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Quand la France évaluera-t-elle vraiment son stock de normes ?

... compter le flux, en nombre d'articles ou de mots, ne suffit pas !

Le Secrétariat général du Gouvernement et la DILA (direction de l’information légale et administrative) viennent de publier une mise à jour des données de leur publication annuelle « les statistiques de la norme ». Il apparaît que le flux normatif tend à décroître, mais que le stock quant à lui continue malgré tout à s’apprécier sous l’effet du processus de stratification. Il y a donc urgence à procéder à des actes de simplification (législatifs, réglementaires, infra-réglementaires) régulier afin de « maîtriser » le volume normatif général. En revanche il n’y a toujours pas de stock normatif évalué par nombre de normes, pas plus que l’usage des articles et des mots n’est utilisé pour les actes de transposition de l’UE ou pour les circulaires. Par ailleurs les flux sortants (normes ne constituant plus du droit positif) ne sont pas recensés avec précision. Bref, améliorer la transparence de l’information normative est un chantier largement devant nous. Quand aux obligations d’information associées à ce stock normatif et qui permettrait de documenter véritablement leur coût pour les particuliers et les entreprises (mais aussi pour les administrations), nous ne disposons d’aucune information. Il s’agissait pourtant pour nos voisins allemands d’un prérequis qui a été réalisé à compter de 2007

Un stock normatif imparfaitement renseigné et en hausse

La publication ne propose pas une vision à 360° du stock normatif, dans la mesure où les données ne sont pas totalement complètes et exprimées dans des métriques comparables :

  • Le stock normatif (droit consolidé) est exprimé en termes d’articles législatifs et réglementaires et en termes de mots, mais pas de nombre de normes. On peut trouver cette métrique plus efficace afin d’embrasser le « volume » du droit positif opposable, mais cela ne permet pas de réconcilier parfaitement le stock et le flux et par ailleurs, ce stock normatif ne comprend pas les circulaires. Or ce volume est connu, mais uniquement exprimé en termes de nombre de vecteurs et non de leurs composantes (articles/mots).
  • Le flux « entrant » est bien exprimé en termes d’articles et de mots, mais on ne dispose pas du flux symétrique sortant, formé par les dispositions normatives qui ne constituent plus du droit positif et qui en conséquence sont « retirées du stock ». Là encore les éléments fournis ne permettent pas de se faire une idée claire de ces flux en sens contraire. 

Néanmoins, plusieurs présentations permettent de se faire une idée plus précise des évolutions du stock normatif.

Entre 2002 et 2024, le stock normatif dans son ensemble a augmenté en nombre d’articles de lois (codifiées ou non) et de règlements (décrets et arrêtés en vigueur) de près de 163,7%, passant de 216.347 articles en 2002 à 354.223 articles en 2024. Soit +137.876 articles sur la période. 

Dans cette perspective entre 2023 et 2024, le stock normatif s’est apprécié de 1,8% sur un an, soit +6.302 articles. Cette tendance est en baisse par rapport à 2023 qui offrait une hausse du stock de 2%. Comparé à la moyenne de croissance sur la période 2003-2024 de 2,3%, 2024 voit un ralentissement de la hausse du stock de -0,5 point. La croissance du stock normatif décélère donc en 2024 par rapport à l’année précédente et par rapport à la tendance générale.

 2002-20072007-20122012-20172018-20222022-2024
Nombre d'articles législatifs codifiés

19,2%

27,9%

15,1%

9,9%

6,3%

Nombre d'articles législatifs non codifiés

13,4%

3,0%

14,2%

8,8%

0,8%

Nombre d'articles réglementaires codifiés

42,1%

38,6%

20,3%

7,4%

5,7%

Nombre d'articles réglementaires non codifiés

5,0%

3,8%

4,7%

9,1%

2,6%

Total

14,0%

14,3%

11,2%

8,7%

3,9%

Sources : Données SGG et calculs Fondation iFRAP mai 2024

Si maintenant nous classons ces données statistiques par quinquennats (révolus ou en cours), nous voyons qu’il existe un principe général de décélération de la croissance du stock normatif général depuis le mandat de Nicolas Sarkozy. Les flexions les plus importantes étant situées s’agissant des articles législatifs codifiés et non codifiés (avec des effets de « codification » qui se matérialisent par des « à-coup » sur les articles législatifs non codifiés) et sur le nombre d’articles réglementaires codifiés (là encore liés aux processus de codification).

En revanche il n’existe pas de processus de simplification suffisamment massif pour faire baisser le stock normatif dans son ensemble, exprimé en nombre d’articles.

Si maintenant nous nous attachons au bloc normatif et à son évolution exprimés en termes de nombre de mots, la dynamique est un peu différente :

La croissance du nombre de mots en 2024 (+2,5%) augmente +0,1 point par rapport à 2023 (+2,4%), soit une tendance inférieure à celle moyenne sur la période 2003-2024 qui s’établit à 3,4%. Entre 2023 et 2024 le stock normatif se sera enrichi de +1,14 mots, soit 46,49 millions de mots. Entre 2002 et 2024 le stock normatif a augmenté de 103,3% soit +23,62 millions de mots. 

La comparaison des deux cinétiques montre un effet de « bosse » pour la présentation du stock en termes de mots sur la période 2010-2012, ce qui correspond à la période de la crise Covid et des dettes souveraines, justifiant la mise en place de dispositifs exceptionnels et à durée de vie limitée.

Si maintenant nous exprimons de nouveau le stock normatif exprimé en nombre de mots par quinquennats :

 2002-20072007-20122012-20172018-20222022-2024
Nombre de mots législatifs codifiés

36,7%

24,5%

24,9%

20,0%

7,0%

Nombre de mots législatifs non codifiés

22,8%

14,5%

27,3%

17,1%

5,3%

Nombre de mots réglementaires codifiés

52,9%

38,5%

23,8%

16,0%

6,3%

Nombre de mots réglementaires non codifiés

7,0%

12,4%

7,1%

9,9%

3,1%

Total

21,0%

20,3%

16,6%

14,2%

5,0%

Sources : Données SGG et calculs Fondation iFRAP mai 2024

Il apparaît que la croissance du stock normatif devient de moins en moins bavarde, qu’il s’agit des textes législatifs codifiés ou non, des dispositifs réglementaires codifiées ou non. La tendance générale est à une augmentation de plus en plus faible du stock normatif en termes de mots

Le stock de circulaire continue décroître mais faiblement depuis la suppression du 1er février 2018 du Premier ministre qui a assuré un grand toilettage du stock de circulaires en vigueur : en 2024 le stock atteint 10.062 circulaires contre 10.153 en 2019. Le stock de circulaire apparaît donc comme maîtrisé mais nous ne disposons pas de la métrique en termes d’articles et de nombre de mots.

Des flux normatifs aux dynamiques contrastées

Tout d’abord s’agissant des lois promulguées (que celles-ci soient initialement des projets de lois à l’initiative du Parlement ou des projets de lois à l’initiative du Gouvernement), leur enrichissement en articles par la discussion parlementaire est très important en 2023 représentant +123,3% entre le nombre d’article initial 583 et le nombre d’articles promulgués (1.302 articles). Cet enrichissement est certes moins important que l’année précédente (162,5%) en 2022, mais clairement bien plus haute que la moyenne estimée entre 2002 et 2023 soit 104,4%.

Si maintenant on regarde le flux législatif lui-même exprimé chaque année en termes de nombre d’articles et de mots promulgués, la dynamique est différente :

Le nombre de mots tend à augmenter par rapport à 2022 de +47,5% (+182.196 mots[1]) tandis que les articles augmentent à hauteur de +14% (+160 articles[2]).

Par ailleurs le nombre général d’actes de transpositions de directives européennes est en baisse constante sur la période, ce qui montre une accalmie dans le cadre d’importation des normes européennes (en dehors des règlements qui sont d’application directe).

Sur le versant réglementaire, les flux montrent une décroissance sur moyenne période entre 2018 et 2023, qu’ils soient exprimés en nombre d’articles ou en nombres de mots :

Entre 2022 et 2023 on assiste à une baisse du nombre d’articles de 2.867 (-26,7%) et du nombre de mots (-458.869 mots) soit -20,9%. Sur longue période le nombre de mots s’apprécie légèrement en tendance, mais le nombre d’articles décroît clairement entre 2002 et 2023. 

S’agissant des circulaires enfin, le flux a été très fortement réduit depuis 2018. L’instruction du Premier ministre a eu donc des conséquences y compris sur le flux visible de manière tangible sur moyenne période :

Malheureusement, la métrique en termes d’articles et de mots n’est pas disponible pour vérifier que cette politique de maîtrise des dispositions interprétatives ne se traduit pas par des circulaires « à rallonge ». En tout cas la dynamique est très concrète et visible.

Quel est le nombre de normes de droit positif en 2023 ?

Cet élément manque au débat public. Combien de normes sont-elles en vigueur et produisent du droit en France en 2023 ? Si l’on comptabilise le nombre de normes émises depuis 2002 et jusqu’à la fin 2023, leur nombre peut être estimé à 42.525 dont 1.063 lois promulguées (656 issues de projets de lois et 407 de propositions de lois), ainsi que 41.427 décrets. L’ensemble de ces dispositions représentent 63,42 millions de mots. Or le stock identifié par le SGG sur ce même champ représente 45,35 millions de mots en 2023. Il y a donc eu un déclassement normatif représentant 18 millions de mots. Cela doit représenter un flux sortant d’environ 28,4%. On peut donc estimer que sur les 42.525 normes identifiées, le stock normatif en vigueur doit représenter 30.455 normes environ… sans que l’on puisse en détailler la composition. Nous sommes donc bien loin des 400.000 normes. Une constatation qu’a d’ailleurs fait récemment le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval[3].  

Mais ce stock est-il vraiment complet ? Pas si sûr. Il faudrait également y ajouter les circulaires interprétatives qui peuvent avoir une incidence normative largement non nulles (que l’on pense par exemple à la doctrine fiscale). Le stock de circulaire identifié est de 10.069 en 2023, qui devrait donc s’ajouter aux 30.455 normes identifiées comme en vigueur pour porter ce stock à 40.524 normes. 

Attention il s’agit du stock normatif théorique en vigueur en 2023, sur base des éléments fournis depuis 2002. Il se peut que d’autres normes existent qui n’ont pas véritablement été « déclassées ». Elles risquent alors de ne pas être « comptabilisées » en tant que telle dans le stock normatif identifié par le SGG. Or depuis 1956 l’activité législative a été intense. Par ailleurs les règlements européens sont d’application directe en France sans transposition. Si l’on consulte la base Eur-lex présentant les bilan annuels et mensuels depuis 1990[4], les règlements se sont élevés à 3.630 (hors modifications aux règlements existants). Il n’est pourtant pas possible à date de l’objectiver davantage. 

Conclusion

Le stock normatif semble toujours augmenter de +1,8% en 2024 tous vecteurs normatifs considérés en termes d’articles et de +2,5% en termes de mots. Mais cet inventaire n’est pas complet car il n’intègre pas le stock des circulaires exprimé selon les mêmes métriques.

S’agissant des flux cette fois, les flux législatifs restent dynamiques en termes de mots mais aussi d’articles (même si cette évolution est plus faible). En revanche le flux est faiblement enrichi par les actes de transpositions des directives (qui devient très faible). Même si là encore la métrique en termes de mots et d’articles n’est pas disponible. Les circulaires en flux d’actes semblent également bien maîtrisées en stock et en flux depuis 2018 (avec les mêmes réserves).  Le SGG pourrait rendre plus tangible ces évolutions en ajoutant les flux sortants (actes normatifs devenus caduques) et en exprimant les circulaires avec les mêmes métriques que les actes législatifs et réglementaires permettant d’avoir une appréciation « bouclée » du stock normatif en vigueur. On notera toutefois que la « maîtrise » des flux n’est toujours pas suffisante pour faire baisser « le stock » normatif qui s’accroît toujours chaque année inexorablement.

Ces lacunes renvoient à notre tentative de chiffrage du « stock » normatif par nombre de normes. Un travail que ne semble pas vouloir faire le SGG. Etonnant donc que le projet de loi relatif à la simplification en cours de constitution ne fasse pas la part belle à un organisme indépendant d’évaluation de la charge administrative adressée aux entreprises, mais au SGG lui-même. On court avec une telle proposition un risque d’enterrement de 1ère classe pour l’évaluation du coût du stock de norme qui pèse sur nos entreprises et nos particuliers.  


[1] Pour un total de 565.555 mots. 

[2] Pour un total de 1.302 articles. 

[3] Dans son dernier ouvrage, L’inflation normative, Editions Plon, avril 2024. 

[4]https://eur-lex.europa.eu/statistics/2024/legislative-acts-statistics.html