations employeur de l’État, des collectivités locales et hospitalières : la cotisation retraite totale passera ainsi à 89,38 % pour les fonctionnaires d’État, 141,17% pour les militaires et 46,75% pour les collectivités et hôpitaux. Pour ces derniers (collectivités et hôpitaux), c’est une hausse de 12 points qui est prévue au total jusqu’en 2028. Face aux protestations, l’État s’est engagé à en compenser une partie, ce qui va aggraver l’opacité du financement.
Il conviendrait de retenir comme cotisation les seules cotisations à hauteur de 28% comme dans le secteur privé qui est aussi le taux retenu depuis la réforme des retraites de 2014, comme un maximum pour assurer la soutenabilité du système de retraites et qui place la France parmi les pays de l’OCDE qui acquitte le plus de cotisations retraite, alors on doit considérer que les cotisations au-delà de ce seuil de 28% sont une subvention d’équilibre au régime de retraite. C’est d’ailleurs ce qui définit une subvention d’équilibre que d’équilibrer les charges de toute nature, ce qui n’est pas le cas d’une cotisation. Par exemple, en novembre 2013, le gouvernement avait pris un décret pour ajuster le taux de cotisation de 74,28% à 44,28% constatant que le flux de départ en retraite des fonctionnaires avait été moins élevé que prévu sur l’année, et les dépenses de pension par conséquent moins importantes.
Dans ce contexte, il est possible de reconstituer les versements aux régimes de retraite publics au-delà du taux de 28%. Ces contributions représentent :
- 39,5 Mds € pour les fonctionnaires d’État civils et militaires
- 4,6 Mds € pour les opérateurs
- 8,8 Mds € pour les collectivités locales et les hôpitaux
Soit 52,9 Mds € de subvention d’équilibre.
7,8 Mds € de subventions d’équilibre aux régimes spéciaux
S’y ajoute les subventions que l’État verse aux autres régimes spéciaux, essentiellement ceux des ex-entreprises publiques : celles-ci représentent 7,8 Mds €[1].
À noter que le PLFSS 2024 a modifié le schéma de financement des régimes spéciaux mis en extinction par la dernière réforme des retraites (et des anciens régimes spéciaux fermées). Désormais au lieu de recevoir une subvention d’équilibre de l’État, ces régimes seront équilibrés en dernier ressort par la CNAV qui percevra une compensation sous forme de fraction de TVA. Cette transformation s’appliquera aux régimes suivants : RATP, SNCF, Mines, Seita, régies ferroviaires d’outre-mer, Ortf, Chemins de fer d’Afrique du Nord, Industries électriques et gazières, clercs de notaire, Banque de France, CESE.
On peut cependant craindre que l’État décide de ne plus compenser intégralement la charge financière à la CNAV, comme c’est le cas par exemple pour les allègements de charges généraux sur les cotisations de retraite complémentaire dont la CNAV supporte 890 M€.
Impôts et taxes affectées pour 56,6 Mds € (entre parenthèses affectataire)
Taxe sur les salaires (CNAV) | C3S (CNAV) | Forfait social (CNAV) | Autres (CNAV) | Droits sur les alcools (MSA NS) |
9,6 | 5,2 | 6,6 | 1,8 | 2,6 |
CTA (CNIEG) | Divers (autres régimes de base) | CSG (FSV) | TVA (compens. Agirc-Arrco AGC) | Divers (autres régimes compl.) |
1,8 | 0,5 | 21,6 | 6,5 | 0,6 |
On compte 23,2 Mds € qui financent la CNAV qui sont essentiellement des impôts de production acquittés par les entreprises et qui pèsent sur leur développement.
La CSG est versée au FSV et sert à financer les prestations de solidarité du système de retraite
La TVA sert à financer les exonérations de charges décidées par l’État pour favoriser la compétitivité des entreprises, tout comme la taxe sur les salaires et la C3S qui sont des impôts de production. Il y a aussi les subventions que verse l’État au titre des exonérations ciblées ou non de cotisations pour 4,7 Mds €
Les autres impôts et taxes financent directement le déficit des régimes de retraite : La CTA sert à financer le déficit du régime des industries électriques et gazières ; les droits sur les boissons servent à financer le déficit du régime des non-salariés agricoles (MSA).
Enfin il y a 16,8 Mds € de transferts des autres branches des administrations sociales (CNAM, CNAF, Unedic, …)
- De l’Unedic vers l’Agirc-Arrco : 3,8 Mds € : ce versement couvre la validation des périodes de chômage par l’Agirc-Arrco ; il convient d’y ajouter 0,1 Md de l’Unedic vers l’IRCANTEC.
- Famille ; 10,9 Mds € : il s’agit de la prise en charge par la branche famille des majorations de retraite pour enfants et de l’AVPF
- Cnam : 1,1 Md € : cela représente la prise en charge par l’Assurance-maladie d’une fraction des cotisations retraite des professionnels et auxiliaires médicaux et de la prise en charge au titre du fonds amiante.
À ces transferts, il faut aussi ajouter les 783 M€ qui restent à la charge de la CNAV au titre de la non-compensation intégrale des exonérations de charge Agirc-Arrco.
Un système de retraites gravement en déficit
Ainsi, si on considère le solde du système de retraite avant subventions d’équilibre de l’État aux régimes de la fonction publique et aux régimes spéciaux et avant transferts des autres branches de la Sécurité sociale, il apparait en déficit de 82,6 Mds dont les trois quarts (60 Mds €) sont dus au déficit des retraites aux régimes spéciaux, et 52,9 Mds € à celui de la fonction publique. Cela représente un tiers du déficit de l’État (166 Mds en 2024).
On est loin de l’image d’un système des retraites à l’équilibre financier donnée par le COR dans ses rapports annuels. À cause d’une combinaison d’hypothèses économiques, démographiques et de conventions comptables, les rapports successifs du COR ont donné une image floue de la situation réelle de notre système de retraites, empêchant l’opinion publique de mesurer l’urgence d’agir. Ainsi, dans le projet de loi de réforme des retraites de 2023, la situation financière du système de retraite est rapidement évoquée : déficit de -0,4% du PIB en 2030 et -0,6% du PIB en 2040. Une telle situation signifie pourtant 264 milliards d’euros (2022) supplémentaires de déficit cumulé du système de retraites sur 17 ans[2].
Ce qui n’empêche pas les représentants des syndicats et une partie de la classe politique d’aborder la discussion initiée par le Premier ministre autour de l’avenir de notre système de retraites en évacuant la question des retraites publiques et en posant comme préalable la suppression du report de l’âge légal de 62 à 64 ans, ce qui devrait contribuer à enfoncer encore un peu plus le solde financier du système de retraite.
Conclusion
En même temps que le diagnostic sur l’état financier de notre système de retraites, c’est à une opération vérité sur les comptes publics que la Cour des comptes doit se livrer :
- Les cotisations d’équilibre des fonctionnaires doivent être redéfinies : assimilées pour leur totalité à des cotisations, elles sont considérées comme de la masse salariale du public et contribuent à rehausser la valeur ajoutée des branches non marchandes et donc le PIB. Les dépenses de pensions des fonctionnaires d’État ainsi que les recettes qui les financent doivent être retracées dans une caisse et non un compte du budget général. Cette caisse doit être rattachée aux administrations sociales pour plus de transparence des comptes publics.
- Comment croire que le solde des administrations sociales est à l’équilibre (loi de fin de gestion 2024 à 0% du PIB) alors que la France est le premier pays en Europe en dépenses de protection sociale en % de PIB ? Ce solde est en particulier inadapté à refléter l’ensemble des dépenses de retraites puisque puisqu’il est voté après transferts de l’État, et que ces transferts ne sont jamais discutés à l’occasion de la loi de financement de la Sécurité sociale, mais sont votés dans le PLF ?
- Dit autrement, cela signifie que les soldes sur lesquels votent les parlementaires en LFSS ne veulent rien dire et que seule une présentation qui identifie les transferts est en mesure de donner la contribution réelle des retraites au déficit public.
- Quant au rapport annuel du COR, il doit présenter l’ensemble des transferts qui financent les dépenses de retraite (pourtant clairement identifiés dans les comptes de la Sécurité sociale), l’ensemble des impôts et taxes affectées en rappelant les dépenses qu’ils sont censés couvrir et présenter un solde du système de retraite avant transferts.
Ces opérations sont indispensables pour expliquer l’urgence à agir et faire comprendre aux Français que notre système de retraite ne peut pas se payer le luxe d’un retour à 62 ans.
[1] Il conviendrait de rajouter 530 M€ de cotisations retraite de la Banque de France que celle-ci retranche du dividende à verser à l’État.
[2] Les chiffres cités ici sont ceux du rapport de 2022 Et encore, cette dette doit s’entendre au prix d’un recul de la pension relative
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