Retraites 2013 : une réforme nommée courage
La majorité élue en 2012 a lutté contre les réformes des retraites de 1993, de 2003, de 2007 et de 2010. Une cinquième est rendue urgente par le déséquilibre des régimes de retraite, alors que la gauche est cette fois-ci au pouvoir. Une occasion unique de démontrer des capacités d'innovation, de responsabilité et de courage. Charles De Gaulle a conduit sa majorité à changer de position sur l'Algérie ; François Mitterrand sur l'école libre ; la Droite sur le PACS. Pourquoi pas François Hollande sur les retraites ?
L'objectif fixé par le Premier ministre à la commission Yannick Moreau chargée de faire des propositions pour fin juin 2013, est encourageant puisqu'il vise à corriger les deux principales tares de nos systèmes de retraite : déséquilibre financier et inégalités entre Français.
Ne revenant que très à la marge sur les quatre réformes précédentes, la majorité actuelle a déjà fait un progrès notable en ne faisant preuve toutefois que d'une sorte de courage par abstention. Mais cette fois, on attend que le gouvernement ait le courage de l'action, y compris sur des points où les gouvernements précédents avaient reculé.
En ce qui concerne le rétablissement de l'équilibre financier, l'allongement de la durée de cotisation et/ou le recul de l'âge légal de départ en retraite sont inévitables. Depuis 1981 et la décision de ramener l'âge de départ en retraite de 65 à 60 ans, l'espérance de vie à 60 ans a augmenté de près de 5 ans. Partir à 65 ans en 2014 assurera donc une durée de retraite au moins égale à celle de 1981 à 60 ans.
La seconde grande source d'économies doit être recherchée d'abord dans la simplification du système et la fusion de ses trop nombreux régimes. A ce titre, l'absence de proposition du Conseil d'Orientation des Retraites (COR) allant dans ce sens est décevante. Ce silence s'explique sans doute par la participation des partenaires sociaux au COR, partenaires sociaux qui tirent du paritarisme, et donc de la multiplicité des caisses, une part importante de leur prestige et de leurs subsides.
La réforme des régimes spéciaux (fonctionnaires, SNCF, RATP, EDF/GDF, Banque de France, parlementaires, …) constitue la troisième source d'économies et une obligation pour atteindre l'objectif d'égalité entre Français fixé par le gouvernement. Le coût des multiples avantages de ces régimes pourtant financés par les contribuables et par les consommateurs, ne sont pas clairement identifiés. Mais le moyen d'en mesurer leur niveau est de regarder le taux de cotisation retraite de l'employeur. Pour les fonctionnaires d'État par exemple il représente plus de 4 fois celui du privé. Pour les autres fonctionnaires, le "coefficient" n'est encore que d'un peu plus de 2, mais son augmentation programmée va ruiner les collectivités locales et les hôpitaux dans les 20 ans à venir. Pour financer une partie des privilèges des retraites EDF/GDF, une taxe spéciale (qui vient encore d'augmenter) est ajoutée à la facture des clients. Et c'est une subvention d'État de plus de 3 milliards qui vient chaque année combler le déficit du régime retraite de la SNCF [1].
Enfin, la prise en compte de la véritable pénibilité est un sujet complexe et parfois en contradiction avec les idées reçues (les femmes ouvrières vivent par exemple plus longtemps que les hommes cadres), mais qu'il faut traiter. Dans la situation actuelle, une pénibilité théorique est prise en compte généreusement dans le secteur public (âge de départ très précoce et proportion importante de bénéficiaires pour les fonctions dites "actives"), alors que l'espérance de vie de ces catégories est identique ou supérieure à celle de l'ensemble de la population. Au contraire, l'espérance de vie de certaines catégories de travailleurs du privé est sensiblement inférieure à la norme.
Les premières réactions des responsables politiques et syndicaux sont assez inquiétantes : Il suffit d'attendre, ce problème est temporaire − Grâce à sa démographie, la France n'est pas du tout dans la même situation que les autres pays européens − En récupérant les 40 milliards de fraude fiscale, il n'y aura plus de problème de retraite − Ne touchons pas aux retraites de notre électorat-clientèle (fonctionnaires et autres régimes spéciaux) − Le recul de l'âge de la retraite va bloquer l'accès des jeunes à l'emploi − L'espérance de vie en bonne santé recule en France − Augmentons les cotisations, etc.
Jusqu'à présent, les prévisions du COR ont toujours été très « volontaristes » ou « politiques » et démenties par les faits. Ses propositions pour pallier les déficiences du système se sont donc résumées à des ajustements à la marge. De même, les responsables politiques ont toujours reculé devant la nécessité de retirer des avantages à certains, surtout si leur poids électoral est important. Tous les ingrédients sont réunis pour une réforme a minima qui nous remette dans l'obligation d'une nouvelle réforme d'ici quelques années. La seule solution durable serait, comme en Suède, une réforme systémique où tous les régimes obligatoires seraient remis à plat et fusionnés en un seul, équitable et s'adaptant automatiquement aux évolutions économiques et démographiques.
En 1981, alors que toutes les données étaient disponibles, la retraite à 60 ans « pour tous » a été plus qu'une erreur économique et sociale, mais quasiment une trahison contre le pays. Le gouvernement de gauche qui le reconnaîtra franchement et en tirera les conséquences aura assuré sa crédibilité. En reculant devant cette réforme, Lionel Jospin a seulement perdu la sienne, et les élections. Mais en 2013, un recul entraînerait la perte de confiance de nos partenaires, un bond de nos taux d'emprunt et une situation à l'italienne de 2009 sinon à la grecque.
[(Recul de l'espérance de vie en bonne santé ?
Pour s'opposer au recul de l'âge de la retraite, Force Ouvrière met en avant une statistique de l'INED indiquant que l'espérance de vie sans incapacité (EVSI) a baissé de 10 mois en France de 2009 à 2010.
Contrairement à l'espérance de vie, une donnée objective mesurée entre les dates de naissance et de décès, l'espérance de vie sans incapacité est tout à fait subjective, recueillie par enquête d'opinion. A titre de comparaison, cette EVSI qui est de 61,9 ans en France est de 65,9 en Irlande, de 71,7 en Suède et de 66,4 en Grèce.
Il est tout à fait invraisemblable que l'EVSI objective réelle baisse en France alors que la longévité augmente fortement et que les générations qui arrivent à l'âge de la retraite ont eu des conditions de vie et de travail beaucoup moins dures qu'il y a 20 ou 30 ans. L'évolution défavorable en France est liée à la perte de confiance générale des Français, ce qui les rend plus pessimistes que les Afghans. C'est un problème de fond que les responsables politiques doivent traiter. )]
[1] L'adossement des retraites des régimes spéciaux au régime général constitue une simple astuce comptable évitant aux entreprises publiques d'avoir à provisionner le total des retraites dues. Il ne constitue pas une réforme de ces régimes, et la contribution versée (soulte et versement annuel) au régime général serait même insuffisante.