Retraites : le gouvernement se prend les pieds dans le tapis
Deux incidents récents viennent nous rappeler la difficulté du pilotage des dépenses de retraite, en raison de la complexité du système, avec ses différents régimes de base et complémentaires. En voulant différencier les conditions d'assujetissement à la CSG ou les taux d'indexation des prestations de retraite en fonction du niveau de revenu pour préserver les "petites retraites", le gouvernement s'est pris les pieds dans le tapis. Ce n'est pas la première fois que ce genre de mesure de "justice fiscale" se transforme en fiasco administratif. La réforme des retraites de 2019 avec son objectif de parvenir à un régime unique aurait pu permettre à terme d'améliorer le pilotage. Mais avec la crise sanitaire, elle a été remisée. En attendant si le gouvernement souhaite faire des économies sur les 320 milliards de dépenses de retraite, il vaudrait mieux reculer progressivement l'âge de la retraite plutôt que d'enquiquiner les retraités.
C'est l'histoire d'un incroyable raté révélé par le magazine Capital. Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut remonter en 2018 lorsque le gouvernement décide de faire passer le taux de CSG sur les retraites de 6,6% à 8,3% pour les retraités percevant un revenu fiscal supérieur à 1.200 euros. Devant le tollé que provoque la mesure (qui sera entre autres une des raisons de la mobilisation des gilets jaunes), le gouvernement décide de faire marche-arrière et d'appliquer un taux de 6,6% aux retraités percevant entre 1.200 euros et 2.000 euros (soit l'exonération de 3,5 à 3,8 millions de foyers de retraités - environ 5 millions de retraités - de la hausse qui leur était appliquée).
Mais pour éviter un effet de seuil, le gouvernement invente un dispositif de lissage, présentée comme une mesure de justice fiscale, dans le PLFSS 2019 : l'idée est "de conditionner cette entrée en année N au franchissement du seuil de RFR [revenu fiscal de référence, le revenu fiscal déclaré] correspondant non seulement à l’année N–2, mais également à l’année N–3. La disposition empêchera des bénéficiaires du taux réduit de basculer dans le champ du taux plein en raison de la perception de revenus non récurrents"
Le magazine Capital explique que plus de 200.000 retraités s’étaient vus appliquer, depuis le 1er janvier, un taux de CSG (contribution sociale généralisée) ne correspondant pas à leur niveau de ressources. En effet, si le revenu fiscal en 2018 et 2019 avait dépassé les seuils, l'assujettissement à une CSG de 8,3%, aurait dû automatiquement s'appliquer en 2020. Problème, cette hausse n’a pas été effectuée au 1er janvier, "Il y a eu un défaut d’appréciation du franchissement des seuils", résume la Cnav. A Bercy on reconnait que la Cnav "a mis trop de temps à augmenter les taux de CSG des retraités dont les revenus ont augmenté".
La Cnav a bien envisagé cet été d'envoyer un courrier aux retraités pour leur réclamer les sommes dues. Cela représente 190 euros en moyenne, soit une facture totale de 40 millions d'euros. Mais le gouvernement a préféré arrêter les frais comme l'a confirmé Olivier Dussopt, ministre des Comptes Publics : "J'ai demandé à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (Cnav) de ne pas réclamer les restes à percevoir de CSG sur 206.000 retraites auxquelles un taux erroné a été appliqué. Les retraites ne doivent pas subir les erreurs administratives". L'exécutif a dû juger que l'opération aurait été un désastre politique. Néanmoins, comme le rappelle Les Echos, cette clémence fiscale est temporaire puisque leur taux de CSG a bel et bien augmenté à compter du deuxième semestre.
Complexité toujours…
Le gouvernement a décidément le goût des dispositifs compliqués. Lors du PLFSS 2020, actant le principe d'une désindexation des retraites pour faire des économies, c'est un mécanisme de revalorisation différenciée en fonction du niveau de pension qui avait été adopté article 52. Le principe général était que les retraités touchant mensuellement 2.000 euros de pensions brut maximum (toutes pensions comprises, de base et complémentaires) bénéficiaient d’une revalorisation de leur pension de base égale à l’inflation, soit 1 %. Pour ceux qui percevaient plus de 2.000 euros, le taux de hausse était 0,3 %. Mais un dispositif de lissage était prévu, à nouveau pour éviter un brutal effet de seuil. Ainsi les retraités percevant entre 2.000 et 2.014 euros de pensions brut, des taux de revalorisation intermédiaires (de 0,4 %, 0,6 % et 0,8 %) ont été votés.
Mais la mesure ayant été décidée tardivement et "les outils informatiques à disposition des caisses ne permettant pas d’identifier tout de suite précisément les retraités concernés par les différents taux, pour ceux très proches des 2.000 euros", comme le relate Le Monde, il avait été décidé en toute fin d’année d’effectuer la revalorisation 2020 en deux étapes, au 1er janvier et au 1er avril.
Pris de court, les caisses de retraite n'avaient pas pu appliquer la revalorisation en janvier. Deuxième problème, la revalorisation d'avril est survenue en plein confinement. Comme l'a fait savoir la direction de la Sécurité sociale : "Les caisses de retraite sont recentrées sur leurs missions essentielles pour permettre la continuité du paiement des pensions et le traitement des nouvelles demandes ainsi que l’information aux assurés. Dans ces circonstances exceptionnelles, les opérations informatiques nécessaires à la mise en œuvre de la revalorisation différenciée ne peuvent pas être assurées". La direction de la Sécurité sociale avait ajouté que la date du report devait finalement intervenir entre juillet et septembre, mais que de toute façon, personne n'y perdrait, la rétroactivité s'appliquant à partir de la date initiale d’entrée en vigueur de la mesure. Et pour les personnes qui verront leur taux de revalorisation baisser, "les trop-perçus ne seront pas récupérés", même si "le taux sera corrigé pour l’avenir". Rappelons pour finir sur ce modèle de complexité à la française que le calcul du seuil s'applique à la retraite complète, y compris les pensions complémentaires mais que le mécanisme de revalorisation (ou sous-revalorisation) ne s'applique qu'à la retraite de base !
Le bilan financier des mesures devait être de 5,2 milliards d'euros d'économies sur deux ans (2019 et 2020) pour la désindexation, en partie compensée par le geste sur la CSG estimé à 1,3 Md€ selon le texte de loi portant mesures d’urgence.
Le pilotage des dépenses de retraite bute toujours sur la complexité du système
Ce n'est pas la première fois que des mesures "de justice fiscale" se transforment en fiasco administratif. En janvier 2014, la réforme des retraites initiée par Jean-Marc Ayrault et Marisol Touraine prévoyait que les pensions ne seraient plus revalorisées au 1er avril 2014 mais au 1er octobre (déjà au nom d'une économie de 600 millions d'euros). Mais en avril 2014, le gouvernement Valls revient sur cette mesure et prolonge le gel jusqu'en octobre 2015. Cependant sous la pression des parlementaires, il concède une revalorisation à hauteur de l'inflation pour les retraites en dessous de 1.200 euros (et pour éviter les effets de seuil, il est prévu une indexation à 50% de l'inflation pour les retraites comprises entre 1.200 et 1.205 euros).
Une mesure qui n'est pas neutre puisque initialement évaluée à 1,3 milliard d'économies, le geste de Manuel Valls doit représenter finalement une dépense de 300 millions d'euros selon la Cour des comptes. Il faut dire que 1.200 euros représente à peu près le montant moyen de retraite. Tous les observateurs font valoir - déjà - que la mesure sera difficilement applicable dans des délais aussi courts puisqu'elle nécessite de connaître le montant total de la pension. Et comme la moitié des retraités reçoit une retraite d'au moins deux régimes distincts, la tâche s'avère très compliquée. Finalement, le gouvernement renonce et transforme la revalorisation différenciée en prime exceptionnelle de 40 euros versée en janvier 2015.
Les retraités doivent-ils s'attendre à d'autres mauvaises nouvelles ?Selon les informations parues dans la presse, ce sont les retraits complémentaires qui sont menacés. Après quatre années de gel des pensions, de 2014 à 2017, puis une augmentation de 0,6 % en 2018, le retour à une indexation sur l’inflation avait rapporté du pouvoir d’achat aux retraités. La hausse avait été de 1 % en novembre 2019. Le mécanisme devait s’appliquer au moins jusqu’en 2022, mais la crise est passée par là. D'abord parce que l’Agirc-Arrco s’appuie notamment sur l’estimation de l’inflation (hors tabac) pour l’année en cours produite par l’Insee pour réviser les retraites complémentaires. Sauf que l’Institut n’a pas pu la sortir en juin comme prévu en raison du contexte de crise sanitaire. L’autre facteur est tout simplement financier. Alors que les comptes étaient repassés dans le vert en 2019, les rentrées de cotisations devraient baisser fortement sur l’année 2020. En cause : les reports de charges accordés aux entreprises, un marché de l’emploi en berne et un recours massif au chômage partiel (l’indemnité ne donne pas lieu à des cotisations retraite). L’accord que les partenaires sociaux ont signé en mai 2019 prévoit que le régime doit à tout moment conserver un niveau de réserves égal à au moins six mois de prestations. Difficile donc pour l’heure de savoir ce qui attendra les retraités. |
Tous ces "bidouillages" n'ont bien évidemment qu'un but : faire des économies sur les retraites, premières dépenses sociales avec 320 milliards d'euros de dépenses en 2018 (soit 23 % des dépenses publiques). Cependant, il nous semble qu'une première mesure serait de repousser l'âge de départ à la retraite et de faire converger les règles de calcul entre public privé pour réaliser des économies bien plus substantielles. Le gouvernement objectera sans doute que ce n'est pas au moment où le chômage des jeunes est au plus haut qu'il faut reporter l'âge de la retraite. Mais cet argument ne tient pas car il n'y a pas d'effet de substitution automatique sur le marché du travail. De plus, même en temps de reprise, gouvernement et syndicats trainent des pieds pour reculer l'âge de la retraite alors qu'il a été remonté partout ailleurs en Europe. Pour l'instant, personne ne souhaite rouvrir le dossier de la réforme des retraites mais elle ne peut pas attendre, au risque de créer toujours plus de bugs et de nouveaux mécontentements.
[1] Ajoutons que pour raffiner le calcul les seuils sont revus en fonction de l'inflation