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Retraites : cette fois-ci on s'y met vraiment ?

Faut-il croire qu'à l'automne dernier on ignorait qu'il y avait 50 milliards d'euros d'économies à faire ? Toujours est-il que quelques mois après l'adoption de la réforme des retraites intitulée opportunément "loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites", qui prévoyait 3,8 milliards d'euros de recettes rien qu'en 2014 par des augmentations de cotisations, un report d'indexation des retraites et la fiscalisation des majorations de pensions, il faut déjà trouver plus d'un milliard supplémentaire.

« La réforme des retraites tous les 3 ou 4 ans, c'est terminé ! Il faut en finir avec l'idée de rendez-vous dramatiques tous les trois ou quatre ans, et ajuster progressivement notre modèle, si c'est nécessaire. C'est ce qu'on[t] fait nos voisins européens. C'est aussi une des grandes nouveautés de notre projet (le projet de loi instaure un conseil de surveillance des retraites qui transmet tous les ans un avis au gouvernement). On tient compte de la situation économique à venir et on ne se contente pas de dire « on lance une réforme et on croise les doigts pour que ça marche ». La navigation à vue, c'est fini ! »

Marisol Touraine pour le site toutsurlaretraite, le 7 octobre 2013

Pourtant cette réforme des retraites avait été présentée comme assurant l'avenir financier du système jusqu'en 2020, une réforme structurelle alors qu'elle n'a fait qu'allonger la durée de cotisation, une réforme juste, luttant contre les inégalités, notamment la pénibilité, et enfin équilibrée, partageant les efforts entre tous, salariés, employeurs et retraités. Le dossier de presse de Matignon précisait même "afin que la réforme ne nuise pas à la consommation, les mesures de gel des pensions n'ont pas été retenue", mesure qui avait pourtant été recommandée dans le rapport Moreau. Mais, le 16 avril dernier, Manuel Valls a finalement annoncé une prolongation du gel des pensions : "Dans le contexte exceptionnel qui est le nôtre, les [retraites] ne seront pas revalorisées jusqu'en octobre 2015". Avec à la clé une économie de 1,3 milliard d'euros sur les 11 milliards d'économies prévues sur le volet social du plan gouvernemental [1]. Tous les retraités français devraient être touchés à l'exception de ceux qui perçoivent le minimum vieillesse, même si plusieurs députés socialistes veulent demander des aménagements supplémentaires.

Notons que les salariés du secteur privé avaient eu un avant-goût de cette recette avec la réforme des complémentaires en mars 2013 qui avait également mixé les deux leviers : hausse des cotisations + désindexation pour tenter de redresser les comptes. Les partenaires sociaux n'avaient pas touché aux mesures d'âge comptant sur la réforme annoncée par le gouvernement, geste qui n'est jamais venu, puisque l'allongement de la durée de cotisation ne devrait être mise en place qu'à partir de 2020 pour atteindre 43 années en 2035. Ces mesures avaient été adoptées après un long débat entre partenaires sociaux sans forcément susciter l'indignation des parlementaires français, mais il faut dire que cette fois, la mesure concerne tous les régimes y compris les régimes publics.

Car la grande nouveauté, si l'on peut dire, de la "réforme" Ayrault, mais surtout de la "réforme" Valls, c'est qu'elles vont toucher la fonction publique et les régimes spéciaux. Les pensions publiques qui représentent 65 milliards d'euros de dépenses (fonctionnaires d'État et fonctionnaires locaux et hospitaliers) sont réévaluées avec l'inflation depuis 2003 et les régimes spéciaux SNCF et RATP depuis 2008. Dans une note publiée l'été dernier et reprise par le quotidien économique Les Echos, la Fondation iFRAP avait montré qu'en désindexant les retraites des seuls fonctionnaires d'État pendant 3 ans, on pouvait obtenir plus de 6 milliards d'euros d'économies à l'horizon 2020, un montant substantiel.

Comment justifier, en quelques mois, une telle volte-face ?

Une ultime prise de conscience de l'effort à faire pour redresser les finances publiques ? De la part des dépenses sociales dans la dérive des comptes publics (les retraites représentant la moitié des dépenses sociales ou encore un quart des dépenses publiques avec 286 milliards d'euros en 2012) ? Ou encore de l'impossibilité d'obtenir de nouveaux délais de la part de Bruxelles ? Toutes ces raisons peuvent expliquer ce changement. Mais on ne peut que s'étonner qu'en quelques mois, après 900 amendements parlementaires, des heures de débat, on passe d'un plan d'allongement progressif de la durée de cotisation en 2020, à des mesures d'urgence de désindexation dès 2014. Cette pirouette souligne, qu'on le veuille ou non, que le diagnostic qui a servi à la réforme de l'automne était erroné.

Ainsi, on a déjà eu l'occasion de le souligner, mais il faut le redire, les prévisions du COR ont toujours été minimalistes. D'une part en s'appuyant sur des prévisions de chômage optimistes et sur des gains de productivité surévalués. Mais surtout, en fixant arbitrairement à chaque exercice de projection les déficits du régime de retraite de la fonction publique à zéro, tronquant de fait les perspectives financières du système de retraite. Le COR s'est toujours expliqué de cette position en avançant d'une part que :

  • 1/ des hypothèses trop défavorables tendraient à décrédibiliser ses projections, le COR serait en clair accusé de vouloir "noircir le tableau"
  • 2/ que dans le régime de retraites de la fonction publique, le taux de cotisation évolue en fonction du besoin de financement à couvrir et qu'il n'y a pas de déficit à proprement parler. Ces arguments montrent aujourd'hui leur limite puisque le gouvernement est obligé de chercher dans l'urgence de nouvelles recettes.

A ce diagnostic erroné s'ajoute un manque de courage des responsables politiques qui n'ont jamais voulu dire la vérité sur l'état de notre système de retraites : le double choc démographique (allongement de la durée de vie + générations du baby boom arrivant massivement à la retraite) va entraîner un déséquilibre considérable : aujourd'hui les retraites représentent 14% du PIB et il faut 25% de cotisations sur le salaire brut pour les financer, il est impossible de les augmenter indéfiniment. C'est donc un fait : les retraites vont tendanciellement baisser et il faut le dire et enclencher de vraies réformes comme l'ont fait tous nos voisins européens, plutôt que de masquer la vérité.

Alors cette fois-ci on s'y met vraiment ?

Les principales mesures que nous avons détaillées dans notre étude parue il y un an à l'occasion de la réformes des retraites, sont les suivantes :

  • Allongement de la durée de cotisation
  • Mise en place d'une caisse de retraites pour les fonctionnaires d'État
  • Convergence des systèmes public et privé : cotisations, mode de calcul, avantages annexes (réversion, majoration pour enfant, etc.)
  • Abandon des dispositifs de pénibilité : catégories actives ou comptes pénibilité, la pénibilité doit être corrigée pendant l'activité par un salaire supérieur et/ou des actions de formation.
  • Fusion des caisses de retraites complémentaires et intégration avec le régime de base en un seul et unique régime par points
  • Intégration progressive des nouveaux entrants de la fonction publique ou des régimes spéciaux dans le régime unique dit "universel"
  • Mise en place d'un seul et unique système d'aide sociale plutôt que divers minimums en fonction des régimes.
  • Mise en place d'une part de retraite par capitalisation obligatoire à l'image de ce qui a été fait pour les fonctionnaires avec le régime additionnel RAFP
  • Encourager les mécanismes d'épargne retraite individuelle par des incitations fiscales

[1] Déclaration à l'issue du Conseil des ministres du 16 avril 2014