Retraites : hypocrisie à tous les étages
Alors que les chiffres du Cor devraient être publiés cette semaine, les syndicats ont déjà fait bloc quasi unanimement contre toute mesure de report de l’âge ou de durée de cotisation. Une attitude irresponsable car il y a urgence à mettre en œuvre cette réforme trop longtemps repoussée (elle nous était promise dès 2017). Le retour à l’équilibre du système de retraites n’est que temporaire, en outre les chiffres passent sous silence le déficit de 30 milliards des régimes de retraite de la fonction publique, les déficits reportés vers la Cades, le débat sur la non revalorisation des pensions. A quand un discours de vérité ?
Les premiers éléments dévoilés du rapport du Cor
Les chiffres devraient être publiés cette semaine. D’après ce que l’on peut lire des premiers échos parus dans la presse, la situation serait temporairement améliorée avec un retour à l’équilibre - inédit depuis 2008 - de 900 millions € pour 2021 et un excédent de 3 milliards € pour 2022. Des résultats qui s’expliquent par le rebond de l’économie en 2021 mais que les perspectives à moyen terme questionnent largement. D’ailleurs, le Cor indique que cette situation serait temporaire puisque le système de retraite reviendrait dans le rouge dès 2023 jusqu’au milieu des années 2030 avec un déficit compris entre 0,4% et 0,8% de PIB (rappel PIB 2021 : 2100 Mds €) selon les scénarios économiques.
Le Cor précise que les projections ont été construites avec des paramètres plus stricts que pour les précédents travaux à savoir des scénarios de gains de productivité compris entre 0,7% à 1,6% par an et prend soin de préciser que ces projections ne valident pas le discours « d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Mais avec 345 milliards € de dépenses du système de retraite en 2021, la question de leur poids dans la dépense publique est toujours incontournable.
Toujours autant d’oppositions
Les syndicats ont immédiatement pris position pour écarter toute idée de réforme :
- « Le rapport montre que la situation est maîtrisée. C'est moins pessimiste qu'attendu. Cela nous conforte dans l'idée qu'il n'y a pas besoin de réforme immédiate, affirme Michel Beaugas (FO).
- « Cela bloquerait tous les autres chantiers », a souligné Cyril Chabanier (CFTC).
- « Lancer de façon verticale et brutale le report de l'âge légal de départ en retraite, c'est mettre le feu au pays », a mis en garde Laurent Berger (CFDT).
Du côté des organisations patronales, le Medef semble temporiser sur l’opportunité de lancer de nouvelles négociations : à l’occasion de ses journées d’été, GRB déclarait « ce n’est pas ce qu’il faut faire le 1er septembre alors que l’on a plein d’autres problèmes ». La CPME avait en revanche reconnu qu’il n’y avait jamais de bon moment pour réformer les retraites.
Depuis hier, les déclarations patronales visent surtout la crédibilité des projections réalisées :
- « Sur le long terme, c'est toujours équilibré. À horizon soixante-dix ans, il suffit de modifier un paramètre de 0,01 % et on rétablit l'équilibre, ce n'est pas pertinent », estime Éric Chevée, vice-président de la CPME, qui plaide pour adopter « un horizon de quinze ans qui correspond à la réalité opérationnelle ».
- « Le véritable problème vient de la fonction publique dont le régime est structurellement déficitaire. Mais ce déficit est masqué par les taux de cotisations employeurs totalement hors norme », avait alerté fin août Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef.
Un débat escamoté
Les organisations patronales ont raison de remettre sur la table la question du « soi-disant » équilibre de notre système de retraites alors que les conventions du Cor conduisent à mettre de côté les déficits des régimes spéciaux et des régimes de la fonction publique. Comme la Fondation iFRAP l’expliquait au printemps dernier, une note de la revue Commentaire a clairement mis à jour la question du déficit de ces régimes, déficits couverts par des subventions d’équilibre ou cachés par des cotisations employeurs imputées de l’Etat, des hôpitaux et des collectivités locales. Des cotisations qui ne sont d’ailleurs pas retenues dans les statistiques internationales de comparaison des prélèvements obligatoires et qui représentent d’après un dernier rapport du Haut conseil au financement de la protection sociale 2% de PIB.
Cette note de Commentaire intitulée « Le système de retraites : équilibre conventionnel et déficit public » montre que si les employeurs publics cotisaient au même taux que les employeurs du privé, comme ils le font d’ailleurs pour leurs agents contractuels, un besoin de financement résiduel de 30 Mds € apparaîtrait qui devrait être couvert par une subvention bien identifiée. Ces 30 milliards n’apparaissent jamais en tant que tel dans les comptes de l’Etat et des collectivités laissant croire aux fonctionnaires et en réalité à tous les Français que les régimes publics sont à l’équilibre. D’ailleurs il ne s’agit pas d’un chiffre exceptionnel pour la seule année 2020 en récession, mais bien structurel et récurrent. Tant que la réalité des chiffres sur les déficits des régimes spéciaux de la fonction publique ne seront pas clairement établis, le débat sur l’ampleur de la réforme à mener restera escamoté.
La dette sociale ne cesse d’enfler
La discussion sur l’équilibre - même temporaire - du système de retraite doit être remis en perspective de la dette sociale accumulée : rappelons-nous qu’en 2020 pour faire face au trou abyssal des finances sociales, le gouvernement avait transféré 136 milliards d’euros de « dette Covid » à la Cades et prolongé son existence… jusqu’en 2033. Cette nouvelle charge comprenant notamment 13 milliards de reprise de dette des hôpitaux et 92 milliards d’euros de déficits anticipés (régime vieillesse des non salariés agricoles et FSV notamment). Et le Cor annonce que les déficits continueraient à s’accumuler sur les dix prochaines années de 10 milliards € environ par an. Comment dans ces conditions considérer que la réforme n’est pas urgente ?
Les pistes du Cor
Une fois admis qu’il y a un pbm de financement c’est à dire un déséquilibre lié à une masse des prestations supérieure à la masse des cotisations, il n’existe que 3 leviers pour revenir à l’équilibre : augmenter les cotisations, baisser les pensions, ou repousser l’âge.
Le Cor indique que l’ajustement pourrait passer par un « ajustement » de l’âge conjoncturel pour équilibrer les comptes. Les évaluations donnent un report d’un an environ d’ici 2033 pour permettre au système de revenir à l’équilibre. Le problème est que l’âge conjoncturel reste une moyenne théorique : l’Insee nous dit qu’il s’agit de la mesure l’âge moyen de départ à la retraite une année donnée, en neutralisant les différences de taille de génération (La Drees nous dit que pour une année donnée (l’année d’observation), il est égal à l’âge moyen de départ d’une génération fictive qui aurait, à chaque âge fin entre 50 et 70 ans, la même probabilité d’être à la retraite que la génération ayant atteint cet âge fin au cours de l’année d’observation).
Cela ne dit rien des ajustements des paramètres légaux qu’il faudrait mettre en œuvre pour revenir à l’équilibre. Or, il existe deux moyens de repousser l’âge moyen de départ à la retraite : le report de l’âge légal et l’allongement de la durée de cotisation. Le report de l’âge a un caractère général et a un effet plus puissant que l’allongement de la durée de cotisation qui n’est pas une obligation mais constitue une pénalité dans le mode de calcul et une incitation à poursuivre son activité plus longtemps. D’ailleurs, le report de l’âge permet de doubler les économies à terme pour le système de retraite par rapport à l’allongement de la durée de cotisation (20 contre 10 milliards € à l’horizon 2040).
Une hausse des cotisations inenvisageable
Le taux de prélèvement global (= somme des ressources du système de retraite rapporté à la masse des revenus d’activité bruts) inclue d’autres impôts et taxes affectées au financement du système de retraite, en plus des cotisations spécifiques à l’assurance vieillesse. D’autres prélèvements type TVA doivent ils abonder le système de retraite ? En cette période de défense du pouvoir d’achat, cela ne semble pas être un bon levier. Quant à une hausse éventuelle de la CSG, elle serait mal accueillie sur les pensions après la bascule déjà intervenue en 2018 et sur les produits du capital elle remettrait en cause la politique de stabilisation de la fiscalité du capital menée par le gouvernement depuis 2018.
Concernant le taux de cotisation, il est lui-même encadré depuis la réforme de 2014 par les différents indicateurs fixés pour définir la soutenabilité du système. A ce titre, le taux doit se maintenir en dessous de 28% du salaire brut. Or on y est quasiment. On voit donc difficilement comment des hausses de cotisation pourraient être envisagées d’autant que le gouvernement a fortement développé les exonérations de charge et les a même renforcés en 2019 en y incluant les cotisations patronales aux retraites complémentaires. Il entend poursuivre cette politique en baissant les impôts de production. Ce n’est donc pas dans cette direction qu’il faut creuser.
Pourquoi une mesure de baisse des pensions ne peut être envisagée
Ce n’est pas non plus dans le sens d’une baisse du taux de remplacement qu’il faut aller. Les calculs effectués par le Cor au printemps dernier par grands régimes sont éclairants à ce sujet. Ils montrent que compte tenu de la baisse du rapport démographique anticipé, l’ajustement se fera déjà principalement par le taux de remplacement.
Ainsi face à une baisse de 30% du ratio démographique de la CNAV entre 2022 et 2070, la pension relative (pension moyenne rapportée au revenu d’activité) diminuera de -15 à -30% selon les scénarios économiques. La situation est encore plus tendue pour les complémentaires Agirc-Arrco : la baisse du ratio démographique anticipée d’ici 2070 est de 40% mais la baisse de la pension relative prévue est de -50%. Une chute spectaculaire qui s’explique par les différents accords de baisse de rendement du régime depuis 1993 : pour 1 € cotisé les droits acquis sont deux fois moins importants qu’au début des années 90. On ne peut que déplorer l’hypocrisie des partenaires sociaux gestionnaires du régime Agirc-Arrco et en particulier des syndicats de salariés qui écartent tout report de l’âge au détriment du niveau de vie futur des retraités.
Conclusion
La composition et la gouvernance du Cor font qu’il est difficile d’en attendre des pistes de réformes. La compétence en revient au Comité de suivi des retraites qui doit se prononcer sur d’éventuelles mesures correctrices pour faire revenir le système de retraites l’équilibre. Mais les différents points soulevés ici montrent que ce mécanisme est inopérant à justifier une vraie réforme des retraites. Un débat au Parlement est nécessaire pour mettre en évidence les déficits cachés, la part de la dette sociale attribuable à notre système de retraite, et l’évidence d’un report de l’âge nécessaire pour équilibrer la dégradation du ratio démographique et la faiblesse du taux d’emploi dans notre pays.