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Retraites : la Cour des comptes face à ses contradictions

À la veille de la remise du rapport flash de la Cour des comptes sur le déficit des retraites, la question que tout le monde se pose est : les magistrats de la rue Cambon vont-ils retenir une présentation du déficit des retraites telle que le fait le COR chaque année dans son rapport annuel avec un déficit - estimé à 6 Mds € en 2024 uniquement pour les régimes de base - et à 10 à 15 Mds € en 2030 tous régimes confondus ? Où vont-ils enfin mettre le doigt sur le déficit réel du système de retraites et dire que les subventions d’équilibre qui abondent les régimes spéciaux, en premier lieu celui de la fonction publique, sont bel et bien le financement d’un déficit ? 

Dans une note intitulée Retraites de la fonction publique : regardez l’éléphant dans la pièce, nous mettions en évidence 52 Mds € de subventions qui correspondent aux cotisations retraites des agents publics au-delà du taux constaté dans le secteur privé. A cela s’ajoutent 7,8 Mds de subventions pour les régimes spéciaux. Quel traitement la Cour va-t-elle réserver à ces subventions d’équilibre dans son rapport ?

Dépenses de pensions 2024402,2 Mds €
Recettes 
Cotisations271,1 Mds €
Impôts et taxes affectées56,1 Mds €
Transferts des autres branches de SS17,6 Mds €
Subvention d’équilibre aux régimes spéciaux7,8 Mds €
Subvention d’équilibre aux régimes de la FP52,9 Mds €

Il semblerait que la Cour des comptes ait fait son choix en adoptant la présentation du Conseil d'orientation des retraites (COR) et à laquelle les partenaires sociaux sont vivement attachés. Ces subventions seront intégralement considérées comme des cotisations conduisant à minimiser le déficit réel. Il est évident que l’urgence de réformer le système de retraites ne sera pas perçue de la même façon si le déficit est affiché à 10 Mds € en 2030 ou plutôt 40 Mds €[1]. En validant cette présentation, la Cour va ainsi sérieusement faire pencher le débat public : si le système de retraite est affiché à l’équilibre en 2024, ou proche de l’équilibre, avec un déficit limité en 2030, comment s’opposer à une annulation du report de l’âge de 62 à 64 ans ? On mesure donc la responsabilité immense que la Cour des comptes va endosser dans ce débat qui risque de rouvrir la boîte de Pandore de l’âge légal de départ à la retraite.

On n’est cependant pas trop surpris de cette position : reconnaître que les subventions d’équilibre sont en fait un financement du déficit des régimes spéciaux, au lieu d’un « équilibre conventionnel » présenté année après année, serait un aveu de cécité de la Cour qui a fait l’impasse sur cette présentation dans tous ses rapports publics ces vingt dernières années. 

Dans son rapport de 2016, sur le régime de la fonction publique, la Cour expliquait que « les deux régimes de la fonction publique se différencient surtout de leurs homologues du secteur privé par la part très prépondérante des cotisations sociales dans leur financement ». Comment ne pas remettre en cause la nature même de cotisations quand celles-ci s’élèvent à 85% du traitement brut pour les fonctionnaires civils d’État (cotisations employeur et employé), 42 % pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers et même 137% pour les militaires ? Reconnaître la nature de subventions de ces cotisations, lorsqu’elles excèdent le niveau des cotisations du secteur privé, serait en particulier reconnaître la question du poids des retraites des fonctionnaires dans le déficit public.

Cette présentation convient d’ailleurs aux partenaires sociaux, en particulier les représentants des syndicats de salariés, qui y voient l’occasion de nuancer le déficit de la branche retraite. Il est d’ailleurs notable que tous les représentants invités au conclave lancé par François Bayrou aient demandé que la question des retraites des fonctionnaires soit exclue du débat.

Cette position est résumée par François Hommeril, représentant CFE-CGC : les retraites des fonctionnaires ne sont pas des retraites par répartition[2], elles n’ont pas à figurer à l’ordre du jour d’un débat sur l’équilibre futur des retraites ; elles sont financées par le budget de l’État grâce aux impôts. La vision de M. Hommeril soulignant le financement par l’impôt est sans doute plus proche de la vérité que celle de la Cour parlant de financement par cotisation

Cette présentation est lourde de conséquences :

  • Régulièrement les rapports publics déplorent la paupérisation de la fonction publique liée aux exigences d’économies pour redresser le déficit public. Mais si les investissements sont bloqués, si les salaires sont gelés[3], c’est avant tout à cause du coût du financement des retraites publiques qui vampirise les autres dépenses publiques (dont au premier chef les dépenses strictement salariales). Ce point est par exemple essentiel pour les dépenses militaires à l’heure où jamais l’investissement dans la défense n’a été aussi important : les dépenses de retraites militaires représentent 9,5 Mds € sur 56,8 Mds € de crédits de défense. C’est près 0,3% du PIB ce qui est loin d’être négligeable quand on sait la difficulté que la France a à hisser ses dépenses militaires à hauteur de 2% du PIB de façon pérenne[4].

  • La présentation conventionnelle qui consiste à dire que les régimes du public sont à l’équilibre sans jamais dire qu’ils sont subventionnés par l’impôt laisse les agents publics croire de bonne foi que seuls les régimes du privé doivent faire des efforts. Elle sape toute tentative de réforme alors que des efforts de rapprochement devraient être faits sur de nombreux sujets : catégories actives, retraite de réversion sans condition de ressources et autres avantages familiaux.

Si demain, la Cour des comptes, dans son rapport sur l’état financier du système de retraites et ses perspectives à moyen terme, écarte une présentation du déficit réel des retraites, alors il faudra bien qu’elle explique que ce sont les cotisations/subventions d’équilibre financées par l’impôt qui permettent de payer les retraites du public et qu’elle en explique le poids dans les dépenses de l’État. Sinon son message d’alerte sur la situation des finances publiques restera une vaine sommation.

Les conséquences en comptabilité nationale des surcotisations

Il faudra que la Cour des comptes explicite pourquoi ces surcotisations sont classées dans les dépenses de personnel et non dans les transferts aux ménages. La raison en est l’incidence de cette présentation dans le niveau de la valeur ajoutée du secteur public et donc sur le montant du PIB. Une occasion a été manquée de changer cette présentation à l’occasion de la bascule de la comptabilité nationale en base 2020 en mars 2024, ce qui aurait permis de recalculer le niveau du PIB en séries longues. S’agissant du montant des P.O., leur niveau d’après Eurostat et l’OCDE baisserait en convergeant vers l’estimation de l’INSEE, puisque les cotisations sociales imputées baisseraient symétriquement. Néanmoins, les P.O. sous "présentation INSEE" augmenteraient en fonction du traitement réservé aux cotisations employeurs de l'Etat, soit d'un montant similaire à celles du secteur privé (le reste basculant dans les transferts), soit de l'intégralité des cotisations employeurs si celles-ci n'étaient plus traitées comme de la masse salariale publique. L'augmentation des P.O. serait alors massive "en format INSEE" de l'ordre de 2 points de PIB. Mais la situation serait alors clarifiée. Ces corrections comptables étant effectuées, les préventions seraient moins grandes à transformer le CAS Pensions en caisse de retraite de plein exercice, propre à être basculée dans les ASSO et classée au sein de la branche vieillesse du ROBSS, parmi les régimes de base à l'instar de la CNRACL et de l'Ircantec.

 

 

 

 


[1] Une partie de la subvention d’équilibre correspond au financement des dépenses de solidarité du système de retraite des agents publics, dépenses de solidarité qui pour le privé sont financées par des transferts des autres branches de la Sécurité sociale. Ce qui nous conduit à réduire le montant du déficit à retenir.

[2]  Or les pensions publiques sont pourtant bien soumises aux réformes paramétriques des conditions d’âge pivot et de durée de cotisation. Si l’on poussait cette logique jusqu’au bout et faire des retraites publiques de simples traitements d’inactivité, leur évolution pourrait être déconnectée, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent. 

[3] On parle surtout ici du gel du point d’indice

[4] Elle n’est encore qu’à 1,6% du PIB hors contributions au CAS Pensions. Voir https://www.fipeco.fr/fiche/Les-d%C3%A9penses-militaires