Démographie française : la face cachée des retraites
En France, la question des retraites tourne à la course aux prélèvements. Comme il y a déficit, on parle de le combler, donc de prélever de l'argent ailleurs. La Fondation iFRAP bataille pour démontrer que tel ou tel prélèvement aura des effets pervers. Mais la question des retraites a une autre face, celle des biens et services « réels » à fournir aux retraités. Cette approche montre l'inutilité des prélèvements et la nécessité de raisonner en offre de biens et services disponibles pour les retraités, ce qui n'est possible QUE par l'allongement du temps de travail, du moins à court terme. À moyen terme un « meilleur » travail peut atténuer le problème. A très long terme le facteur le plus important est une fécondité suffisante pour avoir suffisamment d'adultes dans 25 à 65 ans. Et ce « dès maintenant » suppose que l'on réforme profondément le système actuel. Reprenons chacun de ces points.
La retraite n'est pas qu'une question d'argent, il faut aussi maintenir l'offre de biens et services réels à fournir aux retraités
Tout d'abord ce n'est pas pour le plaisir de voir une somme dans son compte en banque que l'on s'inquiète du montant des retraites, mais pour utiliser cet argent. On veut s'assurer que l'on pourra continuer à louer son logement, ou en supporter les charges si l'on en est propriétaire. On veut des médecins, des infirmières et des garde-malades en nombre suffisant. On veut trouver un technicien pour réparer l'ascenseur, un chimiste et un pharmacien pour les médicaments, un éleveur et un boucher, un paysan et un marchand de carottes etc. Pour cela il faut des adultes en nombre suffisant, à l'endroit qu'il faut et avec les qualifications qu'il faut.
Or il suffit de regarder la pyramide des âges pour voir que si l'on garde la législation actuelle il y aura moins d'adultes en face de davantage de « vieux ». On l'admet d'ailleurs en disant qu'il n'y a pas assez de cotisants par rapport aux retraités, mais on met alors l'accent sur la source de l'argent et non sur ce que font concrètement les actifs, et l'on retombe sur la course aux prélèvements.
Améliorer les qualifications
Mais aucun de ces prélèvements, par exemple celui sur « les riches », ne va créer en lui-même les adultes dont nous avons parlé ci-dessus, car il n'y a pas eu suffisamment de naissances de 1973 à 1999, phénomène aggravé par le fait que les jeunes et les immigrants n'ont pas toujours eu les qualifications dont nous avons besoin aujourd'hui et dont les retraités auront besoin demain. Donc à court terme la moins mauvaise solution est de garder les gens qualifiés le plus longtemps possible en fonction. Accessoirement, pour les autres, et notamment les chômeurs, il faut laisser un maximum de liberté possible pour qu'ils se forment et travaillent là où il faut. C'est possible comme le montre l'activité de nombreux retraités bénévoles ou « auto entrepreneurs ». Encourager ces deux mouvements (maintien des gens qualifiés en poste et meilleure utilisation des autres) est du domaine du droit et de dispositions pratiques, et non de celui des prélèvements.
Cette meilleure formation et mobilité professionnelle n'aura pas d'effet massif instantanément, ce qui nous mène aux solutions à moyen terme. On pourrait y rajouter les préconisations des innombrables commissions ayant étudié les rigidités de l'économie française.
La question cruciale de la démographie
Passons maintenant au très long terme, c'est-à-dire à la fécondité d'aujourd'hui et donc au nombre d'adultes qu'il y aura au milieu du siècle. Remarquons tout d'abord que tout système de retraite a tendance à décourager la fécondité. En effet, dans les sociétés traditionnelles à forte mortalité infantile et sans retraite, ce qui est le cas encore d'une large partie de la planète, une des raisons d'avoir beaucoup d'enfants est qu'il reste au moins un garçon vivant lorsque les parents seront âgés, pour qu'il les prenne en charge. Lorsque ce problème est mutualisé par une retraite, c'est moins nécessaire puisque l'on peut compter sur les enfants des autres.
Mais dans nos pays « modernes » où les femmes ont un travail salarié, cela est aggravé par le fait que c'est la carrière des femmes qui sert de base à leurs cotisations, et donc à leur retraite. Les chiffres dont la presse nous inonde actuellement montrent en effet que les retraites des femmes sont beaucoup plus faibles que celles des hommes, car la grande majorité sont des mères. En effet leurs carrières sont souvent incomplètes, soit en nombre d'années, soit du fait de périodes à temps partiel, soit du fait de choisir de ne pas travailler « à 150 % », et donc de manquer certaines promotions. Certes une partie des mères (probablement les plus diplômées, car ayant le travail le plus intéressant, et, pour d'autres raisons, les fonctionnaires n'ayant pas opté pour le temps partiel) ont la même carrière que leur mari. Mais il reste toutes les autres. De même l'épargne sera plus facile sans enfants en cas de retraite par capitalisation.
Bien entendu, si tout le monde fait de même, la fécondité s'effondre et la retraite espérée s'effondre également en termes réels. Comme c'est un phénomène à très long terme, le lien n'est pas toujours ressenti.
Certains pays sont déjà touchés de plein fouet par ce choc démographique
Mais le très long terme finit par arriver. C'est le cas au Japon et cela le sera bientôt dans l'ensemble de l'Europe de manière beaucoup plus dramatique qu'en France. Là, comme le phénomène est massif et donc visible, les gouvernements de ces pays ont à la fois reculé l'âge de la retraite et commencé à avoir une « politique familiale » c'est-à-dire à soutenir financièrement les naissances. Il est bien tard pour beaucoup, car on ne peut revenir sur le passé, et, du Japon à l'Allemagne en passant par la Chine et la Russie, le manque d'adultes dans la pyramide des âges est gigantesque. On peut théoriquement pallier ce manque d'adultes par l'immigration, mais il faut savoir qu'il y a de moins en moins de pays jeunes et pauvres, et, sur les 20 années à venir, il ne restera guère que l'Afrique subsaharienne et quelques autres pays comme le Pakistan, le Yémen ou l'Afghanistan. Il est probable que les pays « importateurs » auront quelques réticences (c'est net au Japon), et que les immigrants en question n'auront pas tous le niveau voulu dans les spécialités voulues.
La tentation de sacrifier une politique nataliste pour son coût
Le problème est qu'une politique nataliste traditionnelle (allocations familiales, généralisation des crèches et des maternelles précoces) est très coûteuse. D'où l'idée d'encourager les mères par un « droit » qui ne serait monnayable qu'au moment où l'enfant est devenu producteur. Or ce moment se situe en général avant la retraite de sa mère. Donc tout avantage donné à cette dernière générerait une « dépense » déjà couverte par une « recette ». La forme de ce « droit » est à débattre (bonification, points gratuits, possibilité de départ prématuré...) ou sera fixée par le marché dans un système libéral. De telles bonifications existent déjà dans certains cas, et la tentation est de les supprimer pour faire des économies. Mon avis est qu'il faut au contraire les étendre. L'équité va dans le même sens : il n'est pas moral de vivre du travail des enfants des autres et de pénaliser celles qui les ont élevés.
Remarquons que tout ce qui précède est indépendant du système de retraite et s'applique aussi bien à la capitalisation qu'à la répartition. Pour cette dernière, c'est le manque de cotisants qui fait apparaître le problème ; pour la capitalisation, ce sera le manque de producteurs et de consommateurs qui diminuera la valeur réelle de l'épargne accumulée.
Yves Montenay est démographe, économiste et administrateur de la revue "Population et Avenirs".