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Retraite : que vaut la proposition d’Emmanuel Macron de passer à un régime de retraite à 3 piliers ?

Le Président de la République a acté la non mise en œuvre de sa réforme pour un système universel de retraites en raison de la pandémie et de l’inquiétude que cette réforme générait dans la population. Il a esquissé ce que pourraient être ses propositions dans le cadre d’un second mandat : « Il est clair qu’il faudra travailler plus longtemps » pour répondre à la crise du financement, et il sera nécessaire d’aller « vers une sortie des régimes spéciaux, avec une réduction à trois régimes. » Même si la proposition est intéressante en termes de simplification par rapport au paysage actuel, il faut relativiser l’impact d’une organisation à trois piliers et d’une suppression des régimes spéciaux qui ne remettrait pas à plat les règles applicables à la fonction publique. Elle ne résoudrait ni le problème de complexité pour les personnes de plus en plus nombreuses ayant des carrières dans la fonction publique et dans le secteur privé, ni la gouvernance du système de retraites. Ce sont avant tout des mesures d’économies et de convergence dont nous avons besoin.

A 34 jours du premier tour de la présidentielle, les candidats se sont tous exprimés sur la question des retraites, mettant le plus souvent en avant des mesures d’âge, soit pour un report à 64-65 ans, ou un retour à la retraite à 60 ans. Dans son entretien de décembre dernier[1], le Président de la République a présenté ce que pourrait être sa future réforme : « Il est clair qu’il faudra travailler plus longtemps » pour répondre à la crise du financement, il sera nécessaire d’aller « vers une sortie des régimes spéciaux, avec une réduction à trois régimes. »

Un mois plus tôt, il avait posé les principes[2] : « Dès 2022, il faudra, pour préserver les pensions de nos retraités et la solidarité entre nos générations, prendre des décisions claires. (…) : travailler plus longtemps en repoussant l’âge légal, aller vers un système plus juste en supprimant les régimes spéciaux, en harmonisant les règles entre public et privé et en faisant en sorte qu’au terme d’une carrière complète, aucune pension ne puisse être inférieure à 1 000 euros. Aller enfin vers plus de liberté, c’est-à-dire permettre de partir en retraite progressivement, d’accumuler des droits plus rapidement pour celles et ceux qui le souhaitent, d’encourager le travail au-delà de l’âge légal, aussi, pour celles et ceux qui en ont envie. » 

Exit donc le régime universel de retraites prévu dans la campagne de 2017 qui prévoyait un système où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le statut de celui qui a cotisé. Le nouveau système de retraite comporterait 3 régimes : un pour les salariés du privé, un pour les fonctionnaires et un pour les indépendants. Le candidat Macron n’a pas indiqué si le régime des fonctionnaires comporterait deux niveaux, celui de la sécurité sociale par annuités, et celui des complémentaires par points. Ni si cette structure en place pour les salariés du privé serait remise en cause. Le maintien de cette organisation aurait l’avantage politique de ne pas remettre en cause les organismes de gestion existants, mais l’inconvénient de conserver la complexité actuelle et les coûts de gestion élevés.     

L’organisation selon 3 grands régimes est-elle un modèle original en Europe ?

Un panorama des systèmes de retraites à l’international réalisé par le COR en 2020[3] montre qu’il existe plusieurs formules dans les grands pays industrialisés pour les régimes (obligatoires dits publics) de retraite.

Les pays « mono-régime »

  • L’Italie et le Japon ont un régime public de base universel, caractérisé par des règles uniformes pour toutes les catégories d’assurés. En Italie, tous les salariés du secteur privé, les travailleurs indépendants et les fonctionnaires exerçant depuis 1996 sont couverts par la branche vieillesse du régime général de sécurité sociale. La répartition entre salarié et employeur des 33% du taux de la cotisation invalidité, vieillesse, survivants varie légèrement selon le secteur d’environ 1%. 
  • Le Canada et le Royaume-Uni ont également un régime public de base universel, mais complété par un étage additionnel pour les fonctionnaires. Au Canada, le régime additionnel de la fonction publique est un régime additionnel obligatoire à prestations définies.
  • Au Royaume-Uni, le fonctionnaire adhérent à un régime à prestations définies qui a été réformé pour prendre en compte les éléments suivants : les prestations de retraite sont basées sur les revenus revalorisés moyens de carrière plutôt que sur le salaire final, et l’âge de la retraite est aligné sur l’âge normal sauf pour les régimes des pompiers, de la police et des forces armées, qui doivent avoir un âge de 60 ans.

Ce type de régime unique existe en Hongrie, en Pologne, en République Tchèque, en Slovaquie, en Slovénie et dans les Etats Baltes. Une organisation naturelle puisqu’avant la transition vers une économie de marché, il n’y avait pas de plan de retraite privé en place dans ces ex-Républiques du bloc de l’Est et il n’était pas rationnel de repenser et réorganiser le système de retraite en créant des différences entre les régimes des salariés du privé ou du public.

On trouve aussi une deuxième catégorie de pays où les régimes des fonctionnaires ont été intégrés au régime général, mais dont le calcul des pensions demeure différent, notamment pour le traitement des primes. C’est le cas en Irlande ou en Espagne.

Les pays « multi-régimes publics »

En Allemagne, en Belgique, en Espagne et en France, le système de retraite comprend plusieurs régimes, chacun avec des règles propres en termes d’âges de départ à la retraite, de modalités de calcul de la pension ou de taux de cotisations.

Hormis en France où coexistent plus d’une vingtaine de régimes de base, et en Espagne qui a conservé des régimes spéciaux pour les marins, les travailleurs indépendants et les mineurs de charbon, les systèmes de retraite des autres pays sont structurés en trois régimes : le régime général regroupant l’ensemble des salariés du secteur privé ; le régime des fonctionnaires ; le régime des non-salariés (indépendants, professions libérales, agriculteurs), système qui semble inspirer la réformer voulue par le candidat Macron.

L’organisation multi-régimes se retrouve également dans les pays du nord de l’Europe (Danemark, Pays-Bas, Islande) et en Scandinavie (Suède, Finlande) qui disposent de régimes spécifiques à la fonction publique mais dont les paramètres sont très proches ou identiques à ceux du régime général.

Caractérisation de l’architecture des systèmes de retraite selon l’unicité ou la multiplicité de régimes obligatoires

Mono-régime public

Multi-régimes publics

pleinement intégrés

avec étage additionnel pour les fonctionnaires

avec règles communes

avec règles spécifiques

Italie (1995/2008)

Canada

Pays-Bas

Allemagne

Japon (2015)

États-Unis

Suède

Belgique

 

Royaume-Uni

 

France

 

 

 

Espagne

Source COR : https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2020-12/Rapport_international_2020.pdf

En Espagne, les assurés ayant intégré la fonction publique à compter du 1er janvier 2011 ne relèvent plus du régime des fonctionnaires et sont intégrés au régime général. Des règles spéciales continuent cependant de s’appliquer pour les fonctionnaires de catégories actives (notamment la possibilité de liquider leur pension dès l’âge de 60 ans sans décote, sous condition de durée d’assurance et de service de l’État) contre 65 ans au régime général.

Les Pays-Bas et la Suède se caractérisent par l’existence de régimes formellement distincts pour les fonctionnaires, mais avec des règles communes d’âge de départ, de modalités de calcul de la pension et de taux de cotisation.

En Allemagne, le système de retraite se compose de plusieurs régimes publics collectifs de retraite. Le régime légal allemand (DRV) est obligatoire pour les salariés du secteur privé ainsi que pour certaines catégories de travailleurs indépendants. Les fonctionnaires disposent d’un régime spécial, directement à la charge des finances publiques mais régi selon les mêmes règles que le DRV.

En Belgique, le système se compose de trois régimes distincts de retraites au sein du Service Fédéral des pensions (SFP) : un pour les travailleurs salariés du secteur privé, un pour les travailleurs non-salariés et un pour les fonctionnaires. En 2020, l’âge d’ouverture des droits (âge légal de la pension) est fixé à 65 ans mais cet âge va être progressivement relevé pour atteindre 67 ans à partir du 1er février 2030. La carrière complète est de 45 ans pour les salariés et indépendants et de 42 ans pour les fonctionnaires. Certains fonctionnaires peuvent voir leur durée de carrière majorée (un peu comme les bonifications dans le système de retraite français) pour un départ à la retraite anticipé (enseignement, cheminots, douaniers, …) La pension légale des fonctionnaires est calculée en annuités en fonction du traitement de référence (traitement moyen des 10 dernières années de carrière).

En résumé, même s’il existe dans chaque pays des spécificités, on constate que la France s’illustre par un système de retraites où les fonctionnaires sont totalement séparés des autres actifs avec des règles de cotisations, de calcul de pension (assiette de référence) différentes des salariés du secteur privé.

Un mouvement de convergence qui s’est interrompu

De plus, on observe une convergence des règles dans la plupart des pays vers celles du régime général du secteur privé, convergence qui reste très lente en France. Le rapport sur les pensions de l’Etat, document annexé chaque année au projet de loi de finances, consacre un chapitre à ce sujet. Il est intéressant de noter que deux réformes seulement ont enclenché ce mouvement de réforme : celle de 2003 avec un alignement des règles de durée d’assurance requise, de revalorisation des pensions et de décote/surcote. Et celle de 2010 avec l’alignement du taux de cotisation salarial, l’extinction du départ anticipé pour les parents de 3 enfants et la réforme du minimum garanti).

Depuis, si des réformes ont été entreprises, rien n’a été prévu en matière de rapprochement public/privé la convergence. Pour autant, il reste du travail :

  • Taux de cotisations : si l’alignement prévu en 2010 concernait le taux de cotisations salarial, il ne concernait pas le taux de cotisation employeur qui auto-équilibre le régime. De plus, la mise en application du dernier accord Agirc-Arrco a conduit à une nouvelle augmentation des taux de cotisation pour les salariés du privé. Augmentation qui n’a pas été appliquée pour les fonctionnaires : le taux de cotisation salarial est donc inférieur de 0,21 pt à celui des salariés du privé ;
  • La prise en compte de la pénibilité : celle-ci continue de se faire sous la forme de classement en catégories actives dans la fonction publique alors que le compte pénibilité est individuel dans le privé ;
  • Les limites d’âge ;
  • Le mode de calcul ;
  • Les bonifications ;
  • Le minimum garanti ;
  • Les majorations de pensions pour 3 enfants ;
  • La pension de réversion.

Supprimer les régimes spéciaux : oui, mais lesquels ?

Dans une note récente, nous avions évoqué l’impact de la suppression des régimes spéciaux évoquée par le chef de l’Etat. Cette hypothèse a plusieurs fois été évoquée pour à la fois mettre fin aux corporatismes qui bloquent les évolutions nécessaires dans les entreprises publiques comme dans l’administration. Elle se justifie aussi par des objectifs d’économies. Dans une précédente étude nous avions estimé l'impact d'une montée en charge graduelle de l'alignement des modes de calcul pour les trois fonctions publiques à 3 Mds € d'économies d'ici 2030.

Aujourd’hui, la plupart des régimes spéciaux de salariés des entreprises publiques ont mis en œuvre des règles identiques pour les nouveaux entrants à celles en vigueur pour les salariés du privé (France Télécom, SNCF, La Poste, EDF-GDF dans une certaine mesure). Si un nouvel acte de réforme ne devait s'appliquer qu'aux nouveaux entrants à la RATP, les effets seraient tout à fait marginaux ! On compte, en effet, 1 027 départs à la retraite en 2019 à la RATP ! Seule la prise en compte de l'ensemble des agents de la fonction publique permettrait de réelles économies : 250 millions € rien que pour la fonction publique d'État.

Par ailleurs, il est nécessaire de clarifier la position des contractuels qui sont affiliés à la CNAV pour leur régime de base mais pas à l’AGIRC-ARRCO pour leur régime complémentaire, mais à l’IRCANTEC. L’IRCANTEC est un régime complémentaire en points réservé aux non-titulaires de la fonction publique. La loi pour l’avenir et la transformation de la fonction publique a souhaité développer la place des contractuels dans la fonction publique : quel régime leur sera applicable ?

Le second point qu’il est permis de critiquer est de réserver les réformes à venir aux seuls nouveaux entrants. Une mesure qui ne laisse présager des économies sur les dépenses de retraite des fonctionnaires que dans plusieurs années alors que, parallèlement, le souhait de relever la retraite minimum à 1000 € représenterait une dépense supplémentaire estimée entre 1 et 2 Mds € qu’il faudra bien financer. Un relèvement de l'âge est impératif pour combler les déficits liés au déclin démographique mais ne pourra pas servir pour gager toute dépense nouvelle.

Conclusion

Même si la proposition est intéressante en termes de simplification par rapport au paysage actuel, il faut relativiser l’impact d’une organisation à trois piliers et d’une suppression des régimes spéciaux qui ne remettrait pas à plat les règles applicables à la fonction publique. Elle ne résoudrait ni le problème de complexité pour les personnes de plus en plus nombreuses ayant des carrières dans la fonction publique et dans le secteur privé. Ni d’ailleurs la compréhension par les salariés du privé qui doivent anticiper une future retraite basée sur deux systèmes, l’un en points, l’autre en annuités. Elle ne résoudrait pas non plus la gouvernance de notre système de retraites : or comme le répète volontiers le COR, le pilotage des retraites est particulièrement complexe car il repose sur des leviers différents entre public (taux de primes) et privé (rapport indexation des retraites sur les prix et croissance des recettes indexée sur les salaires). Une organisation en trois piliers est donc loin de résoudre tous les défauts de notre système de retraite.


[1]https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/live/2021/12/15/entretien-d-emmanuel-macron-sur-tf1-et-lci-suivez-son-interview-en-direct_6106202_6059010.html

[2] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/11/09/adresse-aux-francais-9-novembre-2021

[3] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2020-12/Rapport_international_2020.pdf