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Prisons françaises : 80.130 détenus pour 62.357 places

La population carcérale explose. Nous avons atteint en France au 1er novembre 2024 une population détenue de 80.130 individus, pour 62.357 places disponibles. Il en résulte une surpopulation moyenne de 28,5% (soit une densité de 128,5%). Comme toujours, cette mauvaise situation résulte de la dégradation des conditions d’incarcération des personnes en MA/QA (maisons d’arrêt/quartiers d’arrêts), soit des personnes purgeant de courtes peines ou en attente de jugement. Dans ces structures, la densité carcérale atteint un record, 155,1% en moyenne mensuelle. Désormais, plus d’un détenu sur deux se retrouve dans un lieu d’hébergement dont la densité carcérale dépasse les 150% (50,4%). Trouver des moyens supplémentaires pour compléter la livraison à venir de cellules de détention devient un impératif pour les pouvoirs publics. Et il va falloir devenir inventif rapidement sur le sujet. 

Une population carcérale qui explose :

Lors de notre dernier pointage en avril 2024, la densité carcérale de mars atteignait déjà les 124,6%. Au 1er novembre 2024 nous sommes déjà près de 4 points plus haut. 

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Source : Situation mensuelle carcérale, 2021-2024, administration pénitentiaire[1]

Désormais, près de 40.406 détenues sont incarcérés dans des structures présentant une densité supérieure à 150%. Une proportion qui n’a fait qu’augmenter depuis janvier 2021 – on est ainsi passé d’une proportion de 11,2% à près de 50,4%. Au 1er novembre 2024 plus d’un détenu sur deux était incarcéré dans un établissement présentant une densité supérieure à 150%.

Cette situation pénitentiaire critique s’explique d’abord par la faiblesse de l’augmentation du parc de cellules nouvelles disponibles : entre le 1er janvier 2021 et le 1er novembre 2024, le nombre de cellules disponibles a augmenté de 2,9% (passant de 60.598 cellules à 62.357 cellules, soit +1.759 unités nettes), tandis que la population incarcérée augmentait elle de 27,9% (+17.457 détenus) à 80.130 détenus.

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Source : Situation mensuelle carcérale, 2021-2024, administration pénitentiaire

La situation pénitentiaire actuelle s’explique ensuite par l’augmentation très importante de la population détenue en attente de jugement et/ou condamnée à de courtes peines. Placées en MA/QA (Maisons d’arrêt/quartiers d’arrêt), ces personnes sont en augmentation très importante depuis 3 ans, si bien que la densité moyenne des MA/QA est passée de 119,7% au 1er janvier 2021 à près de 155,1% au 1er novembre 2024, soit une augmentation de 35,4 points en 3 ans. 

Nous sommes ainsi très au-delà des projections les plus pessimistes du rapport Urvoas de 2016[2], qui pointait vers une population détenue sans variation saisonnière de près de 72.000 détenus en 2020, pour un horizon en 2024 linéaire si on le prolonge aux environs des 75.000… quand la constatation empirique dépasse dés aujourd’hui les 80.000.

Où en est-on de la production de cellules dans le cadre du PLF 2025

Comme l'indiquent les rapports parlementaires les plus récents annexés au PLF 2025, tant de l'Assemblée nationale que du Sénat, la production de cellules carcérales est très en retard par rapport à l'objectif initial fixé. Le programme 15.000 places était ainsi consommé à hauteur de 2.441 places fin 2022 (A.N.) et de près de 2.580 places environ en exécution 2022 d'après le Sénat, au lieu des 7.000 places produites prévues initialement. En 2023 1620 places ont été produites, et 400 places supplémentaires nettes en 2024, portant ainsi le total produit à environ 4.600 places en 6 ans, soit environ 766 places/an. Il resterait donc à produire entre 2025 et 2027 soit en 3 ans, près de 10.400 places, augmentées encore de 3.000 places dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice du 20 novembre 2023. Le programme 15.000 place devient donc le programme 18.000 places. Il est cependant raisonnable de penser que la majorité de ce programme s'étendra au-delà de l'année 2027. A la vitesse où vont les choses, les livraisons de places nouvelles en 2025 pourraient être comprises entre 800 et 1600 places au maximum. Si la borne la plus faible de cette estimation devait être retenue, 7000 places auraient été produites d'ici 2027 et non d'ici 2022. Il resterait alors 11.000 places à produire au-delà de cet horizon. C'est dire la lenteur de production qui est actuellement la nôtre en matière d'immobilier pénitentiaire et qu'il convient d'accélérer. 

Augmenter « provisoirement » et « durablement » les capacités carcérales publiques :

Pour faire face à cette situation inédite, plusieurs solutions de court/moyen/long terme sont possibles :

  • Tout d’abord faire appel à des dispositifs modulaires préfabriqués provisoires. La surdensité carcérale provenant des personnes en attente de jugement et les courtes peines, ces dernières pourraient se voir proposer ce type d’encellulement pour des séjours ne dépassant pas l’année. Nous avons déjà proposé cette alternative[3], qui a été expérimentée notamment en Australie. 

  • Transformation de navires cargos en centre de détention. Cette solution a été déployée notamment aux Etats-Unis[4], et pourrait être déployée en zone portuaire, moyennant des aménagements de quai et de structures.

  • Pour les détenus volontaires, explorer la mutualisation de capacités carcérales en Europe, sur le mode Hollandais, notamment en direction de la Belgique et de la Norvège.

  • Enfin, comme le relevait à l’occasion de la publication d’un récent rapport la Cour des comptes dans le cadre de la mobilisation des ressources immobilières du ministère des armées[5], celui-ci dispose de près de 25 millions de m² de surface utile brute (SUB), soit 26% du patrimoine immobilier de l’Etat, et 3,1 millions de m² de bureaux, soit 18%. Dans ce cadre, la DCSID (direction centrale du service d’infrastructure de la défense) devrait prendre attache avec l’APIJ (Agence pour l’immobilier de la justice) de façon à concevoir avec elle la conversion de certains de ses bâtiments les moins essentiels en MA/QA sécurisés. Y compris au moyen de la souscription de PPP. Le ministère de la justice paierait pour l’emploi de ces capacités des loyers budgétaires spécifiques, et le développement de ces infrastructures militaires mais confiées à l’administration pénitentiaire pourrait se faire sans accord des élus locaux concernés.  Il s’agit d’une solution de moyen/long termes à mettre en œuvre mais qui devrait pouvoir solutionner le problème du blocage spécifique des maires, lorsque des projets pénitentiaires touchent leur territoire, ce qui ralentit ou met à l’arrêt les programmes projetés. 


[1]https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/statistiques-mensuelles-population-detenue-ecrouee-0

[2]https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/164000599.pdf#page=36

[3] Voir notre note du 13 octobre 2016 https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/mettre-vraiment-fin-la-surpopulation-carcerale 

[4] Ibidem. 

[5] Cour des comptes, Bilan des cessions immobilières des armées, exercices 2006-2022 (hors Paris), Rapport d’observations définitives, 21 novembre 2024. 

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