Retraite : la convergence sera-t-elle en marche ?
Le haut-commissaire à la réforme des retraites a annoncé la fin de la concertation publique sur le projet de réforme. Les négociations doivent rentrer maintenant dans le dur, c'est-à-dire la rencontre avec les différentes représentations syndicales et patronales pour définir le futur système et ses paramètres. La loi devrait être présentée en 2019, probablement au second semestre si le calendrier gouvernemental n’est pas bouleversé par les évènements actuels. La presse s’est récemment fait l’écho de la rencontre de Jean-Paul Delevoye avec les responsables de l'association des DRH des grandes collectivités territoriales (ANDRHGCT). Au cours de leur échange, les représentants de l'association ont insisté sur les spécificités de la fonction publique territoriale et leurs inquiétudes sur la réforme à venir. Autant d'enjeux qui révèlent les difficultés à faire converger public et privé. Les représentants des DRH des collectivités appellent le gouvernement à ne pas être dans la caricature. La liste des acquis que l'association appelle pourtant à maintenir est longue et mesure l'effort considérable qui reste à fournir pour faire converger public et privé.
Premier point : le mode de calcul
Sur la base de simulations qu'ils ont réalisées, les représentants des collectivités l'affirment : en cas de changement du mode de calcul sur les 20 dernières années et sans prise en compte des primes (que l'on appelle régime indémnitaire dans la fonction publique territoriale), le taux de remplacement de catégories A+ devrait baisser de 52 à 45%, de 65 à 55% pour les catégories A, de 69 à 58% pour les catégories B et de 68 à 59% pour les catégories C. Soit un différentiel moyen de 15% environ. En euros, les pertes se situeraient entre 200 euros pour les catégories C et 500 euros pour les catégories A+Lire la note "Contribution pour la réforme des retraites" ANDRHGCT https://www.drh-attitude.fr/wp-content/uploads/2018/11/Contribution-retraites-vdef.pdf.
Ces chiffres sont très importants pour la Fondation iFRAP car pour la première fois ils sont la confirmation du travail que nous avons réalisé, en particulier dans l'étude "Aligner les retraites public/privé" en février dernier. Depuis des années pourtant, différentes études produites par le comité pour l'avenir des retraites, le conseil d'orientation des retraites, l'INSEE tendaient à minimiser l'impact du mode de calcul sur la différence de retraite entre public et privé. Ces différentes études étaient systématiquement reprises par les responsables politiques pour repousser toute réforme structurelle.
Pourtant grâce aux données que la Fondation s'était procurées auprès du ministère des Affaires sociales, nous avions été en mesure de mener des calculs, non pas sur des cas types, mais sur des carrières réelles. À partir d’un échantillon de 4 000 enregistrements, et nous en avions conclu que l’application des règles du privé aux agents de la fonction publique représenterait un différentiel de pension (moindre pension) de - 21% en moyenne.
Nos résultats sont donc corroborés par l'étude des DRH de la fonction publique locale, l'écart s'expliquant sans doute par une méthodologie un peu différente (20 dernières années pour l'ANDRHGCT contre 25 meilleures années pour l'étude iFRAP).
Cet écart nous avait conduit à recommander une remise à plat du régime de pension de la fonction publique dans la réforme à venir. Ce que les représentants des collectivités appellent de leurs voeux c'est une prise en compte des régimes indemnitaires (primes) dans le calcul de la retraite. Ce qui peut s'entendre mais uniquement si des cotisations ont été versées sur ces primes. Or actuellement elles ne le sont pas, sauf pour le régime additionnel de la fonction publique (RAFP) mis en place en 2005, qui est un régime de retraite par capitalisation assis sur les primes.
Les DRH invoquent le protocole dit "PPCRNégociation PPCR pour parcours professionnels, carrières et rémunérations" mis en oeuvre dans la fonction publique qui transforme une partie des primes des agents en points d'indice rentrant dans le calcul du traitement de base. Cette transformation revient en quelque sorte à élargir l'assiette de cotisation des agents, mais ce basculement est largement insuffisant à financer le différentiel de retraiteD'autant que les DRH des collectivités locales voudraient se servir de ce dispositif pour financer un congé de fin d'activité/cessation d'activité progressive.. Il néglige en particulier pour les collectivités locales, le déficit démographique que va devoir affronter la CNRACL, la caisse de retraite des agents locaux, car les cohortes les plus importantes d'agents embauchés pendant les premières vagues de décentralisation vont partir en masse à la retraite dans les prochaines années.
A rendement inchangé, les collectivités locales, comme les autres administrations, n'auront pas d'autres choix que d'augmenter le taux de cotisation, et notamment le taux de cotisation salariale, pour assurer l'équilibre du régime de retraite.
2e point de blocage : la pénibilité et l'âge de départ à la retraite
Les DRH des grandes collectivités locales proposent de sortir de l'opposition entre catégories sédentaires et catégories actives mais ne souhaitent pas adopter le compte pénibilité mis en oeuvre dans le privé qu'ils jugent trop complexe. C'est aussi ce que pense une grande partie des chefs d'entreprises du privé qui n'ont pourtant pas eu le choix que de le mettre en pratique.
Le compte pénibilité qui pose de sérieuses difficultés techniques en termes de suivi des salariés comporte quelques avantages. Il est individuel et permet théoriquement un suivi en cas de changement d'entreprise. Il doit permettre également d'exercer un recours à la formation et au temps partiel avant d'envisager en dernière hypothèse un départ à la retraite anticipé. Il fait l'objet d'une cotisation spécifique, qui doit inciter les entreprises à trouver des solutions pour éviter d'y être exposées. Tout le contraire de ce qui se pratique dans le public où les catégories actives sont des personnels sous statuts bien définis, qui ne font pourtant pas l'objet d'une surcotisation et qui donnent droit d'office à un départ anticipé à la retraite.
Les DRH des collectivités réclament une solution équilibrée pour les agents de la fonction publique territoriale, ils proposent d'intégrer les agents contractuels de droit public. Ils constatent que le vieillissement des agents et l'usure professionnelle entraînent une augmentation des arrêts longs. Ils soulignent également que les possibilités de mobilité professionnelle sont limitées. Un agent des routes dans les départements ne pourra pas forcément être reclassé dans un emploi de service à plusieurs dizaines de km de chez lui. Ces limites sont réelles mais bien liées au statut de la fonction publique et devrait aboutir à une vraie réflexion sur cette question.
Les DRH ne souhaitent pas que la future réforme conduise à reporter l'âge de la retraite alors que ces enjeux de RH (absentéisme, maladie chronique, maladie longue durée) pèsent lourdement sur les budgets des collectivités. Ils souhaitent au contraire pouvoir s'appuyer sur les départs à la retraite pour ajuster le nombre d'agents. Mais c'est de toute façon par une augmentation des cotisations retraites que se répercutera ce coût. Si la réforme devait conduire à un report de l'âge, les DRH réclament qu'il soit accompagné d'un effort important de formation mais indiquent que les collectivités ne pourront pas porter seules cet investissement. Une revendication excessive car les fonctionnaires figurent déjà parmi la catégorie d'actifs les mieux formés (dépense par individu double de celle du privé). Il faut donc d'ores et déjà s'interroger sur l'efficacité de cette formation.
La pénibilité ne pourra pas être résolue en refusant de toucher à l'âge de départ à la retraite : il faut au contraire poursuivre le recule de l'âge légal pour arriver à 65 ans en 2028. Cette mesure doit concerner tous les actifs. Elle redonnera de l'air au système (15 milliards d'euros de ressources supplémentaires d'ici 2025) sans aller puiser dans les réserves des régimes qui ont été les plus précautionneux. Elle ne fera qu'aligner la France sur la moyenne des pays européens alors que nous sommes champions des pays de l'OCDE pour le temps passé à la retraite (espérance de vie - âge moyen de départ à la retraite).
3e point de blocage : l'alignement public/privé
En plus des deux arguments développés plus haut, les DRH des collectivités réclament des paramètres au futur système de retraite qui augmenteront lourdement les cotisations alors que c'est au contraire des économies qu'il faut réaliser.
- réversion : les conditions appliquées aux agents publics doivent, autant que faire se peut, être étendues aux salariés du privé.
Rappelons que la réversion dans la fonction publique s'applique sans condition d'âge ni de ressources. Une telle mesure ferait augmenter très fortement le poids des retraites. La Cour des comptes avait estimé au contraire que l'introduction d'une seule condition d'âge pouvait permettre une économie de 116 M€ pour les finances publiques. Il n'y a pas non plus de condition de ressources comme c'est le cas pour les pensions de la Cnav. Le sénateur Jégou avait en 2010 demandé une simulation de cette règle aux pensions des fonctionnaires à la DGAFP. Il en ressortait une économie potentielle de 220 millions d'euros à 5 ans pour les trois fonctions publiques.
- majorations de durées d'assurance pour enfant : à l'avantage du meilleur système
Cette mesure avait été estimée par la Cour des comptes à +700 M€ pour les finances publiques mais qui pourrait être neutralisé par la suppression du supplément familial de traitement (770 M€ pour l’Etat)
- augmentation du plafond de cotisations avec un plafond variable selon les professions jusqu'à 8 fois le plafond de la Sécurtité sociale et possibilité de capitaliser une portion de la pension comme en Suède
De telles mesures feraient grimper fortement les cotisations salariales et employeur dans la fonction publique, alors que le CAS Pensions représente 50,1 milliards d'euros soit 57% des dépenses de rémunérations de la fonction publique d'Etat, à la CNRACL, les cotisations salariales représentent déjà 20 milliards d'euros soit 25% des dépenses de rémunérations brutes de la fonction publique locale.
Conclusion
Le seul point de convergence, finalement, c'est la demande de communication en aval des réformes et de la pédagogie pour garantir à chaque agent l'information sur ses droits et démarches. Les DRH estiment que la réforme des retraites à venir doit veiller à la qualité du service rendu aux agents publics. Le gouvernement ne doit pas oublier les errements du RSI ou de la mise en place du prélèvement à la source. Pour les cotisants, cela nécessite d’accroître considérablement l’information délivrée tout au long de la carrière, en plus des informations qui sont compilées au moment du départ à la retraite. En Suède, chaque année les actifs et les retraités reçoivent tous le même « Orange report » faisant le point sur le système global de retraite et une page faisant le point sur leur propre retraite. Ces enjeux sont un véritable défi pour toutes les caisses de retraite et pour tous les actifs, qu'ils travaillent dans le public ou dans le privé, qu'ils soient salariés ou indépendants.