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Les caisses de retraite complémentaire

Une organisation historique devenue complexe et coûteuse

Les retraites complémentaires sont historiquement gérées par les partenaires sociaux. Le double mouvement de généralisation de la retraite complémentaire et d'unification des régimes des cinquante dernières années a conduit les différentes caisses de retraite complémentaire à se fédérer pour maintenir leur cohésion, organiser leur compensation et défendre leurs intérêts. Cette organisation en Fédération s'est faite d'abord au niveau de chacune des deux catégories Arrco et Agirc, puis dans un GIE dénommé Arrco-Agirc créé en 2002.

Ces fédérations et ce GIE sont donc les interlocuteurs des différentes caisses aussi appelées Institutions de retraite complémentaire (IRC) qui gèrent un ou plusieurs régimes de retraite. Mais pour en assurer la gestion, les caisses ont choisi de se grouper et de confier cette mission à des organismes de moyens. Dans la pratique, ces caisses ont créé des « Groupes de protection sociale » qui assurent une mission « d'intérêt général » de retraite complémentaire, mais qui ont étendu au cours des années leur champ d'action à d'autres activités de prévoyance, santé et épargne-retraite. Au final,l'organisation de la retraite complémentaire est devenue une pyramide d'institutions au fonctionnement complexe.

Obligatoires, les retraites complémentaires concernent plus de 30 millions de personnes salariées ou retraitées et les sommes manipulées par les 57 caisses se chiffrent en dizaines de milliards d'euros par an. Même si, dans les régimes par répartition, les sommes ne font que transiter dans les comptes, les montants sont considérables. En termes de chiffre d'affaires, elles se situent au 6e rang des entreprises françaises. L'activité principale de chaque caisse consiste à traiter des flux importants de collecte de cotisations, de paiement des retraites, de gestion des nouveaux retraités et de radiation des personnes décédées.

Avec l'informatique, ces travaux minutieux ont été considérablement simplifiés. Mais il reste que le nombre moyen de salariés par entreprise adhérente est faible, compliquant le travail des caisses. Par exemple, pour sa caisse Agirc, le groupe Mornay collecte les cotisations de 64 375 entreprises pour 348.787 cotisants, soit en moyenne 5 salariés par entreprise. Pour sa caisse Arrco, il collecte les cotisations de 177.881 entreprises pour 1.598.277 cotisants, soit en moyenne 9 salariés par entreprise.

Un découpage arbitraire du marché des adhésions des entreprises

En 1996, il existait 150 caisses Arrco ou Agirc ; en 2007, 34 caisses Arrco et 23 Agirc. Une politique de regroupement a été impulsée dès les premiers diagnostics de dégradation des comptes des régimes de retraite. En 2002, l'affectation des nouvelles entreprises aux différentes caisses a été revue et strictement encadrée. Elle dépend en premier lieu de la profession et de la convention collective et, si rien n'y a été prévu, du département où l'entreprise a été créée.

Caisses professionnelles : un découpage fin

Dans certains secteurs professionnels ou quand la convention collective l'impose, toutes les entreprises doivent adhérer aux mêmes caisses. Mais les affectations vont au-delà de ces grandes catégories. La description du partage professionnel des caisses Arrco/Agirc occupe un tableau de 16 pages en caractères fins. Ainsi, la vinification est attribuée à la caisse de Mornay, mais la fabrication des vins de Champagne à celle d'AG2R. La charcuterie est chez Malakoff, la boucherie chez AG2R.

De plus, dans certains cas, un sous-partage géographique est en place. Pour le commerce de l'ameublement, par exemple, ce sont les caisses d'AG2R et Prémalliance qui se sont réparti les 95 départements métropolitains. Pour l'hôtellerie-restauration, c'est plus compliqué. Les groupes Mornay et Malakoff se sont partagé les 95 départements, mais aussi les 20 arrondissements de Paris. À l'intérieur même d'une entreprise, certaines catégories de salariés doivent pourtant être affiliées à une caisse particulière, par exemple les VRP, les employés de maison, les journalistes pigistes et une quinzaine d'autres professions dont… les catcheurs. Pour le chef d'entreprise, savoir à quelle caisse cotiser devient un vrai casse-tête !

Caisses interprofessionnelles : un autre découpage

Quand les conventions collectives et les secteurs n'avaient rien prévu, l'entreprise était libre d'adhérer à la caisse de son choix. Mais, depuis 2002, le choix s'est réduit à deux caisses désignées par les fédérations Arrco et Agirc. Le partage est géographique, deux caisses « interprofessionnelles » sont disponibles dans chaque département, sauf à Paris où l'affectation s'effectue par arrondissement. Résultat, Ionis, par exemple, s'est vu attribuer le XVIIIe arrondissement de Paris et aussi la Saône-et-Loire. Et si dans le IXe, ce sont Réunica et Médéric, dans le IIe voisin, c'est D&O et Ionis. Mais même ce semblant de concurrence disparaît quand les deux seules caisses disponibles dans un département décident de fusionner. L'idée qu'en traitant des entreprises ou des secteurs géographiques homogènes, une caisse sera plus efficace est compréhensible. En réalité, les fusions entre caisses et l'évolution rapide des entreprises rendent cet avantage illusoire.

Une fausse concurrence

Si à l'origine une variété de caisses pouvait s'expliquer par des traditions industrielles ou locales, ces règles semblent maintenues dans l'intérêt des caisses contre celui des salariés et des employeurs. L'étrangeté du découpage actuel, résultat de l'histoire et de nombreux marchandages qui ont duré quatre ans, indique bien qu'il a été mis en place pour des raisons très prosaïques. Il s'agissait de moraliser les pratiques de démarchage d'entreprises par les différentes caisses. Avec des cotisations et des retraites identiques, les possibilités de différenciation sont très minces et des pratiques occultes sont inévitables. Le choix d'une caisse de retraite est fait par le chef d'entreprise après consultation - éventuelle - du comité d'entreprise et peut dangereusement dépendre de relations personnelles ou de groupes de pression.

Tout est fait pour éviter une concurrence frontale entre elles, mais les documents officiels montrent que ce sujet est très sensible. Les Règles de déontologie pour le recrutement des entreprises mettent en garde contre les « arguments présentant les régimes Agirc et Arrco sous un jour erroné ou fallacieux ». Des sanctions sont prévues contre les caisses qui tentent de recruter des entreprises par des « attitudes déloyales ». Comme on pouvait s'y attendre, la tension n'a pas été apaisée par ces nouvelles règles de partage. Les partenaires sociaux rappellent régulièrement qu'il est interdit aux caisses de retraite de démarcher les entreprises existantes. Les caisses ont bien protégé leur pré carré puisqu'en dehors de tout fait générateur (fusion, absorption, etc.), tout changement de caisse est interdit ! Une règle logique mais en contradiction totale avec la volonté affichée des caisses et des groupes de gagner des parts de marché.

En pratique, ces organismes mettent en avant le nombre d'entreprises, de salariés et retraités qu'elles ont « gagné » dans l'année, exactement comme le font les entreprises du secteur concurrentiel. La perte d'une grande entreprise est catastrophique, le gain, une opportunité à ne pas manquer. Il est néanmoins possible pour une filiale d'opter pour les caisses de sa maison mère, mais les conditions sont restrictives. La procédure dérogatoire mise en place est dite de « respiration », laissant entendre que la règle générale est l'asphyxie. En 2008, le groupe Valeo a réussi à réduire de huit à un le nombre de groupes de retraites complémentaires auxquels il avait affaire, et de quatorze à deux le nombre de caisses. Une simplification sensible pour ses salariés et ses départements du personnel, ainsi que pour les caisses de retraite elles-mêmes.