Actualité

Rapport de la Cour des comptes : notre système des retraites nuit à l’emploi et à la compétitivité

La Cour des comptes a livré le 2e volet de sa communication au Premier ministre sur notre système de retraites. Elle se penche sur les effets sur la compétitivité et l’emploi. La Cour ne prend pas position sur les réformes à entreprendre bien qu’elle documente largement les destructions d’emploi qu’entrainerait une hausse des cotisations. Elle rappelle surtout quelques vérités à propos de notre système de retraite : l’âge effectif de départ à la retraite dans notre pays est inférieur à la plupart des autres pays européens, la France se situant au 22e rang des 27 États membres de l’Union européenne. Le système de cotisations avec des exonérations centrées sur les bas salaires entraîne un coin sociofiscal parmi les plus hauts en Europe sur les salaires moyens et élevés, ce qui freine la réindustrialisation de notre pays. Dans sa conclusion, la Cour insiste pour la prise en compte des indicateurs démographiques pour fixer les paramètres d'indexation des retraites, s’appuyant sur les nombreuses réformes dans ce sens dans les autres pays européens. Une réflexion que le conclave sur les retraites serait bien inspiré de reprendre plutôt que de discuter d’un improbable retour à la retraite à 62 ans.

L’impact du système de retraites sur le taux d’emploi et la productivité

Le rapport sort d’une analyse purement comptable pour faire la synthèse de travaux de recherche sur les effets du système de retraite sur la compétitivité et l’emploi. Selon la Cour, les études économiques montrent que le taux d’emploi des seniors est directement lié à l’âge de départ à la retraite. Les mesures de recul de l’âge de la retraite (à 63, 65 ou 67 ans) décidées en Allemagne ou en Italie ont ainsi entraîné une augmentation du taux d’emploi des seniors. Ces pays ont également mis en place des politiques publiques favorables au maintien des seniors dans l’emploi. En France aussi, le taux d’emploi des seniors a bel et bien progressé depuis 1993, rappelle la Cour, et ce en dépit ou plutôt grâce aux différentes réformes des retraites. Au cours de la décennie 2010, l’âge moyen de départ à la retraite a augmenté d’un peu plus de 2 ans, passant de 60,4 à 62,6 ans. Dans le même temps, la durée passée en emploi après 50 ans s’est allongée de 1,7 an, ce qui a entraîné une hausse du taux d’emploi des hommes âgés de 55 à 64 ans de plus de 13 points et du taux d’emploi des 60 à 64 ans de 14,5 points entre les générations 1946-1950 et 1956-1960. 

Mais la France affiche toujours un taux d’emploi inférieur à la moyenne de la zone euro, notamment du fait d’un faible taux d’emploi des hommes de 60 ans et plus. Si le taux d’emploi des personnes de 55 ans et plus a progressé pour retrouver le niveau des années 1980, l’écart avec nos partenaires européens qui ont, eux aussi, connu une importante progression de leur taux d’emploi n’a pas été comblé. Ainsi la France reste à la traîne comparée à l’Allemagne : 40% de l’écart de taux d’emploi total entre les deux pays s’explique par la participation des seniors au marché de l’emploi (+ 3,6 points sur l’écart constaté de + 8,8 points). Même l’Italie et l’Espagne, qui affichent un taux d’emploi inférieur à la France principalement en raison d’une plus faible participation des femmes en emploi, présentent une part de seniors hommes en emploi plus élevée qu’en France. 

La Cour souligne aussi le manque de productivité en citant le rapport de Mario Draghi. Cet enjeu est particulièrement prégnant pour la France, nous dit la Cour qui souffre d’une dégradation de sa compétitivité hors coût, c’est-à-dire d’un positionnement en milieu de gamme de ses exportations, tandis que les écarts d’évolution des coûts salariaux avec nos principaux partenaires se seraient résorbés, voire inversés, particulièrement dans le bas de l’éventail des rémunérations. On constate cependant avec le tableau suivant que l’écart demeure avec l’Allemagne à plus de 4,7 points de PIB, et de plus de 3 points avec l’Espagne et l’Italie, ce qui appelle tout de même à prendre des mesures de réduction de l’écart, si notre pays ne veut pas continuer à décrocher.

Le système de retraites français comparé à nos principaux partenaires européens

Le système de retraites français continue de permettre un départ à la retraite précoce comparé aux autres pays européens. En moyenne, les Français partent ainsi à la retraite à 62 ans et 8 mois en 2022, soit un an plus tôt que la moyenne européenne (63 ans et 7 mois). L’âge effectif de départ à la retraite dans notre pays est inférieur à la plupart des autres pays européens, la France se situant au 22e rang des 27 États membres de l’Union européenne. Environ 25 % des nouveaux retraités français partent avant l’âge de 62 ans, notamment grâce au dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. 

Le surcroît de dépense publique française en matière de retraite par rapport à la moyenne des pays de la zone euro représentait plus de 66 Md€ en 2022. L’écart est de 118 Md€ par rapport à l’Allemagne. La Cour a décomposé l’écart de dépenses des retraites en part de PIB entre la France et l’Allemagne. Ce n’est pas la différence de situation démographique qui explique cet écart. Il est s’explique quasiment à parts égales par la différence de richesse entre la France et l’Allemagne (1,9 point de PIB) et à des dépenses de retraite rapportées à la population de plus de 65 ans plus élevée en France (2,2 points de PIB). Le niveau relatif des pensions y est notamment plus élevé qu’en Allemagne.

L’impact du financement du système des retraites 

Le constat dressé dans cette partie est particulièrement critique pour notre système social. Si la Cour dit qu’il est difficile de comparer les taux de cotisations retraite entre pays (différence entre taux facial et exemption, pension non contributive en partie financée par l’impôt, assiette de cotisation différente …) elle rappelle que notre système de retraites est financé aux deux tiers par des cotisations sociales assises sur la masse salariale et qui ont par conséquent un impact sur le coût du travail : 259,6 Md€ des 396,9 Md€ qui lui sont affectés en 2023.

De plus sur les 137 Md€, 57 Md€ correspondent à des impôts et contributions affectés (dont 9 Md€ sont également assis sur les salaires versés via la taxe sur les salaires et 6,4 Md€ de forfait social assis sur les compléments de salaire). Sur ce point la Cour oublie la C3S (4,8 Md€) qui pèse sur le chiffre d’affaires des entreprises et qui finance la CNAV. Il y a aussi la CSG sur les revenus d’activité (10,7 Md€) qui transitent par la CNAF pour financer les revenus de solidarité du système de retraite. L’impact sur les entreprises du financement du système de retraites est donc massif.

Pour la Cour, ce qui caractérise le financement du système de retraites, c’est le taux facial élevé des cotisations retraite, parmi les plus élevés avec l’Italie des pays européens, et des cotisations prélevées au-delà du plafond de la Sécurité sociale jusqu’à des niveaux de salaire importants correspondant à huit fois ce plafond (330 000 €).

Ce taux facial élevé est minoré par des allégements de charges, ciblés sur les bas salaires, ce qui fait que le taux global des cotisations employeur au niveau du SMIC a ainsi été abaissé de 45 % en 1993 à 6,9 % en 2024. D’ailleurs, près des deux tiers des salariés français étaient éligibles à la réduction générale dégressive des cotisations et contributions sociales applicable aux salariés ayant une rémunération annuelle inférieure ou égale à 1,6 fois le SMIC. Ces allégements de cotisations patronales sont estimés à 75 Md€ en 2023, dont 20,4 Md€ spécifiquement en retraite (13,2 Md€ pour le régime général et 7,2 Md€ pour les régimes complémentaires). 

Mais ce que dénonce la Cour, c’est que, compte tenu de leur ciblage sur les bas salaires, ces allégements bénéficient relativement moins aux secteurs exposés à la concurrence internationale, notamment l’industrie et les services aux entreprises. L’impact de ces dispositifs sur la compétitivité coût est donc limité, même si la baisse du coût du travail peu qualifié bénéficie indirectement aux entreprises exportatrices via leurs consommations intermédiaires. 

En revanche, les dispositifs d’allégement de cotisations sociales entraînent une augmentation progressive de la part des salaires compris entre 1 et 1,6 fois le SMIC. Et la concentration dans le bas de l’éventail des rémunérations induit une croissance peu dynamique des recettes de cotisations sociales.

Surtout, la combinaison de taux de cotisations élevés et d’allégements de charges concentrés sur les salaires inférieurs conduit à une différence entre le coût du travail pour l’employeur et la rémunération nette pour le salarié (appelée « coin fiscalo-social ») parmi les plus faibles des pays de l’UE au niveau du salaire minimum, mais parmi les plus élevées pour les salaires moyens et élevés. Et, les entreprises exportatrices, en particulier dans l’industrie manufacturière, sont plutôt intensives en qualifications moyennes et élevées qui ne bénéficient pas ou peu des allégements existants. Le système de retraite freine donc le processus de réindustrialisation. Ce n’est pas la Cour qui le dit, mais ce que nous pouvons en conclure de ces affirmations.

La France est le seul des quatre pays étudiés à prélever des cotisations retraite au-delà d’un salaire brut de 120 000 €. De ce fait, les cotisations retraite pour un salarié français deviennent supérieures à celles dues pour un salarié italien à partir d’un salaire brut de 140 000 €, l’écart dépassant 50 000 € par an à 329 000 €.

On peut rétorquer que ce niveau de prélèvement a pour contrepartie des droits à retraite, mais la Cour reprend une donnée plusieurs fois mise en avant par la Fondation IFRAP à savoir que 37,3 % des cotisations sont non-créatrices de droits pour la part des rémunérations comprises entre 1 et 8 Pass. En clair cela signifie qu’une grande part des cotisations au-delà du plafond de la Sécurité sociale finance les mécanismes de solidarité et l’équilibre des comptes des régimes complémentaires. 

Les effets sur l’emploi et la compétitivité des principaux leviers de réforme

La Cour termine son rapport par l’analyse des principaux leviers de réforme et leurs effets sur l’emploi. Elle ne prend pas position, mais on notera que les effets sur l’emploi d’un rehaussement des cotisations sont le levier sur lequel les destructions d’emploi sont les plus massives et aussi les mieux renseignées.

Voir l'image en plus grand
Source : DG Trésor, retraitements Cour des comptes Lecture : Au bout de 10 ans (en 2034) après une hausse de 1 point (7 Md€ 2025) des cotisations sociales employeurs, les exportations en volume seraient inférieures de 0,3 % et l’emploi salarié de 87 000 postes par rapport à un scénario sans une telle hausse de cotisations sociales.

À l’inverse, une hausse de l’âge effectif de départ à la retraite a un impact positif sur le taux moyen d’emploi, rappelle la Cour qui souligne cependant que pour les ouvriers, les personnes ayant des difficultés de santé et les femmes, le recul de l’âge de départ à la retraite se traduit aussi par des temps passés ni en emploi ni en retraite un peu plus importants. La Cour en conclut qu’il faut des mesures adaptées pour ces populations. Mais il faut en tout cas rappeler que l’augmentation moyenne du taux d’emploi permet une augmentation des ressources du système de retraite qui rendra possible des mesures d’accompagnement.

Dernier levier examiné par la Cour : l’indexation des retraites. Dans son rapport de février 2025, la Cour avait estimé qu’une indexation des pensions inférieure d’un point au taux d’inflation permettrait une économie de 2,9 Md€ en 2025 pour le système de retraites. Mais ce système comporte certaines limites : lorsque la croissance est positive, une telle règle conduit à ralentir l’évolution des pensions, car les salaires vont évoluer beaucoup plus rapidement que les prix. Mais quand la croissance ralentit, l’évolution des pensions se rapproche de celle des salaires, voire peut, dans certains cas exceptionnels de forte inflation, être plus favorable que celle des salaires.

Plusieurs pays valorisent les pensions comme les salaires ce qui a l’avantage d’une meilleure cohérence entre niveau de vie des retraités et des actifs. Il faut cependant des garde-fous notamment quand la croissance est forte et que les salaires sont plus dynamiques que l’inflation. C’est pourquoi les pays qui choisissent d’indexer les pensions sur les salaires prévoient de moduler cette indexation par un facteur de soutenabilité visant à tenir compte du nombre d’actifs par retraités et de l’effort demandé aux actifs.

C’est ce qui a été fait en Allemagne, avec une indexation sur les salaires moyens, ajustée par un facteur de soutenabilité (Nachhalitgkeitsfaktor) : lorsque le nombre de retraités par rapport aux cotisants augmente, le taux d’indexation diminue. Soulignons que la plupart des pays qui ont opté pour cette solution ont également prévu d’interdire que cette solution conduise à une baisse en valeur absolue des pensions sur une année donnée. Ainsi, en Allemagne, la clause de protection prévoit que, si l’application du coefficient correcteur de soutenabilité implique une baisse des pensions, celle-ci est lissée sur les années suivantes. Un mécanisme comparable a été mis en place par les partenaires sociaux pour l’évolution des retraites complémentaires (Agirc-Arrco) qui doit permettre des adaptations aux évolutions démographiques et aux circonstances économiques, afin de maintenir l’équilibre des retraites. 

Conclusion

Cette solution pourrait être appliquée au régime général et même à l’ensemble des régimes de retraite. Elle a l’avantage de maintenir le système de retraites à l’équilibre. Les partenaires sociaux qui participent au conclave sur les retraites seraient bien inspirés de faire cette proposition au Premier ministre et à la représentation nationale plutôt que de rester bloqués sur un éventuel retour à la retraite à 62 ans. Car la priorité c’est de ramener le système de retraites à l’équilibre financier comme l’a largement documenté dans le premier volet du rapport de la Cour. La seule solution qui s’impose à la lecture de ce rapport est la poursuite du report de l’âge pour atteindre les 66 ans.