Rémunérations dans la fonction publique : la fuite en avant ?
Il y a plusieurs manières d'augmenter les salaires des agents publics : augmenter le point d'indice, promouvoir les agents, laisser le mécanisme de la GIPA (garantie individuelle de pouvoir d'achat) rattraper mécaniquement l'écart (et même plus) avec l'inflation. Il y a aussi la solution adoptée par Marylise Lebranchu qui consiste à attribuer des points supplémentaires aux agents quitte à bousculer un peu les grilles indiciaires. La suggestion de la Fondation iFRAP à la ministre est de rédiger le prochain décret GIPA de manière à ne pas payer tous les ans des rattrapages d'inflation sur des salaires déjà revalorisés. Par ailleurs, les recoupements entre la GIPA et la bonification proposée devraient au mieux permettre d'économiser entre 10 et 15 millions d'euros. Ils seront malheureusement compensés par une augmentation mécanique de la masse salariale du secteur public comprise entre 535 et 810 millions d'euros. Une facture qui devra être payée au premier chef par les collectivités locales et le secteur hospitalier.
Le 26 juillet dernier, la ministre de la Fonction publique Marylise Lebranchu a cherché à faire un geste en direction des fonctionnaires, qui verront néanmoins leur point de fonction publique toujours gelé en 2014 (soit toujours 4,6303 €/mois). Désormais au 1er janvier 2014, les salaires des catégories C progresseront avec l'attribution discrétionnaire de 4 à 6 points de fonction publique supplémentaires à l'ensemble de ces personnels, ce qui devrait représenter un coût compris entre 222,25 € et 333,38 €/fonctionnaire/an. Pour les finances publiques non plus le coût ne sera pas nul dans la mesure où les charges devraient s'alourdir pour chacune des fonctions publiques dans les proportions considérables oscillant entre 545 et 818 millions d'euros comme le montrent les tableaux suivants : [1] :
Sources : DGAFP État de la fonction publique 2012-2011, Paris, 2013. Calculs Fondation iFRAP.
On constatera que l'effet n'est pas neutre. Même si nos données datent de 2010, elles permettent de mettre en évidence un coût pour les finances publiques compris entre 545 et 818 millions d'euros. Les contraintes étant par ailleurs très inégalement réparties, le coût pour l'État oscillant entre 117 et 176 millions d'euros, tandis que la fonction publique hospitalière (49,5% de catégories C) et surtout la fonction publique territoriale (75,9% de catégories C) devront en supporter le poids le plus lourd.
Cette bonification se cumulera [2] par ailleurs partiellement avec la GIPA (la garantie individuelle de pouvoir d'achat) dont la mise en place en 2008 [3] visait après la révision de la grille indiciaire en 2006, à compenser de façon automatique le différentiel compris entre la progression du salaire brut hors prime et l'inflation constatée pour les quatre ans précédant l'année de versement.
Que coûte de son côté la GIPA ? Les derniers chiffres disponibles sont ceux de 2011 pour la GIPA concernant l'État, et malheureusement toujours 2009 s'agissant des fonctions publiques hospitalière et territoriale. Les données sont les suivantes :
Pour l'État en 2011, 74.000 agents concernés pour un montant total de 62,6 millions d'euros
Pour les collectivités territoriales en 2009, 91.000 agents pour un montant de 38,86 millions d'euros
Pour le secteur hospitalier en 2009, 45.000 agents pour un montant de 33 millions d'euros.
Soit un total artificiel mais qui donne un ordre de grandeur d'environ 130 millions d'euros environ. Par ailleurs, la GIPA a la particularité de se « désactiver » en cas de promotion. Ainsi la GIPA est une alternative au GVT positif (glissement vieillesse technicité) qui représente la progression de carrière. Malheureusement, il y a fort à parier que le recouvrement avec la bonification attribuée aux catégories C ne sera que très partiel et donc les économies « à générer » entre les deux dispositifs très succinctes. En effet, d'après les derniers chiffres disponibles sur la ventilation de la GIPA par catégorie dans la fonction publique [4] :
les bénéficiaires en catégorie C de l'État 2.401 agents en 2010, pour un coût de 262.243 euros représentent un taux de recoupement avec les catégories C « bonifiables » de la FPE de 0,45%,
pour la territoriale en 2009, seulement 64.593 agents, pour un coût de 9,49 millions d'euros soit 4,7% des agents susceptibles d'être bonifiés au 1er janvier 2014,
et pour l'hospitalière la même année, où les chiffres sont encore plus rares, même à penser que les 45.000 fonctionnaires concernés soient assimilables à des catégories C, le taux de recouvrement ne serait que de 8,4% (sans doute beaucoup moins).
L'ensemble du coût GIPA des catégories C dans les trois fonctions publiques doit donc osciller entre 15 et 20 millions d'euros. Par ailleurs, la désactivation totale de la GIPA sera sans doute assez importante étant donné que l'attribution de points devrait représenter individuellement un gain supérieur au gain moyen de ces catégories au titre de la GIPA (on individualise en effet pour les mêmes années 109 euros en moyenne pour les catégories C de la FPE et 147 euros pour les catégories C de la FPT, soit un montant bien inférieur à l'attribution envisagée de points, pour rappel entre 222 et 333 euros [5]). Des économies ne pourront donc apparaître qu'à concurrence de la différence du côté GIPA, soit peut-être une économie entre 10 et 15 millions d'euros dans le meilleur des cas, contre un accroissement net des charges de personnel entre 535 et 810 millions d'euros pour l'ensemble de la fonction publique.
Concrètement, la « bonification » de points supplémentaires attribués aux catégories C reviendra pour l'État à accroître le coût de ses revalorisations catégorielles du double du coût annuel de la GIPA, puisqu'en ciblant les catégories C le gouvernement exclut en fait du dispositif la majeure partie des bénéficiaires réels de la GIPA (ce qui évite de faire de véritables économies de l'une par rapport à l'autre), tout en reportant sur les autres fonctions publiques des charges complémentaires « imprévues » s'élevant entre 4 et 5 fois ce qu'elle s'appliquera à elle-même.
Le test GIPA, le rattrapage du pouvoir d'achat des quatre années antérieures mais tous les ans !
La GIPA (ou garantie individuelle de pouvoir d'achat) devait permettre de rattraper le différentiel de pouvoir d'achat entre l'évolution indiciaire du traitement brut majoré (traitement de base) et l'inflation. Le montant représentant le différentiel d'inflation et de traitement estimé sur quatre ans consécutifs et liquidé la cinquième année.
Le problème pour les gestionnaires nationaux et locaux, c'est que le droit à la GIPA est ouvert tous les ans, sur les quatre ans précédents, sans y inclure les primes et donc a fortiori les GIPA déjà liquidées. Ainsi le différentiel est mathématiquement compté trois fois de suite pour les mêmes années, alors même que certaines de celles-ci ont pu se trouver déjà revalorisées. En interprétant les textes en leur faveur, les syndicats de la fonction publique réussissent à faire payer tous les ans ce qui était prévu tous les quatre ans [6]. Concrètement on constate ainsi que la GIPA liquidée en 2008, couvrait les années 2003 à 2007, tandis que la GIPA 2009 couvrait les années 2004 à 2008, les années 2004 à 2007 déjà revalorisées par la GIPA 2008 se trouvant à nouveau sollicitées sans correction pour l'année suivante etc.
Graphiquement la zone hachurée montre le différentiel entre l'inflation et la liquidation GIPA lissée, la GIPA réellement liquidée apparaissant par construction à la fin de la dernière année concernée et non à l'année suivante de liquidation afin de mieux rattacher la GIPA concernée aux années qu'elle garantit.
L'exemple type a été pris pour un fonctionnaire bénéficiant d'un indice 404 sur l'ensemble de la période. La partie hachurée montre le « sur-versement » par rapport à l'inflation réellement constatée. Quelques chiffres : en 2003 la "sur-rémunération" est de 8 euros par rapport à l'inflation, et passe à 688 euros en 2007 et même à 753 euros en 2009. On vérifie qu'à partir de 2012 (liquidation en 2013), la « prime » annualisée chute en réalité en dessous de l'inflation constatée.
La Fondation iFRAP propose qu'à tout le moins la GIPA liquidée soit réintégrée pour sa quotité annuelle déjà liquidée dans le calcul de celle de l'année suivante. Ou alternativement de ne rattraper l'inflation que tous les quatre ans, et non tous les ans. Il s'agit sinon d'un processus qui encourage les progressions « automatiques » de carrière.
[1] Les chiffres donnés sont ici estimatifs. Elles sont fournies au regard des chiffres publiés disponibles, en se basant sur les dernières données connues de la DGAFP dans son État de la fonction publique en 2012, publié par le ministère en 2013. Plus particulièrement les p.86 et 114. Voir, http://www.ladocumentationfrancaise…
[2] Nous allons voir en effet plus loin que le recouvrement éventuel avec la GIPA la « neutralisant » est relativement succinct dans la mesure où les catégories C représentent des effectifs relativement faibles s'agissant de la GIPA.
[3] Se reporter au décret n°2008-539 du 6 juin 2008 relatif à l'instauration d'une indemnité dite de garantie individuelle du pouvoir d'achat.
[4] Voir rapport DGAFP État de la fonction publique 2010-2011, p.204, 211 et 212 http://www.ladocumentationfrancaise…. Il est un fait étonnant que dans le montant comme dans les effectifs, la GIPA profite en réalité davantage aux catégories A et B qu'aux catégories C.
[5] Évidemment, cette appréciation varie nécessairement en fonction des profils de carrières et de la stabilité des situations et en fonction d'une inflation qui sera différente de la période considérée. Mais cela permet d'exposer le mécanisme d'un point de vue global
[6] C'est ce que l'on constate en « lissant la GIPA » c'est-à-dire en attribuant à chaque année le quota de GIPA qui lui revient, seule façon pour nous d'effectuer une comparaison pertinente avec l'inflation