Actualité

Retraites : de nouveau, le déficit se profile

Il y a parfois des actualités qui se télescopent : ainsi en est-il du rapport du COR dont nous avons parlé la semaine dernière (voir notre note sur le Comité de suivi des retraites) intitulé « évolutions et perspectives des retraites en France 2014 » publié le 12 juin dernier et les informations parues cette semaine dans la presse des déficits annoncés des retraites complémentaires.

Un diagnostic partagé sur les complémentaires :

S'agissant des besoins de financement du système, le rapport du COR reprend les principaux éléments de l'étude d'impact de la loi Ayrault-Touraine de janvier 2014 portant réforme des retraites. Il rappelle que selon le gouvernement les mesures votées [1] contribuent à améliorer le solde financier du système de retraite en 2020 de 0,4 point de PIB (passant de -0,9% à -0,5% après la réforme) puis 0,6% et 0,8% de PIB aux horizons de 2030 et 2040. En 2040 le besoin de financement serait quasiment résorbé. « Un besoin de financement résiduel en 2020 proviendrait essentiellement des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO pour lesquels il est prévu qu'un nouvel accord soit négocié entre les partenaires sociaux d'ici 2015. »

Effectivement, selon le papier paru dans Les Echos du 30/06, au rythme où vont les choses les réserves de l'Agirc seront épuisées en 2018 et celles de l'Arrco en 2027. Si rien ne change, les pensions des cadres devraient baisser de 11% en 2019. Une situation qui commande de nouvelles mesures qui seront décidées à l'issue d'un nouveau cycle de discussion en 2015, alors même que le dernier accord ne date « que » de mars 2013. Les régimes complémentaires considèrent que la « non-réforme » Ayrault Touraine qui a un allongement de la durée de cotisation, et seulement à partir de 2020, n'a pas permis de redresser les comptes. À cela s'ajoute le renforcement des mesures type « carrières longues » qui ont entraîné un surcroît de dépenses.

Des mesures très différentes :

Le moins que l'on puisse dire c'est que les partenaires sociaux en charge des régimes complémentaires envisagent des mesures assez radicales :

  • Une possible fusion de l'Arrco et de l'Agirc qui permettrait de conserver des réserves jusqu'en 2025. Souvent évoquée et jamais réalisée pour des raisons tant historiques (syndicales) que pratiques, cette fusion serait un coup de tonnerre.
  • Des mesures d'âge en repoussant le bénéfice des retraites de 62 à 63 ans : mais difficile d'envisager un décrochage du paiement des complémentaires et de la retraite de base pour le privé ?
  • D'autres mesures pourraient intervenir comme un durcissement des conditions de réversion (qui interviennent déjà après un durcissement des conditions de majorations pour enfants),

En revanche, le patronat ne veut pas entendre parler d'augmentation des cotisations (actuellement 25,5% pour un salarié du privé non cadre) dont le taux global vient de toute façon d'être encadré par décret (max. 28%). Et les syndicats de gel des pensions au-delà de ce qui a été voté.

De son côté, le COR n'annonce pas grand-chose :

  • Il promet pour décembre 2014 de nouvelles projections des besoins de financement du système de retraites tenant compte de l'impact de la réforme Ayrault-Touraine.
  • Il ne tire pas de conclusion des mesures à mettre en œuvre, considérant probablement que c'est au nouveau Comité de suivi des retraites de récupérer la patate chaude.
  • Il entretient le flou sur les autres régimes en déficit pour qui des réformes devraient être impérativement menées, ainsi en est-il du régime des fonctionnaires d'État : dans le passage qu'il consacre aux taux de remplacement comparés entre public et privé, le COR continue de répéter ce que tous les responsables politiques ont dit jusqu'à présent pour repousser la réforme du régime des fonctionnaires : « Enfin, malgré des règles de calcul des pensions différentes, les taux de remplacement médians des salariés du secteur privé et du secteur public nés en1942 sont très proches (de l'ordre de 74-75% pour l'ensemble des carrières et de l'ordre de 76-77% pour les carrières complètes), avec toutefois une moindre dispersion des taux de remplacement dans le secteur public, même si on se restreint aux retraités à carrière complète. » Un constat qu'il faudra forcément réviser vu la baisse des rendements des régimes AGIRC-ARRCO !

C'est pour cette raison que dans son nouvel exercice de projection prévu pour la fin de l'année, le COR devrait intégrer une réflexion sur la norme comptable à retenir pour présenter les déficits des régimes de fonctionnaires et des régimes spéciaux subventionnés. Actuellement, le COR retient une présentation qui « consiste à supposer que les contributions des employeurs de fonctionnaires d'État et les subventions d'équilibre versées par l'État à certains régimes spéciaux évoluent comme la masse salariale de ces régimes » : en gros on fixe un taux de cotisation apparent pour les régimes publics au point de départ de la projection et on ne fait apparaître de déficit qu'à partir de cette date. C'est un plus par rapport à la législation qui prévoit que ces régimes bénéficient d'une subvention d'équilibre et ne sont par définition jamais en déficit. Mais dans tous les cas, cela minimise le poids que représentent les retraites publiques et leurs nécessaires évolutions. En découle un déni et une incompréhension :

  • Ainsi on l'a vu à l'occasion de la réforme des régimes spéciaux de retraites où des cheminots affirmaient qu'ils étaient contre un recul de l'âge de départ puisque leurs régimes étaient financés et à l'équilibre !
  • Ainsi on l'a vu plus récemment au Parlement avec le vote du pacte de responsabilité où les syndicats de fonctionnaires ont réclamé et obtenu une baisse de leurs cotisations retraites « en contrepartie des baisses de charges prévues pour le privé », alors même que le COR avait pointé du doigt cet hiver les 37 milliards d'euros soit 74% de cotisation employeur nécessaire pour financer le régime des fonctionnaires d'État tandis que le taux n'est que de 15% pour le privé.

On ne peut donc plus continuer à avoir un discours d'urgence et de raison sur les régimes complémentaires tandis que l'on cache les déficits du régime de retraite public. La Fondation iFRAP réclame que soit mis en place une vraie caisse de retraite des fonctionnaires d'État, qui – de fait – permettra de faire état du vrai déficit. Bien sûr les syndicats de fonctionnaires s'y opposent mais sous des prétextes qui ne tiennent pas.

La retraite serait conceptuellement pour les fonctionnaires un traitement d'inactivité qui succéderait à un traitement d'activité, c'est pour cela qu'elle doit être versée directement par le budget de l'État. Or, on a bien une caisse pour le paiement des retraites des fonctionnaires locaux et hospitaliers ! Le fameux CAS pension qui retrace les versements de cotisations des fonctionnaires, les contributions d'équilibre de l'État employeur, et les pensions payées feraient déjà office de caisse : mais en l'occurrence sa présentation ne fait jamais apparaitre le mot « déficit » ! Il faut un organisme indépendant du budget de l'État à l'image de ce qui a été fait pour la réforme du régime spécial de la SNCF ou de la RATP avec la création d'une caisse spécifique. Cette mesure simple est le préalable indispensable à une vraie réforme des retraites : il faut rappeler qu'avec près de 300 milliards d'euros, les dépenses de retraite représentent la moitié des dépenses sociales et un quart des dépenses publiques.

[1] que les résultats des projections reposent sur les hypothèses macroéconomiques de scénario B complétées par celles de l'accord de mars 2013 de l'AGIRC-ARRCO