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Un rapport met en exergue le tabou du nombre de logements sociaux occupés par les fonctionnaires

Le rapport que vient de remettre le député David Amiel « loger les travailleurs des services publics » propose la création d’un plan d'« Action logement du secteur public » afin de juguler la crise de logement que vivent les agents publics et qui commencerait à peser sur l’attractivité de la fonction publique. Problème ? Le rapport fait déjà le constat d’un accès plus important au parc social des agents publics par rapport au reste de la population à raison des dispositifs exceptionnels dont les agents publics bénéficient. Par ailleurs, le rapport présente d’importantes lacunes notamment parce qu'il s’intéresse au flux...mais pas au stock : en effet, impossible de savoir combien d’agents publics en activité ou à la retraite occupent actuellement un logement au sein du parc social. En outre, le rapport souligne 2 tendances : le maintien d’agents publics dans le parc social alors même qu’ils ont quitté la fonction publique et le maintien d'agents publics alors qu’ils dépassent désormais les plafonds légaux. 

La question centrale reste donc : quel est le pourcentage de logements sociaux occupés, aujourd'hui, par des agents ou ex-agents publics ? 

Premier constat : les fonctionnaires sont déjà mieux lotis que leurs homologues du privé

Premier constat du rapport, malgré le mal-être des fonctionnaires pourtant largement éligibles aux dispositifs de logement social[1] et intermédiaire, ces derniers sont mieux servis que leurs homologues du secteur privé. En effet, il apparaît d’après les statistiques publiées par le rapporteur que la part d’agents de l’Etat parmi les demandes de logements sociaux et parmi les attributions sont toujours nettement supérieures pour les secondes (hors Rhône-Alpes).

Ainsi sur le plan national les parts d’attributions sont supérieures de 0,4 point aux parts des demandeurs. Mais ce rapport s’envole en zones tendues comme en IDF (+3,3 points) et spécifiquement à Paris (+6,4 points) ou en région PACA (+2,5 points). 

Par ailleurs, même si légalement les administrations publiques disposent de contingents réservataires (qui ne sont pas tous d’ailleurs attribuable aux agents publics), les chiffres exécutés montrent qu’ils sont loin d’être atteints :

Bénéficiaires avec ou sans contingentement

Part théorique maximale

En pratique en 2022

Ecarts (point)

Réserve préfectorale globale

30%

20,30%

-9,7

dont pour les agents FPE

5%

2,40%

-2,6

Collectivités territoriales

20%

12,70%

-7,3

Action logement (ALS)

15%

11%

-4,0

Logements "libres" (autres entités, y.c. administrations) (3)

35%

56%

21,0

dont autres réservataires (2) 

4,4%

 
Attribuées par la CALEOL hors contingents (4)= (3)-(2) 

51,6%

 

Source : Mission, rapport (op. cit).

Ainsi, le contingent préfectoral théoriquement de 5% n’a été consommé qu’à hauteur de 2,4% sur le plan national soit moitié moins que son plafond théorique. Comme le relève le rapport sur « les 7 224 logements sociaux attribués en 2022 sur le contingent préfectoral de 5% (…) [ces derniers] ne représentent que 2,4% des attributions de l’année. » les explications avancées sont multiples : « certains logements mal situés, mal environnés ou en mauvais état peuvent ne pas susciter de candidats, des candidats désignés par le préfet peuvent se désister de sorte que le droit à réservation est « perdu pour un tour » [c’est-à-dire pour l’exercice en cours]. (…) Mais un tel taux de chute est anormal. »

Il est en effet curieux qu’alors même que l’Etat par l’intermédiaire du préfet dispose d’un droit exorbitant dans la mesure où « ce contingent gratuit est en exception dans le monde du logement social » celui-ci ne soit pas utilisé à pleine capacité au motif du refus des bénéficiaires potentiels désignés par ses soins.

La bonne mobilisation du 5% préfectoral en IDF via la plateforme BALAE

En Île-de-France, le contingent préfectoral de 5% est consommé à hauteur de 4,5%. En effet la DRIHL (direction régionale et interdépartementale du logement) qui centralise sa gestion au niveau régionale, pratique la « location choisie ». Elle anime la plateforme BALAE qui diffuse les offres auprès des agents de la FPE qui « peuvent choisir eux-mêmes les logements correspondant à leurs attentes de façon à minimiser les refus de location (…) ». Ainsi 70% des logements proposés aux agents se traduisent par la signature d’un bail. Mais cette plateforme reste « incomplet que la plateforme AL’IN mise en œuvre depuis 2020 par Action Logement au bénéfice des salariés des entreprises » outil qui est par ailleurs utilisés par les agents des administrations qui ont signées avec Action Logement. AL’IN permettrait de « réduire de 5% à 8% le taux de refus des logements proposés aux salariés du privé. »

Ces mauvais résultats doivent cependant être relativisés dans la mesure où « des réservations acquises dans le passé par « droit de suite », peuvent permettre d’attribuer des logements à chaque départ d’un locataire (…) sans entrainer une nouvelle dépense » lorsqu’en sus les ministères cofinancent le logement social et en retour bénéficient d’un droit de regard sur le stock (ces mouvements comprenant des nouvelles demandes et des mutations internes.

Une situation cependant dégradée mais des pratiques anomales qui jouent contre les nouveaux entrants

Le rapport fait effectivement le constat d’un accès de plus en plus difficile (mais comme tous les français) au logement social. Pour la fonction publique d’Etat en 2021, pour 90.000 demandes de logements d’agents, seules 14.000 auraient été satisfaites (15,5%). Pour le versant hospitalier, l’AP-HP (Assistance publique hôpitaux de Paris) recensait 2.400 demandes chaque année pour seulement 600 attributions/an en moyenne depuis 2019 (soit un ratio de satisfaction de 25%). 

Ces difficultés sont simplement à l’image de la situation nationale. Le rapport indique que l’on assiste à un phénomène de « goulet d’étranglement » produit par la baisse de 23% des mises en services de logements sociaux depuis 2015 (71.000 mis en service en 2022 contre 91.000 en 2015) avec en parallèle une diminution constante du taux de rotation. Au total, en 2022 alors que 304.000 logements avaient été attribués (hors mutations à l’intérieur du parc), 1,6 millions de demandes restaient en attente. Cependant, l’absence de documentation suffisante sur le stock des occupants et la mise en évidence de pratiques dérogatoires sont de nature à dégrader les chances d’accès des agents publics demandeurs. 

Un stock d’occupant mal documenté et des pratiques anormales identifiées

S’agissant du stock, l’enquête OPS (Occupation du parc locatif social) biennale, ne permet pas dans sa synthèse de mesurer l’importance des agents publics occupant le parc social (stock). La synthèse[2] renseignée ne sépare que les emplois stable, précaires, chômage, inactifs. Pour 2020, les bénéficiaires d’emplois stables représentent 35,7% des occupants majeurs du parc, les inactifs (retraités principalement, car non chômeurs par ailleurs identifiés 11,5%) représentant 43,1%. Sur ce point l’enquête réalisée par USH (Union sociale de l’habitat) indisponible en Open Data n’est guère plus précise[3]. Son millésime 2021 précise que pour l’année 2018, les retraités représentent 22% des chefs de ménages identifiés en 2018, tandis que les employés en représentent 26% auxquels il faut ajouter 12% de cadres et professions intellectuelles supérieures. Il n’est malheureusement pas possible de localiser la part d’agents publics ou d’ex-agents publics au sein du parc social. Cependant des éléments peuvent incliner à penser que les travailleurs du secteur public doivent être sur-représentés : ainsi dans une publication récente de l’INSEE[4] sur le logement des travailleurs essentiels durant la crise sanitaire, a mis en avant que les agents de la fonction publique représentaient 30,5% des travailleurs essentiels en Ile-de-France et que ces mêmes fonctionnaires représentaient 27,6% des salariés de 1ère ligne, 4,8% des relais de 1ère ligne et 67,7% des services publics du quotidien tandis que ces mêmes emplois sont situés à proximité de leurs lieux de travail (même EPCI) à hauteur de 55%, 51% et 66% respectivement. Pour les premières et troisièmes catégories, la forte proximité locale se traduit vraisemblablement par l’occupation d’un logement en NAS au sein du parc public des ministères et des collectivités territoriales ou au sein du parc social. Mais on ne peut pas aller plus loin. Cela offre simplement des ordres de grandeur sur un champ représentant sans doute environ 38% du parc (employés et cadres). Celui des retraités n’est pas connu (22%). 

A cet inconnu de l’occupation du stock de logement sociaux s’ajoute des pratiques anormales, liées à l’absence d’inclusion systématique de clause de fonction dans les contrats de location (voir infra). En pratique, la mission « a pu constater sur le terrain (…) [que] des personnels soignants entrant dans un logement social sur désignation de l’hôpital pourront en conserver le bénéfice s’ils choisissent de quitter le service public hospitalier » et de citer un exemple concret « en Haute-Savoie, certaines personnes une fois formées, partent exercer en Suisse mais conservent le logement réservé par l’employeur. » Pourtant il serait légitime que l’administration puisse « retrouver le contrôle de ces logements pour en faire bénéficier de nouveaux agents. » Il s’agit lorsque l’agent public change de fonctions ou de carrière, d’un détournement de l’intérêt général qui a présidé à son accès privilégié au sein du parc social.

Mais symétriquement pour que la clause de fonction puisse être exécuté il est nécessaire que le bailleur social vienne en appui de l’administration concernée pour que celle-ci recouvre sa capacité d’attribution à un nouvel agent public. « Elle nécessite enfin que ce bailleur se plie à cette demande, alors qu’il n’a en général aucun motif de se plaindre de ces locataires et peut préférer voir leur bail se poursuivre. » Car l’agent public est réputé solvable et en situation professionnelle stable. 

Des moyens conséquents mais disparates et à dynamiser

Tout d’abord comme on l’a vu plus haut, l’Etat bénéficie d’un droit gratuit d’attribution. Le préfet de département dispose d’un droit de réservation non limité de 30% de l’ensemble des logements sociaux dont 5% au plus bénéficie aux agents de l’Etat. Les 25% restants sont attribués aux ménages disposant de critères de priorité légaux (dont le DALO).

Les agents locaux peuvent également bénéficier du droit de tirage des collectivités locales sans contribution « Du seul fait qu’elle octroie sa garantie à l’emprunt contracté par le bailleur social (…), une collectivité territoriale peut bénéficier d’un droit de réservation » maximal de 20% des logements sociaux produits. Par ailleurs elle dispose de droits supplémentaires (plafonnés uniquement à raison des droits accordés aux autres réservataires) en cas d’apport de terrain ou d’une subvention aux projets.

Les ministères, opérateurs, groupes hospitaliers, collectivités, tout comme les employeurs privés au-delà de leur contribution au 1% logement (cotisation au financement d’Action Logement[5] ou PEEP[6]), peuvent s’acquitter d’une contribution financière leur ouvrant droit à des contingents de réservation supplémentaires, leur permettant suivant l’option choisie, soit une désignation unique, soit « un droit de suite » permettant sur une durée déterminée (20 ou 25 ans) d’en designer les nouveaux candidats en cas de départ des locataires primo-attributaires. 

Mettre fin au maintien dans les lieux est possible mais peu applicable en l’état

Jusqu’en 2023 les contingents de réservations s’appliquaient au « stock » de logements au sein de chaque programme. Désormais (hors Ministères de la Défense, forces de sécurité intérieure et les établissements publics de santé), les attributions sont réalisées sur le flux c’est-à-dire « sur une proportion des logements à attribuer dans l’année sur le territoire d’un département. » Il est donc beaucoup plus difficile pour les ministères concernés de suivre leurs stocks de bénéficiaires internes et de faire jouer leurs droits de suite sur ce stock. Dans les faits « les agents ayant bénéficié de l’attribution d’un logement bénéficient du droit au maintien dans les lieux (…) quelle que soit leur évolution professionnelle. »  

Or une « clause de fonction » existe afin de faire exception au « droit au maintien » selon l’article L.442-7 du Code de la construction et de l’habitation. Elle prévoit que « les ayants droit ne bénéficient du maintien dans les lieux en cas de mutation, de cessation de services ou de décès que pendant un délai de six mois. » Elle a en outre trois défauts : elle ne s’applique pas au sein du contingent préfectoral de 5%[7],  elle ne s’applique qu’à la FPE mais pas à la FPT et à la FPH et enfin son décret d’application n’a jamais été publié. Le rapport propose la rédaction d’une nouvelle « clause de fonction ». C’est une nécessité[8].  

D’une façon générale, la mission a tenté une évaluation de la contribution des ministères à l’offre de logement de leurs personnels respectifs. Il en ressort une enveloppe d’aides ministérielles converties en « équivalent subventions[9] », qui atteint 61,236 millions d’euros/an auxquels il faut ajouter la valeur des aides interministérielles (17,8 millions d’euros/an) et la valorisation du contingent préfectoral annuel de 5%, soit 136,85 millions d’euros/an. Au total la valeur des aides sous la forme de prêts à l’installation ou à l’accession, des droits de réserve de logements etc, ainsi que le contingent préfectoral représente près de 215,9 millions d’euros. 

En milliers d'euros

Aides et prêts à l'installationAides et prêts accession à la propriétéLogements réservésAutres et aides non ventiléesEnsemble des aides

Intérieur

0

451

21 725

21

22 197

Ministères économiques et financiers

6 500

4 431

5 970

430

17 331

Education nationale et jeunesse

662

0

7 107

0

7 769

Europe et Affaires Européennes

0

0

5 882

0

5 882

Justice

0

140

5 035

0

5 175

Armées

200

475

0

522

1 197

Culture

0

0

697

42

739

Autres ministères

81

237

404

225

947

Ensemble des ministères

7 443

5 733

46 820

1 240

61 236

Source : Mission, rapport p.23

En K€MontantsValeur
Aides interministérielles

17 802

8%

Valeur des aides ministérielles

61 236

28%

Valeur du contingent préfectoral de 5%

136 850

63%

Total

215 888

100%

Source : Mission, rapport p.23

Significativement la valeur des contingents gratuits préfectoraux représentent près de 63% de l’enveloppe dédiée par la fonction publique d'Etat (FPE). 

S’y ajoutent les « logements de fonction », dont les critères ont été redéfinis par un décret du 9 mai 2012[10]. Dès lors, la mise à disposition (MAD) est réservée à des fonctions déterminées pour lesquelles la NAS (nécessité absolue de service[11]) est constatée. Mais « ces logements ont été très largement mis en vente par l’Etat.[12] »

Pour la fonction publique territoriale (FPT) comme pour la fonction publique hospitalière (FPH), les aides au logement des agents de ces deux versants relèvent de l’initiative de chaque entité. En Île-de-France, l’ARS bénéficie d’une enveloppe dédiée à hauteur de 75 millions d’euros en 2023, ce qui permettrait à l’AP-HP de doubler ses attributions de logements de 600 logements/an à 1.200 logements/an sur la période 2023-2027. Mais les autres ARS ne bénéficient pas d’enveloppes similaires. Les collectivités locales comme on l’a vu plus haut peuvent mobilier une partie de leur quota de 20% maximal des logements du programme considéré ainsi que des réservations supplémentaires obtenue en complément d’une subvention au projet immobilier ou d’un apport de terrain, mais aucune donnée consolidée n’existe sur ces deux versants


[1] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/70-de-menages-sont-eligibles-au-parc-social, ainsi que le rapport de l’Ancols sur l’éligibilité au parc social https://www.ancols.fr/publications/statistiques-etudes/54-des-menages-residants-en-france-metropolitaine-sont-eligibles-aux-logements-plus 

[2] https://attributionlogementsocialetdalo.logement.gouv.fr/synthese-de-l-occupation-du-parc-locatif-social-a420.html 

[3] https://public.tableau.com/app/profile/union.sociale.pour.l.habitat/viz/hlm_chiffres_2021_version_iframe/Hlmenchiffres2021-leslocatairesHlmetlesdemandeursCatgoriesocio-professionnelledeschefsdemnageselonleurstatutdoccupation 

[4] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6690289 

[5] Qui leur ouvre droit à un droit de réservation de 15%.

[6] Soit 0,45% de la masse salariale de l’année n-1 pour les entités privées à partir de 50 salariés. 

[7] Réponse ministérielle du 6 avril 1989 du Ministre de l’équipement à la question écrite n°1038 https://www.senat.fr/questions/base/1988/qSEQ880701038.html 

[8] Elle doit être complétée comme le prévoit le futur projet de loi relative à l’offre de logement abordable, d’un durcissement des règles pour pouvoir rester dans un HLM pour faire sortir du parc les 8% des locataires qui n’y seraient plus éligible. Abaisser les plafonds à 120% des revenus de référence dès un dépassement au-delà de 18 mois, supplément de loyers etc. Il faudra que ces mesures soient intégralement applicables aux agents publics locataires du parc sans exceptions. Voir https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/immobilier-ce-que-contient-le-projet-de-loi-sur-le-logement-du-gouvernement-2092953 ainsi que https://www.leparisien.fr/economie/il-ny-aura-pas-de-tabou-les-mesures-du-ministre-du-logement-pour-resoudre-la-crise-du-logement-02-05-2024-6MPMODU4GZB7PGLI667BEY6QTU.php

[9] Cette clé de référence permet le passage entre des prêts « bonifiés » et leur équivalent en termes de subventions (avec effet de levier) : par exemple 10,5% pour un PTZ sur 15 ans, 3,5% pour un prêt à taux réduit de 1% sur 15 ans, 30,3% pour un prêt à taux de 0,5% sur 40 ans etc. 

[10] Décret n°2012-752 du 9 mai 2012 portant réforme du régime des concessions de logement.

[11] Définie comme des fonctions pour lesquelles « l’agent ne peut accomplir normalement son service, notamment pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de responsabilité, sans être logés sur son lieu de travail ou à proximité immédiate. »

[12] Ce qui pose la mise en cohérence entre la politique immobilière de l’Etat impulsée par la DIE (direction de l’immobilier de l’Etat) et les actions sociales des directions immobilières ministérielles. Et la nécessité de la transformer à terme en foncière publique, voir https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/142-milliards-le-cout-de-la-renovation-energetique-du-parc-immobilier-de-letat