Retraites : pour réformer, il faut restaurer la confiance
Le Gouvernement reste attaché à préparer une réforme des retraites, difficile à comprendre pour la majorité des Français et éloignée de leurs préoccupations essentielles. Une réforme qui, au surplus ne va rien apporter à court terme de positif sur le financement et l’équilibre de nos régimes de retraites. En effet, le haut-commissaire à la réforme des retraites a réaffirmé que l'âge légal resterait fixé à 62 ans, alors que la ministre chargée des Solidarités, Agnès Buzyn, s'était déclarée ouverte, à titre personnel, à un possible report à 65 ans.
Dès lors, en l’absence de directives gouvernementales, des mesurettes sont prises pour tenter de rétablir des équilibres financiers, ponctuels mais fondamentalement inatteignables dans la durée, en particulier par les partenaires sociaux pour les salariés du privé sans aucune cohérence, avec les autres régimes. Il est donc urgent que le gouvernement reprenne la main opérationnellement et fixe avant fin 2019 des lignes directrices aux différentes caisses de retraite pour une mise en œuvre au 1er janvier 2020 de mesures opérationnelles communes à tous les régimes, capable de redonner de l'air au système de retraite (voir note de la semaine dernière).
L’évolution alarmante de la démographie, la baisse de la natalité, la croissance en berne et le chômage qui refuse de reculer, nécessitent une prise de conscience urgente de tous les acteurs sur l’absolue nécessité de recomposer le paysage actuel des retraites, de la santé, de la dépendance. La France comme l’Allemagne sont confrontées, comme la plupart des pays européens, à un vieillissement important de leur population (réf. pour la France, Insee, la France en chiffres, édition 2017).
France/Allemagne des constats identiques mais des solutions différentes
En Allemagne
- Le mix répartition-capitalisation est modifié. La part de la première se réduira pour assurer une retraite moyenne nette proche de 1.000 € par mois pour une carrière de 42 ans. En complément, sur une base volontaire, est mis en place un nouveau système de retraites d’entreprises et en parallèle est développé un nouveau système d’épargne individuelle pour la retraite ;
- Lors de la réforme des retraites de 2002, il y avait un fort consensus de l’État, des syndicats et du patronat pour garantir un niveau de retraite décent tout en limitant le coût pour les entreprises autour de 20% des rémunérations afin de ne pas handicaper la compétitivité des entreprises, même si la dernière coalition allemande a dû faire des concessions pour revaloriser les petites retraites et a envisagé de porter les cotisations à 22% des rémunérations. Décisions d’autant plus courageuses que la réunification de 1989 avait alourdi la facture et avait obligé le gouvernement allemand à remettre à niveau les pensions des régions de l’Est ;
- En contrepartie les Allemands ont accepté de porter progressivement l’âge de la retraite à 67 ans.
En France
C’est tout le contraire car l’exécutif :
- Semble vouloir donner une place encore plus importante aux retraites par répartition en laissant une part très résiduelle aux retraites par capitalisation (entreprises /souscriptions individuelles) ;
- Décrète même avant les premières concertations que l’âge légal de la retraite restera fixé à 62 ans alors que c'est la variable fondamentale qui permettrait d’améliorer l’équilibre de nos retraites ;
- Ne semble pas se soucier du dérapage à la hausse du montant des cotisations retraites décidé par les uns et les autres pour équilibrer tel ou tel régime.
Un exemple du dérapage des cotisations : le nouveau régime Arrco issu de la fusion Arrco et Agirc pour les salariés du privé
Au 1er janvier 2019 les régimes Agirc et Arrco ont été fusionnés, la caisse des cadres devenant structurellement déficitaire, s'adossant au régime des non cadres disposant d’un peu plus de réserves qui est venu sauver celui des cadres. Le régime des 4 millions de cadres cotisants a donc été rayé de la carte après plus de 70 ans d’existence par accord des partenaires sociaux.
Selon les Cahiers de la Retraite Complémentaire n°74 du 4e trimestre 2018, le nouveau régime regroupe 18 millions de salariés cotisants et 12,6 millions de retraités soit déjà 0,7 retraité pour 1 actif. À noter que si le nombre des actifs progresse peu celui des retraités "explose". En conséquence des mesures de redressement prises par les partenaires sociaux pour essayer d’équilibrer ce régime, mesures qui paraissent désespérées :
- Les taux de cotisations (jusqu'à 1 PASS) atteignent aujourd'hui 10,02% pour les retraites complémentaires, soit le tiers des 27,7% de cotisations retraites totales (régime de base et régimes complémentaires). Il est surprenant de constater que 41% des cotisations versées par un salarié et son employeur au titre de la retraite complémentaire pour une rémunération brute de 40.524 € (PASS 2019) ne donnent aucun droit à retraite. Ces subventions aux régimes sans contrepartie de droits augmentent puisqu'en 2018 elles n’étaient que de 36% [1] ;
- La définition historique de l’encadrement a disparu avec la fin du régime Agirc et la négociation qui devait aboutir à une nouvelle définition patine. Ce retard s'explique en partie par les réticences du Medef à vouloir retenir une définition interprofessionnelle. Le syndicat patronal est soucieux de clarifier le sort du dispositif obligatoire de prévoyance prévu par l'accord historique des cadres du 14 mars 1947 (cotisation de 1,5% obligatoire) et de confirmer que ce dispositif continuera de bénéficier de l'exonération de cotisations sociales ;
- La Garantie Minimum de Points (GMP) au bénéfice des salariés dont le salaire est inférieur au plafond de la sécurité sociale est elle aussi supprimée ;
- Un nouveau système de bonus/malus négocié depuis plusieurs années rend encore plus aléatoire et incompréhensible l’âge de départ à la retraite. Il semble déjà remis en cause par certains syndicats. Cette mesure contribue à rendre encore plus flou le concept d'âge de départ à la retraite qui varie actuellement en France selon les professions (entre 52 ans pour la police, l'administration pénitentiaire, les conducteurs de trains, jusqu'à 67 ans pour la plupart des professions libérales), ou selon les régimes (les salariés du privé pour percevoir la totalité de leur retraite sur leurs cotisations Tranche 3 doit partir à 65 ans).
En fait l’âge légal de la retraite n’a plus aucune signification compte tenu des mesures correctives prises par les différents régimes, chacun dans son coin, pour essayer d’équilibrer ses comptes. On ne peut donc qu’être inquiet devant ces mesures ponctuelles, de court terme, prises par les partenaires sociaux pour tenter d’acheter une paix sociale, avec au surplus des comptes qui laissent perplexes :
- Pour 2017 on note un résultat exceptionnel de 900 millions d’€ suite à la cession en nue-propriété d’un patrimoine immobilier de 6,2 milliards € par la Foncière Logement qui en garde l’usufruit pendant 30 ans ;
- Pour les comptes 2018 on annoncerait près de 2 milliards d’amélioration des comptes du fait de 1,3 milliard d’allocations versées en moins et 900 millions de ressources supplémentaires (régularisation de cotisations et meilleure conjoncture).
Dernier point, rappelons que le montant des retraites versées par le régime Arrco n’est pas garanti. Seul le nombre de points acquis est garanti mais la valeur du point peut baisser. Donc les retraites versées par l’Arrco peuvent baisser même après leur liquidation. C’est ce que rappelle François Charpentier – spécialiste des questions sociales - dans son ouvrage sur les Retraites Complémentaires (Economica page 96) : "si le mode de calcul des avantages est fixé, leur montant en francs n’est pas garanti. Les retraités et futurs retraités n’imaginent pas… que des retraites puissent être réduites au cas où les cotisations prévues seraient insuffisantes pour en maintenir le montant".
Conclusion
Fondamentalement, la grande réforme des retraites à la "française" envisagée par l’exécutif, repose plus sur des concepts et débats intellectuels : systémique ou paramétrique, comptes notionnels ou comptes en points… difficiles à comprendre pour la majorité des Français et bien loin de leurs préoccupations essentielles.
Elle ne va rien apporter de positif dans les années à venir ni sur l’amélioration du service aux assurés sociaux ni sur le financement et l’équilibre de nos régimes de retraites. Rappelons-nous par exemple, que les seuls engagements de retraite à la SNCF fin 2017 étaient évalués à 159 milliards €…
Il est donc urgent que le gouvernement reprenne la main opérationnellement et fixe avant fin 2019 des lignes directrices aux différentes caisses de retraite pour une mise en œuvre au 1er janvier 2020 de mesures destinées à redonner de l'oxygène au système de retraites (voir note de la semaine dernière).
[1] Source : Simulations de Freddy Guiot, associé fondateur de KPF HD.