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La France, championne européenne des jours de grève

Qu’importe la période étudiée par l'Institut syndical européen, la France fait toujours partie des États avec le plus grand nombre de jours de grève. Si tous les États affichent des années denses en conflits sociaux (le Danemark en 2008 avec 740 jours), ces mouvements sont passagers (moins de 7 jours au Danemark en 2009)… ce qui n’est jamais notre cas.

 

En février 2024, le groupe centriste du Sénat faisant le constat du chantage à la grève qui était en train de se dérouler à l’approche des Jeux olympiques a déposé une proposition de loi pour la « continuité du service public de transports et droit de grève ». Une loi adoptée par le Sénat en avril (majorité Les Républicains et union centriste)… mais que l’Assemblée nationale (majorité présidentielle à l’époque) a refusé de reprendre. 

À ce jour la loi est toujours dans les limbes. La proposition de loi visait à appliquer la méthode italienne en France en instaurant des périodes de 15 jours maximum (dans un seuil de 60 jours par an) où le Gouvernement pourrait interdire les grèves dans les services publics et les transports afin d’éviter les situations de blocage pendant les vacances scolaires…Le Gouvernement a critiqué l’approche de la proposition de loi « trop disproportionnée par rapport à l’intérêt général » pointant du doigt le risque que cette rédaction aboutirait à interdire toute grève durant « 20 semaines de vacances et 13 jours fériés » soit « presque la moitié de l’année ». Un problème rédactionnel qui aurait pu être facilement contourné en proportionnalisant davantage le dispositif annoncé: 

  • Le législateur pourrait ne viser que les veilles de vacances et leurs deux derniers jours, ce qui limiterait les grèves sur seulement 12 jours par zone (A, B, C). Avec une possibilité de modulation en fonction des zones.
  • Le législateur pourrait viser comme en Italie les périodes électorales.
  • Il pourrait également insérer spécifiquement la période du baccalauréat écrit soit 9/10 jours supplémentaires.

La mise en œuvre de cette loi permettrait notamment de mettre fin au chantage des grèves de Noël qui sont devenues traditionnelles puisque tombant dans la période de négociation des salaires à la SNCF. Entre décembre 2002 et décembre 2022, 14 mois de décembre sur 20 ont été perturbés par des grèves SNCF. En décembre 2023, pas de perturbation, les syndicats ayant annoncé privilégier une mise sous pression au début des Jeux de Paris.

Quel est le coût d’un jour de grève ?

Un jour de grève, cela coûte 20 millions € à la SNCF, 3 millions à la RATP et 8 millions pour Air France. L’économiste Marc Touati, lui, estime, qu’un jour de grève « dure » en France (représentant une baisse d’activité de 15 à 20 %) pourrait coûter jusqu’à 1 milliard € à l’économie française (sur la base qu’un jour ouvré = 10 milliards € de PIB)[1], mais cela, sans prise en compte de l’effet de rattrapage (reprise des activités suspendues au retour à la normale). L’économiste Denis Ferrand[2] souligne, lui, que le recours au télétravail a permis aux entreprises d’encaisser l’impact des grèves, notamment dans les transports. Il prend pour exemple le mouvement massif de grève de décembre 2019 qui n’aurait impacté la croissance trimestrielle « que » de - 0,1 à - 0,2 point. Soit 2 à 4 milliards pour cette année. Mais sur le coup, entre décembre 2019 et janvier 2020, les 36 jours de grève intersyndicale (SNCF, RATP, transport aérien, Opéra de Paris, hôtellerie, restauration) contre la réforme des retraites avaient atteint un coût, pour l’économie française, de 1,8 milliard €. Entre 0,1 et 0,2 point de PIB, c’est la perte généralement constatée pendant les années conflictuelles, 1995, 2003, 2010, 2019… et cela fait dire à certains que la grève ne coûterait pas si cher que ça. L’économie française se serait donc adaptée à la pratique des grèves en France… mais on ne connaît pas l’effet « repoussoir » que ces grèves à répétition peuvent avoir sur l’attractivité de la France et on oublie souvent l’impact des grèves sur nos finances publiques. François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes, rappelle, à raison, que la moindre perte de croissance aggrave directement le déficit public, entre 1,4 et 2,8 milliards € pour l’année 2019 par exemple[3]. Et dans le cas du secteur des transports et notamment la SNCF et la RATP, les grèves à répétition impactent automatiquement les résultats annuels des deux entreprises… qui bénéficient chacune d’importantes subventions publiques. 

Pour la SNCF par exemple 

Les 27 jours de grève cumulés en décembre 2019 ont fait passer le bilan 2019 de l’entreprise dans le rouge, avec un manque à gagner de 690 millions € contre un gain de 141 millions l’année précédente. La direction estimait à l’époque que, sans la grève, le résultat net de l’entreprise aurait pu présenter un gain de 313 millions €[4]. Dans une entreprise endettée à hauteur de 60,3 milliards € fin 2019 (dont 25 milliards € repris par l’État, à son compte, le 1er janvier 2020, 10 milliards supplémentaires au 1er janvier 2022) et qui coûte 20 milliards € pour les contribuables en 2022, c’est inadmissible. 

Même chose du côté de la RATP 

Lors du conflit social de décembre 2019 à janvier 2020, la perte financière enregistrée par l’entreprise était de 186 millions €, impactant le bénéfice 2019 du groupe de 35 %, ce dernier tombant à 131 millions € nets et le chiffre d’affaires de 4 % (5,7 milliards). Si les chiffres semblent bons, l’impact de la grève est, en réalité, aussi encaissé par la régie régionale, Île-de-France Mobilité (IdFM) qui réserve 48 % de ces subventions pour le fonctionnement des transports publics franciliens[5] à la RAPT. Pour IdFM, un jour de grève représente 3 millions € de pertes, correspondant aux pertes de recettes voyageurs (achat de tickets principalement)[6]

10 propositions pour rationaliser l’usage du droit de grève

ÉEric Ferreres, ancien secrétaire de la CGT des cheminots de Toulouse et aujourd’hui DRH des Transdev territoire IDF Nord, expliquait dans La Croix que « la France ne souffre pas d’un manque d’espace pour dialoguer, mais d’une mauvaise qualité des échanges »[7]


La pratique abusive du droit de grève actuellement exercée par les syndicats, doublée d’une approche systématiquement ancrée dans le blocage et un syndicalisme trop centré sur le secteur public ou dans les anciennes entreprises publiques (SNCF notamment) a détruit le dialogue social en France. En effet, quasi systématiquement, ce dernier n’a plus rien d’une négociation et de la recherche d’un consensus, mais tout du coup de force. Pour qu’un changement de mentalité s’opère, que les salariés français se ressaisissent des questions syndicales et que la pratique de la grève regagne en légitimité dans la société, la Fondation IFRAP propose 10 pistes d'amélioration: 

1. Faire la transparence sur les jours de grève de la fonction publique 

Consolider et publier les données sur les jours de grève dans la fonction publique territoriale et hospitalière : pour rappel, les données sont déjà existantes dans le RSU, soit le rapport social unique. 

2. Interdire la grève dans les transports pendant les périodes critiques

Reprendre la proposition de loi du Sénat pour adapter les dispositions du droit italien dans notre droit national pour garantir la continuité des services publics et de transports pendant les grands événements et les départs en vacances. Pour cela, il serait nécessaire: 

  • De mettre en place par voie législative, des périodes critiques où toute grève dans les transports terrestres de voyageurs est interdite (mettant fin de facto aux préavis de grève illimités dans ce secteur spécifique). 
  • Imposer que les préavis de grève dans ce secteur contiennent l’ensemble des modalités de la grève et de son achèvement (date de début et de fin de grève, modalités du service minimum, mesures de retour à la normale) et que sa notification au public soit connue au moins 5 jours avant le début de la grève comme en Italie. 
  • Définir les modalités d’un service minimum pendant les périodes de grève durant lequel 100 % des capacités opérationnelles sont mobilisées… mais par rapport aux capacités de fin de semaine (samedi et dimanche), à l’instar des modalités définies par les normes et la jurisprudence en matière hospitalière (tout en autorisant entre 33 % et 50 % comme dans les conventions IDF-Mobilités SNCF/RATP lorsque celles-ci sont plus importantes). Les modalités pratiques pourraient être définies par les AOT et les personnels nécessaires afin d’atteindre l’ensemble de ces objectifs. 

3. N'autoriser les grèves qu'en cas de support à 75% des salariés 

Comme en Allemagne, éviter les grèves « otages » où une minorité parvient à bloquer l’activité de l’entreprise et n’autoriser une grève que si les salariés l’approuvent par vote secret à 75 % des effectifs. Élargir ce principe à la fonction publique. 

4. Mettre fin aux grèves politiques et de soutien dans la fonction publique 

Redéfinir le droit de grève pour l’ensemble des agents publics : le droit de grève doit rester suspendu pour les fonctionnaires régaliens dont les policiers, les magistrats et les militaires. En revanche, il convient de le redéfinir pour les autres agents publics, qu’ils soient ou non titulaires. L’objectif est ici de lutter contre les grèves politiques et les grèves de « solidarité » qui pèsent sur nos administrations. 

  • Première option, définir clairement les possibilités de grève, comme les Allemands ont su le faire: la grève n’est légale que si elle porte sur les conditions de travail de l’agent. Les grèves « politiques » contre des lois votées au Parlement ainsi que les grèves de « solidarité » sont illégales et pourront être sanctionnées par une mesure de licenciement pour les agents sous contrats et de révocation pour les agents titulaires.
  • Seconde option, adopter comme l'a fait la Finlande en mai 2024, le principe d'une limitation à 24 heures des grèves politiques. En cas de non-respect, les grévistes devront payer une amende versée à l'employeur. 

5. Limiter la durée de validité des préavis de grève

Instaurer une limite ou une date d'expiration des préavis de grève afin de lutter contre les abus et les détournements qui existent aujourd'hui. Une durée de 2 semaines de validité des préavis de grève pourrait être décidée: c'est la durée maximale que vient d'adopter la Finlande pour les grèves dans le secteur industriel. 

6. Lutter contre les abus du droit de retrait 

Réformer et préciser les conditions d'ouverture du droit de retrait, que les syndicats utilisent pour faire grève sans préavis, et s'assurer de l'effectivité des sanctions en cas de détournements. Le droit de retrait ne peut s’exercer que si le travail "présente un danger grave et imminent" pour la vie ou la santé du salarié ou de l'agent.. Il ne s’agit en rien d’un droit de grève parallèle. 

7. Faire la transparence sur les accords de sortie de grève signés

Rendre publics obligatoirement tous les accords de grève, que cela soit pour les entreprises publiques et privées. 

8. Faire la transparence sur les caisses de grève des syndicats 

Au même titre que les associations qui doivent rendre public leurs comptes tous les ans, il faut demander la publication et la consolidation au niveau national des comptes des syndicats, en incluant les données autour des caisses de grève que ces dernières soient temporaires ou pérennes. 

9. Mise en place d'un «chèque syndical» pour inciter les salariés à adhérer à un syndicat 

Reformer le financement des syndicats et reprendre la proposition de 2017 d’Emmanuel Macron afin de mettre en place un « chèque syndical » : 

  • Chaque entreprise remettrait un chèque à chaque salarié qui ne peut pas l’endosser pour son propre compte, mais peut décider de le remettre (ou non) à l’organisation syndicale de son choix. Dans la société AXA où le chèque est en place depuis plus de 20 ans, un salarié sur deux décide, chaque année, de soutenir une organisation syndicale et ce financement fournit plus de la moitié du budget des sections syndicales. 
  • Une première étape pourrait être de transformer l’avantage fiscal issu des cotisations syndicales en un chèque syndical. Le montant du chèque pourrait être fixé à un plancher par la loi et augmenter par accord d’entreprise, ce qui permettrait de garantir un financement raisonnable aux syndicats dans les entreprises tout en renforçant leur implication auprès des salariés.

10. Faciliter l'émergence de nouveaux syndicats 

Faire officiellement sauter le monopole syndical au premier tour des élections professionnelles et communiquer auprès des salariés sur l'existence de candidats de listes libres. Mais il faut aussi, comme pour les politiques, limiter le nombre de mandats dans le temps des représentants du personnel car le syndicalisme ne devrait pas être une profession. Enfin, un maximum de cumul d'heures de délégation à hauteur de 50 % du temps de travail serait aussi un objectif à atteindre.
 

Retrouvez notre Société civile n°259: "En finir avec les abus du droit de grève" 

 


[1]Combien coûte une grève générale à l’économie française ? Capital.fr, 07/03/2023 

[2] ibid

[3] Croissance, dette... Bruno Le Maire rattrapé par la dure réalité, Le Point, 18/02/2024.

[4] La SNCF dans le rouge en 2019 après la grève contre la réforme des retraites, Le Monde, 28/02/2020.

[5] Le coût et le financement des transports publics franciliens, Fipeco, 27/09/2023 

[6] Grève à la RATP: des millions d'euros de pertes pour la journée, La Tribune, 13/09/2019. 

[7] Grève, l’exception française, La Croix, 02/04/2018.