Quel rôle pour la retraite par capitalisation dans la réforme systémique
Dans l’organisation que nous recommandons pour le futur système de retraites, il est nécessaire de prévoir un étage en capitalisation obligatoire (que nous évaluons à 2% minimum de cotisation sur la rémunération brute) en plus du régime unique par répartition. Il faut aussi inciter à la constitution d’une épargne individuelle par capitalisation. Aujourd'hui la capitalisation est marginale dans le panorama des retraites puisqu'elle ne représente que 1,8% des prestations versées en 2016.
Dans cette note, la Fondation iFRAP propose d'utiliser les actuelles cotisations qui n'ouvrent pas de droit à la retraite pour constituer une amorce de cotisation en capitalisation. Il s'agirait de transformer l'AGFF et, éventuellement, la différence entre le taux d'appel et le taux contractuel de cotisation à la retraite complémentaire, pour les transformer en cotisation obligatoire en capitalisation. Sur la tranche A, ces cotisations représentent tout de même 3,55% sur un total de 9,75% de cotisations de retraites complémentaires (Arrco uniquement).
Il faudrait par ailleurs mettre en place un cadre plus simple et plus incitatif pour l'épargne retraite facultative, individuelle et collective.
Dans son programme, Emmanuel Macron avait fait figurer explicitement le point suivant : "Mettre les régimes de retraite professionnels au service du financement des entreprises : sur les 130 milliards d'euros que représentent ces régimes, 15 à 20 milliards d'euros pourraient être réorientés vers le financement de l'économie réelle, et donc vers la création d'emplois et d'activités économiques (fonds de pension à la française)."
Qu’est-ce que la retraite professionnelle (ou supplémentaire) ?
La DREES réalise chaque année un bilan très complet dans son étude, Les retraités et les retraites, des retraites supplémentaires en France. Ces retraites par capitalisation aussi appelées retraites surcomplémentaires concernent des régimes facultatifs proposés aux salariés par certaines entreprises ainsi que les produits d’épargne retraite individuels. La loi de réforme des retraites de 2003 a créé les premiers dispositifs d’épargne retraite universels s’ajoutant à toute une série de dispositifs de retraite professionnels et individuels.
Les contrats d’épargne retraite supplémentaire sont des contrats financiers constitués en vue de la retraite avec deux modes de sortie : la rente ou le capital. Les contrats peuvent être à cotisations définies ou à prestations définies. Les contrats à cotisations définies dépendent des versements effectués, augmentés des intérêts. Ces contrats sont utilisés dans un cadre professionnel ou individuel. Les contrats à prestations définies s’engagent sur un montant de prestation définie à l’avance. Ces contrats sont utilisés dans un cadre professionnel. La prestation peut être différentielle (l’employeur s’engage à verser la différence entre un niveau de pension garantie et le montant des pensions versées par les régimes obligatoires) ou additive (la prestation s’ajoute aux pensions obtenues des régimes obligatoires).
Quels sont les produits ?A titre personnel : Le PERP créé par la loi de 2003 : il s’agit d’un contrat accessible à tous. Les cotisations sont déductibles du revenu imposable. La pension est reversée en rente mais une sortie en capital est possible pour l’acquisition de la résidence principale. Il est également possible de sortir en capital dans la limite de 20% au moment du départ à la retraite. A titre professionnel : Les contrats Madelin et Madelin agricoles permettent aux indépendants et non-salariés des professions agricoles de se constituer une épargne retraite avec une déduction fiscale sur les versements (contrats individuels) |
En 2015, 13 milliards d’euros ont été versés en cotisations pour l’ensemble des produits. Les contrats les plus souscrits sont dans l’ordre les contrats article 83, Madelin, Perco, Perp et article 39 avec respectivement 24, 22, 16, 16 et 11% des cotisations versées. A noter que les produits ouverts spécifiquement aux fonctionnaires (Préfon, Corem, CRH, etc.) représentent 645 millions de versements.
Les prestations versées 2015 s’élèvent à 5,7 milliards d’euros. Les contrats article 83 et article 39 représentent la moitié. 15% des prestations sont versées aux contrats destinés aux fonctionnaires. On note une baisse des prestations servies au titre des contrats à prestation définie. Les prestations sont versées le plus souvent sous forme de rente (83% du montant des prestations). Mais la totalité des prestations versées au titre du Perco le sont en capital. Pour le PERP ce sont les versements forfaitaires qui sont majoritaires (82%).
Le total des encours atteint 207 milliards d’euros : 161 milliards pour les contrats collectifs et 45 milliards pour les contrats individuels. La place de l’épargne retraite supplémentaire reste cependant très marginale puisqu’elle représente 4,3% des cotisations collectées au titre de la retraite et les prestations 1,9% du total des prestations services au titre de la retraite en 2015.
Même si le nombre d’adhérents est toujours plus nombreux pour atteindre 12 millions en 2015, les versements annuels restent faibles (68% des versements sont inférieurs à 1.500 euros annuels) et surtout les versements sont tardifs : 71% des adhérents ont 40 ans ou plus.
Ce qui est bien sûr insuffisant lorsque l’on sait qu’il faut 567 euros mensuels pendant 30 ans pour obtenir une rente de 1.000 euros par mois à 65 ans. Par ailleurs, pour être tout à fait complet, les données diffusées par la DREES montrent qu’en termes d’épargne collective en Perco, les versements dépendent surtout de l’abondement de l’employeur et que ces contrats sont d’autant plus développés (diffusion, montants) que les entreprises sont grandes.
Les recommandations de la Fondation iFRAP en faveur de la capitalisation obligatoire
La prochaine réforme des retraites doit être l’occasion de développer la retraite par capitalisation en plus du régime par répartition. Cet accroissement doit se faire à la fois en incluant un pourcentage de retraite obligatoire par capitalisation et en améliorant le cadre fiscal et social des dispositifs d’épargne retraite supplémentaire.
Cette relance permettra à la France d’augmenter substantiellement les fonds à destination du financement des entreprises et en particulier des PME. La France se singularise en Europe avec la très faible part d’actifs détenus par des fonds de pension : seulement 9% du PIB selon l’OCDE alors que la Suède est à 80% et la Suisse à 140% du PIB. Ce sont autant de capitaux qui manquent pour financer notre économie. N’oublions pas que 44,5% du capital des sociétés du CAC 40 sont détenus par des non-résidents.
C’est pourquoi, dans le cadre de la transition, il faut envisager que, le système dégageant suffisamment d’économies grâce aux mesures de report d'âge, on transfère des cotisations actuellement inscrites dans le système par répartition vers la capitalisation. Dans les régimes de retraites complémentaires, la cotisation AGFF (actuellement de 2 %) a été mise en place pour assurer le financement de la décision d’abaisser à 60 ans en 1981 l’âge de la retraite. On pourrait ainsi envisager que la cotisation AGFF, devenue inutile si l’âge légal est porté à 65 ans, puisse être transférée à la capitalisation.
Mettre en place un cadre plus simple et plus incitatif pour l'épargne retraite facultative
Alors que la France consacre déjà 14% de son PIB à financer les retraites et que les perspectives démographiques vont aggraver la situation des futurs retraités, il est impératif de recadrer notre fiscalité en faveur de l’épargne retraite, épargne longue qui irriguera notre économie, en tête des priorités. Cela implique notamment de faire des choix en matière d’exonérations fiscales et de ne pas favoriser par des niches fiscales l’épargne de court terme (par ex. livret A).
Pour y parvenir il est nécessaire de faciliter les sorties en capital et aussi de faciliter la convergence des produits destinés aux indépendants et aux salariés puisque l’on sait que les carrières sont désormais amenées à évoluer d’un statut à l’autre.
Cela implique aussi que l’Etat ne cède pas à la tentation, même en cas de "coup de froid budgétaire", de ponctionner les réserves qui sont constituées et qui auront vocation à terme à soulager les cotisations sociales prélevées pour financer les retraites. Autrement dit, il faut en finir avec l'augmentation continue du forfait social : passé de 2 à 20% entre 2009 et 2012 pour représenter aujourd’hui près de 5 milliards de recettes pour la Sécurité sociale, il faut en plus compter avec trois taux différents, 8, 16 ou 20 selon les cotisations et les supports d’investissement. Une telle instabilité est un facteur de défiance à l'égard d'une épargne qui est ourtant indispensable au pays.
Nous recommandons en matière d’épargne collective de promouvoir un cadre simple autour du Perco. Actuellement les versements faits par l’employeur ne sont pas soumis à charges sociales et sont déductibles du bénéfice net (mais plafonnés). Mais ils sont soumis au forfait social et à la CSG/CRDS. Pour le salarié, les versements sont exonérés d’IR (sauf les versements volontaires).
Au moment de la sortie, les versements en capital sont exonérés d’IR mais les plus-values sont soumises aux prélèvements sociaux. En cas de sortie en rente, celle-ci est imposée à la CSG/CRDS et à la CASA, et soumise partiellement à l’IR en fonction de l’âge.
Nous recommandons de baisser le forfait social ou de permettre une déduction du revenu imposable pour les salariés.
Pour l’épargne individuelle, nous recommandons de promouvoir un produit simple autour du PERP. Actuellement les versements sont déductibles du revenu imposable. Les sorties en rente sont soumises à l’IR dégressif en fonction de l’âge, à la CSG/CRDS et à la CASA. Les sorties en capital sont soumises à l’IR (sauf déblocage anticipé pour des raisons particulières) et aux prélèvements sociaux. Il conviendrait de faire comme en Allemagne et de promouvoir pour les personnes non imposables une subvention/prime prévue dans les contrats dits Riester. Il conviendrait également d’étendre les possibilités de sorties en capital qui bloquent actuellement les épargnants attachés à leur liberté de choix. Cette possibilité doit notamment être étendue pour l’achat de la résidence principale sans attendre l’âge de la retraite comme prévu actuellement. En effet, il faut considérer qu’être propriétaire de son logement constitue un avantage financier une fois à la retraite, les pensions n’ayant pas à être mobilisées pour payer un loyer.
Deux points resteront à arbitrer
D’une part quelle gouvernance donner à la capitalisation collective obligatoire ? Si l’on considère que le régime universel par répartition voulu par le président de la République inclura le régime de base et les régimes complémentaires, le pilotage devrait logiquement revenir à l’Etat. Dès lors, quel sera le rôle des partenaires sociaux aux commandes de l’Arrco-Agirc ? Les représentants syndicaux se verraient bien désigner au niveau des branches, un peu comme pour la prévoyance, les fonds qui seraient choisis. A noter que c'est un peu de cette manière que ça marche pour la Préfon. Dans le cas de l’ERAFP, les représentants des syndicats siègent directement au conseil d’administration avec les employeurs publics. La Fondation iFRAP n'est pas favorable à la désignation et qu'il faut au contraire favoriser la concurrence entre des supports, qui néanmoins bénéficieront d'un agrément préalable (type AMF).
L’autre point c’est l’articulation avec l’assurance-vie ? Beaucoup en France considèrent que l’assurance-vie joue en fait le rôle de l’épargne supplémentaire en prévision de la retraite et qu’il n’y a pas lieu de développer d’outil spécifique. Une substitution est cependant nécessaire : actuellement l'assurance-vie est limitée en termes de placement (réglementation solvency) et ne peut pas occuper suffisamment ce rôle d'irrigation des entreprises en matière de capitaux, à l'image de ce que l'on voit à l'étranger. Sur ce sujet il faudra revoir la réglementation et se souvenir que les fonds de pension à la française étaient une idée d'Emmanuel Macron, ministre de l’économie, mise en musique par la loi Sapin 2, et n’ont pas rencontré le succès escompté.