Réforme 2013 des retraites : merci de ne pas oublier les régimes spéciaux
Les réformes des retraites, Balladur (1993), Bertrand (2003), Fillon (2007), Woerth (2010), ont modifié de nombreux paramètres des différents régimes mais sans changer l'organisation générale du système. La loi de 2010 précisait qu'une revue de fond serait faite en 2013, préparant une remise à plat complète. Le 12e rapport que le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) vient de publier, « Retraites : un état des lieux du système français », devait servir de base à ces décisions.
Mais, ce rapport ne traite pas des régimes spéciaux de retraite (Fonctions publiques, SNCF, RATP, EDF/GDF, Banque de France, Parlementaires…). Au moment où, pour le secteur privé, les partenaires sociaux viennent de décider une augmentation du taux de cotisation des actifs et une baisse du pouvoir d'achat des retraites, ce rapport doit être complété d'urgence.
Les rapports du COR ont toujours été appréciés pour les données qu'ils contenaient (taux de cotisation, nombre d'actifs, nombre de retraités, description des différents régimes, besoins de financement, scénarios, projections). Mais ils ont toujours été moins clairs sur les comparaisons entre les régimes publics et privés. Le dernier rapport publié (12e) a provoqué des interrogations de fond sur ce thème. Le Monde : "Le COR préconise uniquement des mesurettes techniques, il ne s'intéresse ou presque qu'aux salariés du régime général et il ne revient qu'à la marge sur l'inégalité" qui profite aux fonctionnaires. "Pour les régimes spéciaux, c'est pire encore : il n'y a pas une ligne sur le sujet". La représentante de la CFE-CGC : "On a le sentiment que seules les inégalités entre les salariés du privé sont abordées et tout l'environnement oublié". Ces lacunes sont graves à la veille de réformes de fond. Elles semblent voulues, les syndicats CGT et FO ne craignant pas d'affirmer que "les chiffres s'ils existaient ne montreraient pas de différences structurelles entre public et privé". Une confirmation sans ambigüité du parti pris de ces syndicats en faveur de ceux qui constituent la majorité de leurs adhérents (le secteur public).
Une évolution encourageanteAprès avoir préconisé un recul de l'âge de départ à 62 ans dès 2015 (au lieu de 2017 comme prévu par la réforme de 2010), le député socialiste Jean-Marie Le Guen a déclaré « souhaitable » un alignement du mode de calcul des pensions des agents de la fonction publique sur celui des salariés du secteur privé. « Je pense que ce serait souhaitable. Il faut une discussion préalable ». (déclaration dans une interview parue le 15 mars 2013 dans Le Parisien).
De son côté, Laurent Fabius a indiqué que la durée de cotisation et/ou l'âge de départ en retraite devraient tenir compte de l'allongement de la durée de vie. (déclaration sur BFMTV, le 17 mars 2013).
Et Henri Emmanuelli s'est étonné de rencontrer dans sa région des personnes qui auront passé plus de temps en retraite qu'au travail.
Les Quatre réponses du COR
Questionné notamment sur ce fait à France Inter sur cette lacune, son Président a invoqué quatre raisons :
1) on ne nous l'a pas demandé, 2) on l'a déjà traité, 3) il n'y a pas de différence entre ces régimes et 4) c'est un sujet conflictuel.
Quatre arguments peu convaincants à l'examen.
- Raison 1 : On ne nous l'a pas demandé
Le COR choisit de s'abriter derrière une interprétation restrictive de la feuille de route fixée par la conférence sociale de juin 2012 : « un état des lieux plus précis sera élaboré sur les thèmes de l'équité du système de retraite (égalité hommes/femmes, personnes en situation de handicap, pénibilité)… ». Chacune des trois sources possibles d'inéquités citées (hommes/femmes, handicap, pénibilité) sont en effet longuement analysées. Mais l'équité entre les différents régimes n'étant pas mentionnée par la conférence sociale, le COR ne lui consacre qu'un court paragraphe (page 110). En 2008, le niveau moyen des retraites des fonctionnaires et salariés des autres régimes spéciaux est de 1.757 euros par mois. Celui des salariés du secteur privé est de 1.166 euros par mois (pour les carrières complètes : 1.920 euros pour la fonction publique et autres régimes spéciaux, contre 1.520 euros dans le privé). Des écarts considérables qui interpellent fortement, mais les membres du COR se sont contentés de constater que « La diversité des règles et des paramètres génère des écarts de pension entre deux monopensionnés de régimes différents. Les conclusions à tirer de tels écarts ne sont pas évidentes. » Le rapport admet que « l'existence de règles différentes contribue à un sentiment, justifié ou non, d'inégalité de traitement, voire d'absence d'équité » mais ne fournit aucune description ni quantification de ces problèmes. Il est étonnant que le COR qui réunit de hauts responsables et des experts, n'ait pas fait preuve d'initiative et ait renoncé à étudier la principale inégalité entre Français, celle entre régimes de retraite publics et privés.
- Raison 2 : Tous les régimes sont équivalents
L'argument est classique : les taux de remplacement étant comparables dans le public et le privé, les différents régimes sont donc équivalents et équitables. Un argument qui est pourtant contesté dans le rapport même du COR « Rappelons que la simple comparaison des taux de remplacement ne permet pas à elle seule de juger de l'égalité de traitement entre des salariés ayant des statuts différents ». Le taux de remplacement est calculé comme le rapport entre le montant initial de la retraite et celui des derniers salaires perçus. C'est ce dernier facteur qui pose problème, le salaire des fonctionnaires étant presque toujours maximum avant la retraite, alors que celui des salariés du privé est très variable comme le COR l'admet « peu de personnes (du secteur privé) parmi les générations parties récemment à la retraite ont travaillé continûment à temps complet de 50 ans jusqu'à la retraite. » Une étude approfondie de ce thème a été publiée en novembre 2012 par la très officielle DREES [1] « Montant des pensions de retraite et taux de remplacement » qui montre que la moitié des salariés du privé ont eu une carrière « heurtée » entre 50 et 60 ans : « Moins de la moitié des salariés à 50 ans le sont toujours 10 ans plus tard ».
Évolution des salaires médians
Retraités de droit direct nés en 1942, en emploi salarié après 49 ans, régime général secteur privé, fonction publique civile et autres régimes spéciaux | Hommes | Femmes |
---|---|---|
Salaire à 50 ans | 2379 | 1670 |
Salaire moyen des avant-dernières années avant la retraite | 2276 | 1576 |
Lecture : entre 50 ans et les années précédant la retraite, les salaires médians baissent en euros courants. Mais comme dans le secteur public la Garantie de Pouvoir d'Achat assure au moins une stabilité du pouvoir d'achat, la baisse est donc plus forte qu'indiqué ci-dessus pour les seuls salariés du secteur privé.
Enfin, le seul constat du coût des différentes retraites aurait confirmé à cet organisme que ces régimes spéciaux bénéficient d'avantages considérables : pour les fonctionnaires d'État, le taux de cotisation employeur est de 69%, contre 15% dans le privé [2]. Ces surcoûts, qui sont en réalité non plus des cotisations, mais de véritables subventions, sont à la charge des contribuables ou des consommateurs. Pour les fonctionnaires des collectivités locales et des hôpitaux, le taux de cotisation employeur est de 27,2%, très inférieur à celui de la fonction publique d'État, mais déjà proche du double de celui du privé et en augmentation rapide.
Deux critères simples et incontestables démontrent que les régimes publics de retraite bénéficient de privilèges importants par rapport à ceux du privé :Critère 1 : financier
Si les retraités des régimes publics ne bénéficiaient pas de retraites nettement plus avantageuses que celles du privé alors que leur financement est de 2 à 4 fois plus coûteux pour l'employeur, il faudrait se demander où vont ces dizaines de milliards d'euros par an.
Critère 2 : implicite
Le refus farouche des fonctionnaires et des salariés des SNCF, RATP, EDF, GDF, Banque de France, etc. de rejoindre le régime général des salariés du privé démontre que leurs régimes spéciaux sont très privilégiés.
- Raison 3 : On a déjà traité la question des régimes des fonctionnaires et des autres régimes spéciaux
Ce 12e rapport devant servir de base à la prochaine réforme, reprend logiquement de nombreux sujets qui avaient déjà été traités ou évoqués dans les 11 rapports précédents. Le 7e rapport derrière lequel s'abrite le COR pour ne pas traiter cette fois-ci l'équité entre régimes, date de janvier 2010. Comme son titre l'indique, il était destiné à présenter un choix de réformes systémiques « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques ». De nombreux autres sujets étaient évoqués en introduction, mais sans focus particulier sur le sujet de l'équité entre les différents régimes de retraite. Il aurait donc été tout à fait naturel et nécessaire que ce nouveau rapport prenne position sur ces inégalités et rappelle par exemple l'écart considérable entre les taux de cotisation employeur du privé, et ceux de la fonction publique d'État et des SNCF, RATP, EDF ou GDF.
- Raison 4 : un sujet conflictuel
C'est la véritable explication du silence du COR, confirmant pourquoi le sujet n'a pas été traité auparavant : cet organisme qui doit atteindre une forme de consensus a choisi de ne pas se pencher sur ce sujet explosif. C'est évidemment un très mauvais signal pour la prochaine réforme des retraites. La perspective d'une réforme systémique qui est réclamée par la Fondation iFRAP et de nombreux autres groupes [3]s'éloigne, et avec elle la construction d'un système équitable Mais les salariés et les retraités du secteur privé n'accepteront certainement pas de nouveaux sacrifices sans que l'équité soit d'abord rétablie progressivement entre les régimes spéciaux et le régime général du privé.
Conclusion
Le secteur public est sur-représenté au Parlement (plus de 40%), dans l'exécutif, dans les cabinets ministériels et au Conseil d'Orientation des Retraites. Le risque de favoritisme, même inconscient, vis-à-vis des intérêts de cette catégorie est donc important. Au moment où des choix difficiles devront être faits, il est essentiel de rétablir l'équité entre les différentes catégories de Français. La suppression du seul jour de carence pour les arrêts maladie dans les fonctions publiques (contre trois pour les salariés du privé) a provoqué un choc dans l'opinion. Le maintien, ou pire l'aggravation, des inégalités entre retraites privées et publiques conduirait à une fracture et au développement d'un sentiment d'hostilité à la fonction publique et aux bénéficiaires des autres régimes spéciaux. Il s'est déjà fait jour dans une frange de l'opinion, le pouvoir n'a aucun intérêt à le voir se développer et est très risqué à terme pour cette population.
Déficits des régimes de la Fonction publique : camouflageDès son premier rapport, ce sujet a posé des problèmes au COR. Les régimes de retraite de la fonction publique ne sont jamais en déficit, puisque l'État les finance automatiquement chaque année. Mais le COR ne pouvait pas faire semblant d'ignorer l'augmentation des cotisations employeur réelles ou dites « fictives » qui seraient nécessaires pour combler les besoins de ces régimes. Pour disposer d'une base de comparaison stable, le COR avait décidé jusqu'en 2010 de considérer comme « normal » le niveau des cotisations employeur de l'État en 2000 (soit 40% et donc déjà nettement plus du double de la cotisation patronale moyenne dans le privé). Toute hausse était donc vue comme destinée à combler une sorte de déficit, et de permettre des comparaisons avec le secteur privé.
Dans son rapport de décembre 2012 (page 30), le COR a décidé soudain de changer sa base de comparaison et, comme il l'écrit de « remettre les compteurs à zéro » : le taux de cotisation « normal » est maintenant celui de 2011 (soit 68% : plus de quatre fois la cotisation patronale de référence dans le privé), faisant apparaître un régime à l'équilibre en 2011. Ce changement de thermomètre et par conséquent de base de comparaison, ,vise à minimiser indûment les besoins de financement par l'État des retraites de ses fonctionnaires. Un très mauvais calcul, très peu pédagogique, même pour les fonctionnaires en activité qui doivent réaliser que l'État et eux-mêmes sont face à un choix : financer soit les retraites soit les salaires.
Un changement du mode de calcul magique
En Mds € | 2010 | 2020 | 2030 | 2040 | 2050 |
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Fonctionnaires d'État – estimation 2007 | -8 | -14 | -22 | -30 | -36 |
Fonctionnaires d'État – estimation 2012 | 0 | -6,8 | -7,5 | -5,2 | -1,0 |
[1] Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère des affaites sociales et de la santé
[2] Le taux de cotisation salarié est de 10,55% dans le privé contre 7,85% pour les fonctionnaires, mais la réforme de 2008 a décidé un rattrapage progressif de 7,85% à 10,55 % d'ici 2020
[3] Le Sénat en avait fait une condition à son vote de la réforme de 2010. Les Verts, la CDFT, la MSA, Bichot, Piketty en avaient fait un objectif prioritaire pour la réforme de 2013/2014