Réforme des retraites : nouveau chiffrage et déficit à l'horizon
Alors que la réforme des retraites poursuit son examen au Sénat, il est temps de faire le point financier, entre les objectifs chiffrés par le Gouvernement et les concessions débattues au Parlement. L'équilibre du projet avant le début des discussions au Parlement est aujourd'hui fragilisé par les mesures négociées avec les groupes politiques à l'Assemblée et au Sénat. De plus, cet équilibre reposait sur des hypothèses économiques particulièrement favorables, notamment un taux de chômage de plein emploi établit à terme à 4,5%. Sans réforme, le régime allait vers un déficit de 13,5 milliards d'euros en 2030. La réforme d'origine prévoyait un retour à l'équilibre à cette date... mais avec les nombreuses concessions accordées, on se dirige vers un déficit de 1 à 2 milliards en 2030.
Lors de sa conférence de presse, le 10 janvier dernier, la Première ministre, Elisabeth Borne, avait présenté la synthèse financière suivante des principales mesures de la réforme :
Le débat à l’Assemblée nationale
Sous l’obstruction du débat à l’Assemblée d’une partie des députés, l’examen du texte n’avait pas pu aller au-delà de l’article 2. Peu de modifications avaient été faites par rapport au texte présenté par le Gouvernement (mis à part plusieurs amendements rédactionnels). Notons toutefois l’amendement du député Renaissance Marc Ferracci proposant de relancer le débat sur un système universel de retraites : « Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la possibilité, les conditions et le calendrier de mise en œuvre d’un système universel de retraite faisant converger les différents régimes et intégrant les paramètres de la réforme prévue par la présente loi ».
Entretemps, le Gouvernement avait clarifié et amélioré sa proposition concernant les petites pensions, notamment à la demande de l'opposition à l'Assemblée : la proposition d'une retraite plancher à 1200 € pour un retraité à carrière complète a fait l'objet de beaucoup de malentendus. Après plusiers affrontements sur le périmètre et le nombre de personnes concernées par la mesure, le ministre du Travail a finalement admis que 10.000 à 20.000 Français toucheront bien les 1200 €, loin des chiffres un temps évoqués. Mais un geste sera fait également pour les personnes d'ores et déjà à la retraite : 1,8 million de retraités actuels vont avoir une revalorisation pouvant atteindre de 70 à100 euros bruts. La Première ministre a encore récemment confirmé que l'e nsemble des mesures pour les petites pensions devrait finalement représenter 1,7 milliard d'euros à l'horizon 2030.
Le débat au Sénat
Le débat au Sénat a débuté le 28 février : la majorité sénatoriale a plusieurs fois proposé sa propre réforme des retraites comme à l’automne 2022, à l’occasion de la discussion du budget 2023, avec un ensemble de mesures similaires à celles proposées aujourd’hui par le Gouvernement à savoir : accélération de la réforme Touraine et report de l’âge légal à 64 ans. Le Sénat devrait donc suivre les propositions du gouvernement, au moins en ce qui concerne l’article 7 sur le report de l’âge.
Sur le reste du texte, seuls les articles 1 et 2 ont été discutés et adoptés :
- Sur les régimes spéciaux : Le Sénat a voté l’article 1 qui prévoit la fin des régimes spéciaux. Après l’article 7, le sénateur B. Retailleau compte porter un amendement qui reprend la mesure défendue régulièrement par la majorité sénatoriale, pour accélérer la convergence des régimes spéciaux. Le patron du groupe LR au Sénat défend une telle convergence au nom de l'équilibre du système et de la justice. En clair, il s'agit de revenir sur la «clause du grand-père» et de faire converger plus rapidement les régimes spéciaux vers le régime général pour aboutir à des règles communes en 2040. Le gouvernement y est opposé.
- S’agissant de l’emploi des seniors : Les sénateurs ont voté l’index seniors. Ils ont cependant relevé le seuil à 300 salariés pour être soumis à cette obligation. Ils ont également voté un contrat spécifique seniors : il s’agira d’un CDI accessible dès septembre 2023 aux salariés âgés de plus de 60 ans, exonéré de la cotisation employeur famille (taux de 3,45%).
Les sénateurs de tous bords ont voté la suppression de l’amendement de Marc Ferracci. En revanche, ils ont adopté un amendement qui examine la possibilité d’introduire une part de capitalisation collective obligatoire dans le système de retraite.
Les sénateurs ont l’intention de pousser un certain nombre d’amendements relevant de situations spécifiques :
- Les familles : Le chef des sénateurs LR propose de pousser pour une surcote de 5% pour les mères de famille avec une carrière complète et ayant atteint l’âge légal. D’autres propositions sont également sur la table (départ à 62 ans pour les mères de 2 enfants à carrière complète ; bonification de 5% dès le 2e enfant). Le gouvernement n’est toutefois pas très enthousiaste à l’idée d’avoir des âges différenciés entre hommes et femmes. Bruno Retailleau souhaite également une pension de réversion pour les enfants handicapés orphelins. Le groupe souhaite aussi faciliter les départs en retraite anticipée au titre du handicap (départ à 60 ans et non 62 ans).
- Les carrières longues : Sous la pression des députés LR, le gouvernement avait fait quelques aménagements à sa proposition initiale sur les carrières longues :
Pour mémoire, avant la réforme, le dispositif « carrières longues » permettait une retraite anticipée, à 60 ans ou avant 60 ans, l’assuré a commencé à travailler avant 20 ans ou avant 16 ans et sous condition de durée d’assurance. Pour les générations les plus jeunes (1973), il fallait respectivement 45 ans de durée de cotisation pour partir à 58 ans si l’assuré a commencé avant 16 ans, et 43 années pour partir à 60 ans, si l’assuré a commencé à travailler avant 20 ans. Ces curseurs auraient dû être reculés selon la logique d’allongement de la durée de cotisation et de report de l’âge mais le gouvernement a souhaité renforcer les possibilités de départ en carrières longues.
Il a donc maintenu les départs à 58 ans pour les personnes ayant commencé avant 16 ans. La possibilité de partir 2 ans avant le nouvel âge légal soit 62 ans serait maintenue pour les personnes avec une durée d’assurance complète et 4 à 5 trimestres avant leurs 20 ans. Enfin, une borne intermédiaire serait créée avec un départ possible à 60 ans pour une durée d’assurance complète et justifiant de 4 à 5 trimestres avant leurs 18 ans. Le gouvernement prévoyait en outre d’intégrer de nouveaux trimestres validés dans le calcul de la durée d’assurance requise comme les trimestres AVPF.
Puis, le gouvernement a présenté le 14 février un amendement au projet de loi en discussion en modifiant encore un peu les curseurs : la classe d’âge 16-18 ans verrait son âge de départ possible fixé à 60 ans, et la durée requise un peu réduite. Pour les 18-20 c’est la durée de cotisation qui serait un peu réduite. Pour le ministre de l’Économie, ces nouvelles concessions représentent un coût supérieur à la première mouture soit 700 M€.
Au Sénat, le groupe LR ne souhaite pas revenir sur ce qui a été négocié à l’Assemblée. Mais le rapporteur du texte pour la commission des affaires sociales estime que pour l’instant le résultat de la négociation n’est pas très clair et attend des éclaircissements de la discussion en séance avec le gouvernement. D’autres sénateurs de la majorité souhaitent que les concessions ne mettent pas en péril l’équilibre financier de la réforme. La juste estimation du coût des aménagements carrières longues en dépend.
Coût de la réforme
Pour financer ses engagements, l'exécutif avait initialement proposé un swap de cotisations de la branche AT-MP vers la branche retraite pour 1 point.
Le gouvernement a aussi ajouté durant la discussion une proposition pour revoir l'imposition des ruptures conventionnelles, mais cette mesure ne devrait rapporter qu'environ 200 à 300 millions d'euros.
Les sénateurs de la majorité proposeront de renforcer les mesures de lutte contre la fraude pour environ 100 M€. Il manque toujours 400 à 500 millions d'euros pour assurer l'équilibre. Des membres de l'Union centriste et du groupe Les Indépendants ont déposé plusieurs amendements pour relever la CSG sur le patrimoine de 0,5 à 3 points. Une option à laquelle ne souscrit pas le gouvernement pour le moment.
EN MILLIARDS D’EUROS | 2023 | 2027 | 2030 |
---|---|---|---|
Déficit prévisionnel du système de retraite | -1,8 | -12,4 | -13,5 |
Mesures du projet initial | |||
Relèvement de l’âge légal et accélération de la durée de cotisation | 0,3 | 10,3 | 17,7 |
Total des mesures d’accompagnement | - 0,6 | - 4,1 | - 5,9 |
Dont invalidité, inaptitude à 62 ans | 0,0 | - 1,7 | - 3,1 |
Dont carrières longues | 0,0 | - 0,4 | - 0,6 |
Dont pensions minimales | - 0,4 | - 1,5 | - 1,7 |
Mesures de recettes (swap AT-MP et CNRACL) | + 0,0 | + 1,5 | + 1,7 |
Solde avant passage au Parlement | -2,1 | -4,6 | 0,0 |
Mesures portées à l’Assemblée nationale | |||
Ajustements carrières longues | 0,0 | - 0,3 | - 0,7 |
Amendements non discutés éventuellement repris au Sénat | 0,0 | - 0,1 | - 0,15 |
Prélèvements sociaux applicables aux indemnités de rupture | + 0,1 | + 0,3 | + 0,3 |
Solde (avant passage au Sénat) | - 2,0 | - 4,7 | - 0,55 |
Mesure de financement Sénat | |||
Mesure fraude | + 0,0 | + 0,1 | + 0,1 |
Swap complémentaire AT-MP | + 0,0 | + 0,4 | + 0,45 |
Propositions de la majorité sénatoriale ; Mesure surcote pour les femmes, retraite progressive à 60 ans, handicap | 0,0 | - 0,2 | - 0,45 |
Autres mesures : CDI seniors | 0,07 | - 0,7 | - 0,8 |