Les retraites « sans totem, ni tabou »… vraiment ?

François Bayrou veut des discussions sur les retraites « sans totem, ni tabou ». Chiche, répond Agnès Verdier-Molinié, en soulignant le poids du déficit des retraites du public et l'intérêt d'une part de capitalisation obligatoire.
Cette tribune a été publiée dans les Echos, le 4 mars 2025 |
Tabou : 20 milliards de taxes de production pour financer les retraites. Une grosse partie des fameuses taxes de production qui pèsent sur la compétitivité de nos entreprises ont été créées pour financer la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Le forfait social, pour 6,4 milliards d'euros par an ? Il finance la CNAV. La C3S, pour 4,8 milliards d'euros ? La taxe sur les salaires, pour 9 milliards d'euros ? Elles financent la CNAV aussi. Quand on parle du manque de compétitivité de nos entreprises à cause de la cinquantaine de milliards d'euros de taxes de production qu'elles paient en plus par rapport à leurs homologues de la zone euro, 20 milliards de ces taxes financent la vieillesse.
Totem : 28 milliards d'allégements de charges. Le « conclave » de nos partenaires sociaux commence. Certains, en l'occurrence Force ouvrière, sont déjà partis. D'autres dégainent la solution simpliste de supprimer les allégements de charges des entreprises (sur les bas salaires, l'apprentissage, les chômeurs, les porteurs de presse, les stagiaires…) qui amputent d'environ 28 milliards par an les recettes des caisses de retraite.
Mais c'est oublier que ce que les entreprises ne financent pas d'un côté avec ces allégements de charges, elles le versent de l'autre avec les diverses taxes évoquées sur leur production. La solution à l'équation des retraites ne peut pas être de charger toujours plus la mule de nos entreprises. Aller vers plus de cotisations alors que celles-ci sont déjà parmi les plus élevées d'Europe ? Quand nous sommes à 28 % de taux de cotation retraites, les Allemands sont à 18,6 % ou les Suédois à 24,3 %.
Question de la capitalisation obligatoire
Tabou : 10 à 15 milliards de déficits des pensions publiques en 2025. La Cour des comptes n'a pas voulu reconnaître que nous surpayons tous les ans un déficit non affiché des pensions de ses agents. La Cour reconnaît en revanche 6,6 milliards de déficit 2025 tous régimes confondus Si l'on estime, toutes choses égales par ailleurs, le déficit réel des pensions publiques, on aboutit à entre 10 et 15 milliards d'euros en 2025. Environ deux fois le déficit des retraites privées. Deux fois le déficit du privé alors que, sur 18 millions de retraités, environ 4,2 millions sont des retraités du secteur public ! Cherchez l'erreur.
Totem. L'âge de départ à 64 ans. Tout le monde à l'air de vouloir sa peau. Même la CPME a fait un « bougé », comme on dit maintenant. Son nouveau président Amir Reza Tofighi a proposé une indexation de l'âge de départ à la retraite sur l'espérance de vie. Il a oublié de dire dans la foulée que si on appliquait cette proposition à la France, on ne serait pas à 64 ans mais plutôt 66 ans, voire 67 ans ! Si on fait le tour d'Europe des pays qui appliquent le principe de l'ajustement automatique de l'âge de départ à la retraite en fonction de l'espérance de vie, on trouve le Danemark, dont l'âge légal atteindra 69 ans en 2035, les Pays-Bas, qui sont déjà à 67 ans, la Finlande (67 ans en 2030), l'Italie (67 ans) et le Portugal (66 ans et 7 mois).
Tabou : la capitalisation obligatoire. Parmi ces pays, les Pays-Bas notamment, ont une part de capitalisation obligatoire dans leur système de retraite. Cela non plus, la Cour des comptes n'en parle quasi pas dans son rapport. Elle évoque très pudiquement le fait que nos agents publics bénéficient sur leurs primes d'un « régime additionnel de la fonction publique, qui repose sur une logique de capitalisation, dispose de 43,3 milliards d'euros de provisions ». Sans dire dans ses scénarios que ce serait une bonne piste d'envisager la capitalisation obligatoire - aussi ! - pour les salariés du privé.