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15 milliards d'euros : ce que nous coûte l'absentéisme des agents publics

Confronté à des perspectives budgétaires catastrophiques, le gouvernement a commandité une série de revues de dépenses pour trouver des économies. L’un de ces rapports concerne les arrêts maladie des fonctionnaires. Ce rapport présente les chiffres suivants : l’absentéisme représente entre 300 et 350 000 emplois ETP et coûte 15 milliards d'euros à l’administration. Un changement de règles d’indemnisation pourrait représenter jusqu’à 900 millions d'euros d’économies. Le rapport souligne aussi la nécessité d’améliorer le recueil des données et de mieux contrôler les arrêts de travail et formule des propositions de bon sens.

Le rapport réalisé par l’IGF et l’Igas[1] fait le point sur les derniers chiffres d’absences pour raisons de santé dans la fonction publique et précise que ces absences ont augmenté depuis la crise sanitaire. Les chiffres 2022 sont les suivants : 14,5 jours d’absence par an par agent dans la fonction publique contre 11,7 jours par salarié dans le secteur privé avec des différences par versant de la fonction publique :

  • fonction publique territoriale (FPT) : 17 jours
  • fonction publique hospitalière (FPH) : 18 jours 
  • fonction publique d’État (FPE) : 11 jours 

Lutter contre l’absentéisme est donc une priorité qui devrait permettre de réaliser des gains d’efficience par la réduction du nombre de jours d'absence, du coût de leur prise en charge et de la réduction du recours aux remplacements. Pour l’IGF-Igas, il s’agit d’enjeux d’attractivité pour les agents publics et d’équité avec le secteur privé, qui rappelle qu’en 2009, elle avait souligné « une faible sensibilisation à la question des arrêts maladie, une connaissance très parcellaire de leur niveau et une gestion de l’absentéisme quasi inexistante et inefficace » et constate que très peu de progrès ont été réalisés.

Les absences pour raison de santé 

Si les années 2014-2019 se sont caractérisées par une stabilité des absences, les années 2020-2022 ont connu une hausse, plus dynamique dans la fonction publique que dans le secteur privé :

  • de 6,9 à 10,2 jours d’absence par agent entre 2019 et 2022, soit + 48 % pour la FPE (hors enseignants) ;
  • de 5,5 à 11,7 jours d’absence par agent entre 2019 et 2022, soit + 113 % pour les enseignants ;
  • de 11,2 à 17,1 jours d’absence par agent entre 2019 et 2022, soit + 53 % pour la FPT ;
  • de 10,4 à 18,1 jours d’absence par agent entre 2019 et 2022, soit + 74 % pour la FPH ;
  • de 8,4 à 11,7 jours d’absence par salarié entre 2019 et 2022, soit + 39 % dans le secteur privé.

L’IGF-IGAS reprend la méthodologie de la Cour des comptes dans son rapport de 2021 sur la rémunération des agents de la fonction publique en arrêt maladie. Les jours d’absence pour raison de santé dans la fonction publique ont représenté entre 300 k et 350 k ETP selon l’approche retenue (bilans sociaux ou enquête emploi) et ont été rémunérés à hauteur 15 Md€ en 2022.

Le graphique suivant valorise les absences selon l'approche bilans sociaux :

estimation de la rémunération des jours d'absence pour raison de santé des agents publics par versant de la fonction publique

En outre, l’absentéisme pour raison de santé peut engendrer des coûts supplémentaires tels que le recours à des remplacements, intérims et heures supplémentaires. Cependant, les dépenses engagées ne sont que rarement isolables, comme cela avait déjà été dit dans le rapport de la Cour des comptes de 2021. À titre d’exemple, dans la FPT, 217 000 contractuels occupent un emploi permanent en contrat à durée déterminée dont 31 %, soit près de 72 000, affectés sur un poste en remplacement temporaire d’un agent titulaire au moment de leur recrutement. Dans la FPH, le recours à l’intérim permet de répondre aux vacances de postes et à l’absentéisme. Les dépenses d’intérim représentent environ 1 % du total de la masse salariale des établissements de santé.

Si les absences s’étaient maintenues à leur niveau d’avant crise (2019), c’est-à-dire à 6,4 jours par agent dans la FPE, 11,2 dans la FPT et 10,4 dans la FPH, le coût des jours non travaillés se serait élevé à 9,3 Md€ en 2022 contre 15,1 Md€ en 2022 toutes choses égales par ailleurs. Cela signifie que le potentiel d’efficience s’élèverait, pour l’année 2022, à 5,8 Md€ pour l’ensemble de la fonction publique.

De même, le potentiel d’économies en faisant l’hypothèse que le nombre moyen de jours d’absences soit équivalent à celui observé dans le secteur privé, serait de 2,93 Mds €.

Estimation des économies par un retour au niveau d'absences de 2019

L’IGF-IGAS estime que d’après les premiers retours statistiques pour 2023, une partie des économies ont été réalisées, notamment dans la FPH. En revanche, l’absence de données sur la FPT ne permet pas de mesurer l’évolution de la situation. 

Ce n’est pas la seule critique du rapport à l’endroit de la FPT : le rapport estime que les différences public-privé s’expliquent majoritairement par des effets de structure des emplois (emplois plus féminisés, plus exposés, population active plus âgée en moyenne …) Ces différences expliquent l’essentiel de la différence public-privé… sauf pour la FPT pour laquelle un écart « inexpliqué » demeure de 0,7 Md €, ce qui paraît être le minimum d’économies à rechercher. On peut discuter certaines des hypothèses retenues par l’IGF-IGAS[2], mais cela montre en tout cas que l’essentiel du problème se concentre sur les collectivités territoriales.

Chiffrage de l'écart inexpliqué des absences entre public et privé

Les leviers pour réduire l’absentéisme dans la fonction publique

L’IGF-IGAS examine deux pistes pour réaliser des économies :

  • le jour de carence,
  • la modulation du taux de prise en charge

Pour le rapport, le jour de carence a rempli son objectif de réduction des arrêts de courte durée et a représenté des économies budgétaires de 134 Md€ en 2023 pour le budget de l’État. Le jour de carence, rétabli au 1er janvier 2018, s’applique à l’ensemble des agents publics titulaires et contractuels civils et aux militaires[3]. Le rapport souligne aussi que plusieurs évaluations académiques mettent en avant une réduction des arrêts pour raison de santé de courte durée grâce au jour de carence même si elles sont plus réservées sur l’impact sur la durée globale des absences. Le rapport examine la possibilité de passer à 3 jours de carence, ce qui représenterait 289 millions d’euros d’économies. Une proposition qui fait réagir les syndicats de fonctionnaires qui soulignent que comparer au privé est un injuste dans la mesure où il y a une prise en charge par l’employeur. Si effectivement une majorité de salariés sont couverts par leur employeur au titre de leur convention collective, il existe des nuances. C’est effectivement la formule que l’on retrouve dans la CCN du Syntec[4]. Mais dans la CCN du commerce de gros, c’est au bout du 8e jour d’absence si l’arrêt de travail ne relève pas d’une hospitalisation ou d’un accident du travail[5]. La CCN des banques précise, elle, que l'indemnisation s'effectue dès le premier jour d'absence pour le 1er et 2e arrêt et dès le 4e jour d'absence pour les arrêts suivants sauf pour les accidents du travail, les accidents de trajet ou les maladies professionnelles[6]. La Fondation IFRAP a depuis longtemps milité pour qu’une règle équivalente soit mise en œuvre dans la fonction publique.

Part de la rémunération prise en charge lors d'un arrêt maladie de courte durée

L’autre piste c’est de revoir le barème de la rémunération des agents publics en arrêt maladie : ceux-ci font l’objet d'un jour de carence non rémunéré puis sont rémunérés par l’employeur, à plein traitement pendant trois mois. Dans le secteur privé, tout salarié en arrêt de travail bénéficie, après trois jours de carence, d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière de la Sécurité sociale permettant d’atteindre 90 % de la rémunération brute. Toutefois, le maintien du salaire par l’employeur est possible notamment en application d’un accord collectif de branche ou d’entreprise. Cela concerne près de 70 % des salariés du secteur privé, indique le rapport. Mais, là encore, on trouve certaines nuances que ne précise pas l’IGF-Igas : la CCN de l’immobilier indique par exemple que la règle des 90% s’applique aux salariés présents depuis plus de 3 ans dans l’entreprise[7]. Le Syntec précise aussi que l’employeur complète les sommes versées au salarié malade jusqu’à concurrence de ce que celui-ci aurait perçu, net de toute cotisation, non compris les primes et gratifications.

Ainsi, le maintien d’un jour de carence et l’application d’un taux de remplacement à 90 % dans la fonction publique conduiraient à un régime d’indemnisation lors des arrêts maladie du même ordre que celui du secteur privé. Une telle mesure permettrait de générer 900 M€ avec un taux de remplacement à 90 % ou et même 1,8 Md € avec un taux à 80 %.

Les autres pistes 

Le rapport se penche aussi sur les autorisations spéciales d’absence qui représentent 5 millions de jours par an, soit 23 k ETP dans la fonction publique pour une rémunération de 1,1 Md€. Ces autorisations prévoient la possibilité pour l’agent de s’absenter lorsque les circonstances le justifient : tels que le décès d’un enfant, le mariage ou Pacs de l’agent, la garde d’enfant, la réalisation des examens obligatoires au cours d’une grossesse, les visites et examens réalisés par la médecine du travail …

La loi de transformation de la fonction publique de 2019 avait prévu une clarification du régime des ASA. Le décret en Conseil d’État n’a pas été pris alors qu’il constituait une occasion de se rapprocher des règles en vigueur dans le privé. Le rapport préconise de privilégier le recours aux facilités horaires compensées ou aux RTT pour les fêtes religieuses ; aligner le quantum de jours d’ASA pour garde d’enfant sur le secteur privé ce que la Fondation IFRAP avait proposé, formaliser un droit à ASA pour décès d’un proche (hors enfant) pour harmoniser les pratiques dans la fonction publique. D’après les données disponibles, un rapprochement vers les autorisations d’absence en vigueur dans le secteur privé aboutirait à un gain de 310 k jours, soit 1 400 ETP pour un coût salarial de 67 M€.

Le rapport pointe aussi le très grand morcellement des systèmes informatiques de gestion des RH dans la fonction publique : si la généralisation des rapports sociaux uniques devait permettre d’améliorer la connaissance sur les absences, le rapport pointe des problèmes de fiabilité des données et des délais excessivement longs de publication des données (deux ans de décalage) qui limitent la comparaison entre versants de la FP et avec le privé. La généralisation de la déclaration sociale nominative (DSN) événementielle à tous les agents publics permettrait de faire un suivi régulier des absences dans la fonction publique.

L’information de l’employeur public pourrait être améliorée par la mise en place de modalités de transmission des arrêts de travail plus efficaces. Ainsi, la télétransmission des arrêts de travail qui poursuit son développement dans le secteur privé présente plusieurs avantages : une meilleure observance des durées indicatives d’arrêt par les médecins prescripteurs, une simplification des formalités de transmission des arrêts de travail aux caisses de sécurité sociale, une réduction significative des délais de traitement par rapport à la gestion « papier » et la facilitation des contrôles. Mais la télétransmission n’est pas prévue pour les avis d’arrêt de travail des fonctionnaires. Cette évolution a déjà été préconisée par la Cour des comptes en 2021 et pourtant le rapport ne constate aucune avancée sur le sujet. Autre point, le délai de 48 heures pour transmettre l’arrêt de travail à son employeur. Mais le rapport souligne que, tant le contrôle du respect des 48 heures que l’application de la réduction de la rémunération en cas de retard répété, ne sont pas systématiques.

Enfin, le rapport revient sur la vérification par l’employeur de la présence des fonctionnaires en congé de maladie à leur domicile pendant les plages horaires indiquées sur l’arrêt de travail. Un contrôle administratif peut être mis en place par le chef de service. Mais, en l’absence de disposition législative ou réglementaire, leur portée a été limitée par la jurisprudence du Conseil d’État. Une expérimentation du contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires par la CNAM a été conduite sur la période 2010-2018, mais n’a pas permis de cibler les contrôles de manière efficace et les suites données par l’administration aux contrôles ont été très faibles. Le rapport recommande de mettre en place une politique de contrôle qui s’inscrit dans une politique globale de lutte contre l’absentéisme.

Un angle mort du rapport IGF-Igas

Le rapport ne se penche pas sur les arrêts de travail pour accidents du travail. Pourtant, ces arrêts représentent un poids non négligeable dans l’absentéisme (9% des absences totales dans le secteur public, chiffre variable selon les versants de la FP). La couverture du risque AT-MP est assurée par l’employeur lui-même, sur les 3 versants de la fonction publique. Les employeurs de la FPH et de la FPT peuvent souscrire auprès d’une compagnie d’assurance, mais les coûts sont jugés très élevés. Le rapport Lecoq-Coton-Verdier sur la santé, la sécurité et la qualité de vie au travail avait proposé la mise en place d’un dispositif de cotisations AT-MP sur le même modèle que celui du secteur privé et d’expertiser la création d’un système AT-MP, avec des mesures incitant les employeurs à développer les actions de prévoyance (type bonus-malus).

 

 


 


[1] Inspection générale des finances et inspection générale des affaires sociales

https://www.igf.finances.gouv.fr/igf/accueil/nos-activites/rapports-de-missions/liste-de-tous-les-rapports-de-mi/revue-de-depenses-relative-a-la.html

[2] Le rapport argumente qu’il existe un lien entre absentéisme et satisfaction au travail, citant des travaux universitaires, qui concluent que l’absentéisme pour maladie dans la FPT serait pour partie la

résultante « d’un processus de démotivation au travail associé à un comportement volontaire de

retrait ».

[3] Dans le cadre des accords de protection sociale complémentaire, il a été convenu que les agents publics de l’État pourront adhérer à des garanties additionnelles proposées par des complémentaires, mais que la couverture du jour de carence sera exclue des garanties.

[4] https://www.syntec.fr/convention-collective/deplacements-et-changement-de-residence-en-france-metropolitaine-corse-comprise/#article-9-1

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALISCTA000005749949/?idConteneur=KALICONT000005635373&origin=list

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALISCTA000005745594/?idConteneur=KALICONT000005635780&origin=list 

[7] https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALISCTA000042096674/?idConteneur=KALICONT000005635413&origin=list