Retraite à 60 ans : entre 20 et 40 milliards d'euros de coût
Les retraites constituent un sujet socialement sensible et économiquement considérable. Chaque mois, les salariés du privé, par exemple, se privent de plus du quart de leur salaire brut pour financer leur future retraite, et chaque année, 275 milliards d’euros sont versés à l’ensemble des retraités. Un montant cinq fois supérieur à ce que rapporte l’impôt sur le revenu. Il est donc naturel que ce thème soit traité pendant les campagnes présidentielles. Deux candidats au moins, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, se sont prononcés pour un changement important des règles, avec un retour de l’âge de la retraite à 60 ans et 40 annuités de cotisation. La Fondation iFRAP a évalué ces mesures à partir de différentes estimations possibles.
Marine Le Pen :
Jean-Luc Mélenchon :
Source : Comparateur sur ifrap.org |
Le dernier rapport de la Drees, Les retraités et les retraites – édition 2016, indique qu’en 2014, 702.000 nouveaux retraités[1] ont liquidé pour la première fois une retraite de droit direct avec un montant moyen brut de 1.322 euros. Ces chiffres sont restrictifs puisque la Drees indique que 859.000 liquident un droit direct en 2014 ce qui s’explique par le fait que les retraités étant très souvent affiliés à plusieurs régimes, ils peuvent liquider leur retraite en plusieurs étapes/dates. Le montant de 1.322 euros correspond au montant de la première pension liquidée. Le montant moyen de l’ensemble des pensions liquidées est de 1.422 euros. Enfin ces montants ne prenant pas en compte diverses majorations dont celles pour enfants, doivent être corrigées d’environ 10%, soit 1.564 euros en 2014 et 1.626 en 2018.
Avec ces hypothèses, l’avancement d’un an de l’âge de la retraite (par exemple de 62 à 61 ans) correspond à une dépense annuelle de :
Nombre de départs en retraite par an | Montant mensuel moyen des retraites[2] | Montant annuel moyen des retraites | Coût annuel pour une génération de retraités |
---|---|---|---|
700.000 | 1.626 | 19.512 | 13,6 milliards |
Un passage de 62 à 60 ans entrainerait donc un coût supplémentaire de 27,3 milliards d’euros par an. Bien entendu, la date d’apparition de ce surcoût dépend aussi du rythme avec lequel cette mesure serait mise en œuvre.
Ajustements
Il y a fort à parier que tous les retraités potentiels concernés poursuivront leur activité au-delà de 60 ans et ce en raison de trous dans leur carrière ne leur permettant pas d’avoir une retraite à taux plein à 60 ans, même dans l’hypothèse d’un retour à 40 annuités.
En admettant que seule la moitié des 720.000 décide de partir plus tôt c’est 13 à 14 milliards d’euros de coût supplémentaire pour le système de retraites.
De surcroît, ces nouveaux retraités cotiseront moins longtemps : si l’on retient que le taux de cotisation global (patronal et salarial) est de 27% environ du salaire brut moyen (2.956 euros bruts de salaire moyen pour les Français en 2014 selon l’INSEE), pour l’avancée de deux ans (passage de 62 à 60 ans), le coût sera aggravé de :
Nombre de départs en retraite par an | Salaire brut mensuel moyen | Montant annuel moyen des salaires | Coût annuel pour une génération de retraités |
---|---|---|---|
700.000 | 2.956 | 35.472 | 13,4 milliards |
Là encore, ce chiffre peut être minoré dans le cas où seulement une partie de la génération choisirait de partir à la retraite.
Dans tous les cas, le coût total (plus de retraités et moins de cotisants) se situe entre 20,3 et 40,7 milliards d’euros par an. On arrive à un chiffre assez proche de celui qu’on obtient à partir du simulateur du COR et que l’on applique au scénario 7% de chômage/2% de productivité un objectif de 60 ans en 2020 pour l’âge auquel les Français partiront en retraite. Le système présente un déficit de 1 point de PIB supplémentaire par rapport à la trajectoire actuelle en 2018, 1,5% en 2019, 2 points de PIB en 2020 et 2,1% en 2022 (chaque point de PIB correspond à 21 milliards).
Mesures d’équilibre
Pour que le système revienne à l’équilibre, il faudrait que les cotisations (ce que le COR appelle le taux de cotisation global) passent de 31,2% à 35,6% du salaire brut soit 14% d’augmentation, ou bien encore accepter que le niveau des pensions par rapport aux salaires (taux de remplacement brut) passe de 51,8% à 43,6% soit une baisse de 16%
À ces chiffres les candidats opposent deux arguments : le premier est que de toute manière, 30% des actifs de 60 ans sont au chômage. Qu’on leur paie le chômage ou la retraite, c’est pareil. Avec les effets positifs escomptés d’une telle loi, les nouveaux retraités seront remplacés par autant d’anciens chômeurs qui cotiseront à la retraite et dont on n’aura plus à payer le chômage.
Or l’indemnité moyenne à l’Unedic est de 1.056 euros sur 10 mois en moyenne, l’ « économie » annuelle est donc de 7,4 milliards d’euros si les 700.000 nouveaux retraités sont remplacés un par un par autant de chômeurs indemnisés. On peut aussi considérer que les nouveaux embauchés cotiseront pour la retraite ce qui devrait compenser le manque à gagner sur les nouveaux retraités. Et que les nouveaux embauchés cotiseront aussi pour l’Unedic et plus généralement pour les Urssaf, les impôts, etc. et devront donc équilibrer le compte des retraites.
Les candidats ont beau jeu également d’expliquer que cette mesure sera financée par une augmentation des prélèvements sur les revenus du capital. Or on sait que les 15,5% de prélèvements sociaux représentent selon la commission des comptes de la Sécurité sociale, 19 milliards d’euros en 2016 ! Cela signifie selon les estimations consacrer la totalité de ces prélèvements au relèvement de l'âge de la retraite, voire doubler ces prélèvements pour financer la mesure... Jean-Luc Mélenchon propose quant à lui de mettre à contribution les revenus financiers des entreprises mais cela représenterait une ponction importante sur les capacités d’investissement des entreprises françaises. Enfin, la suppression des exonérations fiscales en faveur de l’épargne retraite, aussi nommée retraite par capitalisation, ne représente pas, loin s’en faut, le compte (2.190 millions d’exonérations fiscales selon les chiffres du PLF 2017). Ces solutions semblent donc limitées.
Déjà le COR annonce qu'il faudra 15 milliards d'euros supplémentaires pour financer le déficit démographique
Au-delà des chiffres il apparaît surtout que cette proposition est irréaliste au moment où le COR projette (rapport janvier 2016) un ratio de dépendance entre seniors et actifs pire que prévu. Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le ratio de dépendance démographique entre les personnes âgées (60 ans et +) et les personnes en âge de travailler (20-59 ans) devrait être plus défavorable que prévu dans les prochaines décennies. Il y aura, selon les dernières projections, 1,61 actif pour un senior d'ici 2030, et 1,35 d'ici 2060. Le COR avait prédit un ratio de 2,33 jeunes pour un retraité en 2030, et 1,43 en 2060, dans une étude précédente. En conservant la date de départ en retraite prévue à 62 ans, il devrait manquer 10 milliards d'euros pour financer le système des retraites en 2040. En 2060, ce sont 15 milliards qui pourraient faire défaut alors qu’en juillet 2016, les experts envisageaient la possibilité d'un retour à l'équilibre financier à horizon 2020.
Les propositions des candidats de revenir à la retraite à 60 ans, outre le fait qu’elles ne sont pas finançables, sont basées sur l’hypothèse que les actifs sont des pions interchangeables et qu’un retraité peut être remplacé poste pour poste par un chômeur. Ce qui n’est pas le cas et ne s’est d’ailleurs pas vérifié lorsque par le passé on a pratiqué les préretraites massives à 55 ans ce qui n’a pas fait reculer le chômage. Cette vision d’un marché du travail figé à se partager entre actifs empoisonne notre politique économique depuis trop d’années.
[1] Un nombre qui fluctue entre 700.000 et 760.000 suivant les années, en fonction de la démographie et des réformes des régimes de retraite.
[2] Montant moyen perçu par les retraités en 2018, une fois toutes leurs pensions liquidées, hors retraites de réversion