Les rapports du COR et autres : une communication à contretemps
En moins d’une semaine, deux contributions viennent d'être publiées faisant le point sur notre système de retraites : le rapport sur l’état de la Sécurité sociale, le rapport sur l’avenir des systèmes de retraites du Cor. Et la semaine prochaine devrait intervenir l’accord des partenaires sociaux sur l’avenir des retraites complémentaires. D’où une avalanche d’analyses et de propositions, qui ne rassurent pas sur le pilotage de notre système de retraites.
Il y a quelque chose d’incompréhensible dans la séquence de communication institutionnelle qui se déroule à propos des retraites.
Première étape
Lundi 8 juin, Marisol Touraine et Christian Eckert recevaient le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS). Ce rapport annonce un déficit maîtrisé du régime général de la Sécurité sociale à l’exception de l’assurance maladie.
Concernant l’assurance vieillesse, le rapport annonce un « solde » de 1,2 milliard (comprendre un déficit) qui devrait se redresser encore en 2015 pour atteindre 0,8 milliard. À cela deux explications :
La progression modérée des pensions (en raison d’une faible inflation et de l’impact de la réforme de 2010 avec un recul de l’âge légal).
Extraits du rapport à propos de la situation de la CNAV :
« Par rapport à un scénario tendanciel avant réforme, la loi de 2010 a permis de dégager une économie de 3,3 Md€. Cet effet est en partie atténué par les dépenses au titre de la retraite anticipée pour longue carrière qui ont poursuivi leur forte hausse en 2014 (+31,5% après +25,5% en 2013) pour atteindre 2 Md€. Elle fait suite aux assouplissements du dispositif introduit par les réformes successives (réforme de 2010, décret du 2 juillet 2012 et loi du 20 janvier 2014). »
La hausse des taux de cotisations
Extraits du rapport à propos de la situation de la CNAV :
« Les cotisations ont soutenu pour 2,5 points la croissance des produits du régime. Leur progression résulte, sur la période récente, des hausses successives des taux de cotisation prévues par le décret du 2 juillet 2012 (+0,1 point) et la loi du 20 janvier 2014 (+0,3 point) ; le taux de cotisation vieillesse s’élèverait ainsi à 17,25% en 2014 contre 16,85% en 2013. La croissance des cotisations sociales (+4% après +5,4% en 2013) est nettement supérieure à celle de la masse salariale plafonnée (+1,4% en 2014 après +1,2% en 2013). Ces hausses de taux ont majoré les recettes de la CNAV à hauteur de 2 Md€. (…) La part du produit de forfait social versé à la CNAV a été relevée à 80%, contribuant ainsi pour 2,6 points à l’augmentation des produits du régime. »
Et ce sont les mêmes effets qui produiraient en 2015 une réduction du déficit[1]. À la lecture de ces chiffres, le retraité ou l'actif serait tenté de croire que le plus gros est fait.
Deuxième étape
Mercredi 10 juin, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a rendu public son rapport annuel sur les évolutions et les perspectives des retraites en France. Il s’agit d’un document préparatoire à l’avis que doit rendre chaque année le comité de suivi des retraites, présidé par Mme Moreau, sur la soutenabilité de notre système de retraites. Ce processus de contrôle doit permettre de recommander au gouvernement d’éventuelles mesures correctrices pour revenir à l’équilibre si dérive il y a. Ces recommandations n’ont qu’une valeur indicative et le gouvernement n’est pas tenu de les mettre en œuvre. Néanmoins, cela doit permettre un pilotage au plus près des retraites.
Or, le moins que l’on puisse dire c’est que le rapport du COR n’est pas rassurant. Rappelons les hypothèses de chacun de ces scénarios (sachant que l'espérance de vie et le taux de fécondité sont fixés de la même façon pour les 5 scénarios).
Les conclusions sont moins « roses » que celles de la Commission des comptes de la Sécurité sociale :
Si déjà, le décalage de deux jours dans la publication des rapports est un problème qui nuit à la bonne compréhension de la situation des retraites, ce problème est renforcé dans la mesure où les périmètres couverts ne sont pas les mêmes.
Le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale ne traite « que » du régime général et fait le point à un moment donné, en l’occurrence 2014. Tandis que le rapport du COR porte lui sur l’ensemble des systèmes obligatoires de retraite[2] et donne une vision prospective, son analyse allant jusqu’en 2060 !
Autre problème, les perspectives de retour à l’équilibre varient fortement en fonction des scénarios du COR (3 points de PIB entre le meilleur et le pire des scénarios).
Difficulté supplémentaire, il est précisé en note des graphiques que ces résultats ne tiennent pas compte de la mise en place du compte pénibilité à partir de 2016 qui pourrait avoir un effet important en permettant un départ anticipé aux salariés ayant accumulé un nombre suffisant de points.
Enfin, il faut bien voir qu’il s’agit d’un équilibre financier pour l’ensemble du système de retraites ce qui ne signifie pas un équilibre dans chacun des régimes. Cela signifie que comptablement les excédents de certains vont venir compenser les besoins de financement des autres (ici aussi on ne veut pas parler de déficit).
Dernier problème, quelle probabilité que les scénarios proposés par le COR se réalisent ? Or, le COR lui-même relativise les meilleures hypothèses retenues pour les 5 scénarios.
S’agissant du taux de chômage, le graphique publié est assez éloquent, montrant que le taux de 4,5% n’a pas été atteint depuis 1980. D'ailleurs deux variantes ont été introduites avec un taux de chômage à 10% sous la pression des observateurs :
Idem pour la productivité :
« Lorsque l’on tient compte de la crise de 2008, les rythmes tendanciels de croissanec de la productivité apparente du travail et des revenus d’activité par heure se sont fortement ralentis : le rythme de hausse de la productivité horaire apparente du travail qui était de 1,7% par an en moyenne entre le début des années 1990 et l’immédiate avant crise s’établit à 1,4% par an en moyenne si l’on inclut les années après crise et jusqu’à aujourd’hui. » COR, p.22.
Productivité apparente du travail par heure travaillée
Ces éléments conduisent tout de même à relativiser la probabilité de réalisation de chacun des scénarios du COR. Et les scénarios A et B semblent de moins en moins réalistes.
Mais surtout, dernière difficulté que ne résout pas le rapport du COR, « la projection est réalisée à législation inchangée. Il n’est donc pas tenu compte des négociations en cours dans les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO ».
Troisième étape :
Or les négociations sur les retraites complémentaires devraient se conclure le 22 juin prochain. On peut donc s'interroger sur la validité de projections qui ne tiennent pas compte de l'avenir des retraites des salariés du secteur privé, soit environ 80 milliards d'euros sur un total de 280 milliards.
De surcroît les propositions avancées pour l'instant, notamment par le Medef, sont des mesures qui créeraient une vraie rupture avec la situation actuelle. En mettant sur la table un abattement sur la retraite complémentaire si celle-ci est prise entre 62 et 67 ans, la réforme qui se profile aurait un impact sur le régime de base également. Même si les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d’accord et repoussent l’accord à septembre prochain, leur cadre de négociation est très contraint puisque le taux global de cotisations ne doit pas dépasser un certain seuil (28% de taux global régime de base et régime complémentaire pour un salarié non cadre), taux que l’on tangente déjà.
Autrement dit, la seule perspective qui resterait si l’on ne veut pas toucher à l’âge serait une baisse des retraites qui pourrait prendre différentes formes (désindexation, réforme de la réversion, prélèvements supplémentaires sur les retraites, baisse du rendement du point dans les complémentaires, etc.)
Qu’il s’agisse d’un report de fait de l’âge de la retraite ou de la baisse des pensions des salariés du privé, il est en tout cas indiscutable que ces mesures créeraient une rupture dans le mouvement de convergence avec le secteur public. C’est donc un point essentiel à mettre au cœur du débat. Parler de l’équilibre du régime général de la Sécurité sociale en 2015 ou bien des perspectives du système de retraites en 2060 en occultant ce point est un débat un peu fumeux qui n’éclairera pas les Français.
On attend donc de voir quelles appréciations Madame Moreau et le comité de suivi des retraites seront en mesure de faire d'ici le 15 juillet. Si le comité se contente de conclure que dans l'état actuel de la législation, le régime reste soutenable et équitable, alors on pourra avoir de sérieux doutes sur l'utilité de ce genre d'instance.
[1] Au passage ce rapport montre bien un point soulevé par le rapport de la Cour des comptes à savoir que les hausses de cotisations effectuées par la CNAV ont préempté largement les marges de manœuvre à la disposition des régimes de retraites complémentaires pour assurer leur survie
[2] A l’exception de la RAFP