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Pour la rupture conventionnelle collective dans la fonction publique

A l’occasion d’un référé de la Cour des comptes en date du 22 décembre 2023, mais publié seulement le 25 mars 2024 à raison de la réponse ministérielle associée (22 mars 2024), les magistrats attirent l’attention sur la gestion (détermination et liquidation) de l’ISRC (indemnité spécifique de rupture conventionnelle) introduite dans la fonction publique dans le cadre de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, à titre expérimental (pendant 6 ans du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025). Or les magistrats remarquent que les éléments permettant d’en assurer l’attribution restent insuffisamment contrôlés, ce qui pourrait aboutir à des dérives. Dans sa réponse le ministre de la Fonction publique propose un certain nombre d’évolutions administratives pour s’en assurer ou y mettre fin. Ce qui est une bonne chose au moins à trois niveaux :

  • Dans le cadre des ajustements budgétaires massifs à venir pour pallier la dégradation de nos finances publiques, le recours à l’ISRC risque de rapidement monter en puissance dans les mois et années à venir. Il s’agit d’un dispositif clé de flexibilité permettant d’attribuer des primes de départs aux volontaires « sortants ».
  • Le dispositif doit être évaluée avant d’être pérenniser et donc permettre un traitement statistique des critères d’attributions et du profil des attributaires ainsi que du montant des indemnités versées.
  • Il faut s’assurer qu’une information standardisée des services RH dans les ministères et les opérateurs permette de vérifier que les garde-fous mis en place par le dispositif ne sont pas « contournés » et qu’une centralisation de ces informations est possible afin de pouvoir nourrir un rapport de suivi à produire d’ici la fin 2024 pour le Parlement.

Un régime théoriquement bien encadré qui n’est pas un droit mais une faculté de l’employeur

Le dispositif expérimental de l’ISRC a été mis en place pour 6 ans par la loi du 6 août 2019, afin de permettre une plus grande fluidité des parcours professionnels et d’ouvrir la possibilité aux agents volontaires de quitter la fonction publique avec une prime de départ le cas échéant. La Cour rappelle d’ailleurs à cet égard que l’ISRC « permet à un agent public permanent [titulaire ou contractuel en CDI] de quitter, avec l’accord de son employeur, la fonction publique et de percevoir une indemnité spécifique de rupture conventionnelle » symétrisant la faculté qui a été offerte dans le secteur privé aux titulaires de CDI de droit privé par la loi du 25 juin 2008 de modernisation du marché du travail[1].

Les magistrats rappellent à bon droit que « ce dispositif conventionnel ne constitue pas un droit pour l’agent qui la sollicite » mais au contraire d’une faculté de l’employeur pour faciliter le départ de l’agent concerné et qu’à l’instar du droit du travail, il peut en outre bénéficier de l’assurance-chômage[2]. Cependant dans les faits, son attribution semble systématique et les statistiques de la DGAFP en font foi. 

Le dispositif est en outre encadré par des critères qui ne rendent pas cependant impossible tout contournement :

  • L’indemnité doit être remboursée « si l’agent, dans les six années suivant la rupture, est recruté en tant qu’agent public pour le même employeur ou, pour un agent de la fonction publique territoriale, « auprès de tout établissement public relevant [du même employeur] ou auquel appartient la collectivité territoriale. »
  • L’indemnité ne peut être versée pour les fonctionnaires ayant atteint une durée de cotisation leur permettant de liquider leurs droits à la retraite à taux plein (sans décote), dans la mesure où dans ces conditions la rupture conventionnelle n’est plus possible. Elle serait alors versée sans cause.
  • Le montant de l’indemnité est encadré par un plancher et un plafond prévu par la loi en fonction de la durée d’ancienneté[3]. Le Plafond maximum étant atteint après 24 ans de service et égal à 2 fois la rémunération brute annuelle (2xRBA). 

En particulier la « notion d’employeur » laisse la question ouverte dans la FPE du passage des agents entre établissements publics sous tutelle des ministères qui étaient auparavant leurs anciens employeurs. Des mouvements latéraux ou circulaires sont donc possibles, et l’âge moyen des bénéficiaire montre qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un cas d’école. 

Un dispositif peu coûteux pour le moment mais qui monte en puissance

Entre 2020 (date de mise en application) et 2022, près de 5.300 agents de la FPE ont à la fois obtenu une rupture conventionnelle et la perception d’une ISRC, soit un montant moyen de 20.300€/agent pour un coût total de 107,6 millions d’euros. Un montant encore très modeste qui représente 0,03% des dépenses de personnel de l’Etat sur la période 2020-2022. Les statistiques tenues par la DGAFP sont un peu différentes car ne portant uniquement que sur les agents civils des ministères (hors militaires et opérateurs) :

 

2020

2021

2022

Total
Nombre

425

2 130

2 087

4642

Part de femmes %

64

70

71

70

Âge moyen

50,4

48,5

47,7

48,3

Source : DGAFP décembre 2023

On relèvera cependant que près de 72% des bénéficiaires du dispositif sont des agents provenant du ministère de l’Education nationale, alors que celui-ci ne représente que 64% des agents civils au sein des ministères[4]. Par ailleurs que sur le champ analysé par la DGAFP cette fois, (voir tableau supra) les femmes sont majoritaires (ce qui confirme le poids de l’Education nationale, fortement féminisée), soit près de 3.245 ruptures conventionnelles. 

Par ailleurs leur âge moyen baisse continument sur la période : 50 ans en 2020, 48,6 ans en 2021, 47,8 ans en 2022 d’après la Cour et 50,4 ans en 2020, 48,5 ans en 2021 et 47,7 ans en 2022 selon la DGAFP. 

Toutefois, « certains montants individuels élevés (de l’ordre de 190.000€) et mal fondés » auraient justifiés un contrôle ex ante approfondi au regard de la régularité de la dépense…

En effet, comme le relève la Cour, « des investigations conduites dans plusieurs ministères, il ressort une faiblesse générale des dossiers rendant souvent difficile l’appréciation de la régularité de la rupture ainsi que des montants indemnitaires accordés. Il en est ainsi lorsque les conventions de rupture sont si incomplètes qu’elles ne font pas figurer des paramètres aussi essentiels que le salaire de l’agent ou la date effective de départ à la retraite. »

La suppression du contrôle ex ante des dépenses, rend difficile le contrôle de l’ISRC

Le problème… c’est que ce contrôle ex-ante a été supprimé au niveau du CBCM (le contrôleur budgétaire et comptable ministériel) dans le cadre du déploiement du décret GBCP[5] (gestion budgétaire et comptable publique). Comme l’indique la réponse ministérielle « la fonction de contrôleur budgétaire a connu des évolutions réglementaires importantes qui doivent être prises en compte, notamment la fin des contrôles de régularité de la dépense en janvier 2006 pour les dépenses autres que de personnel et en septembre 2018 pour les dépenses de personnel, soit onze mois avant la promulgation de la loi de transformation publique. »

Il n’est donc pas possible, sauf à pratiquer une exception réglementaire pour l’ISRC et tout autre dispositif expérimental, de rétablir un contrôle ex ante des pièces justificatives par le responsable comptable de plus haut niveau (le CBCM) sans méconnaître l’évolution des obligations qui lui incombent.

Le ministère de la transformation et de la fonction publique a donc raison de relever qu’il « serait plus pertinent :

  • D’une part que les CBCM réalisent en 2024 une analyse à posteriori sur les ISRC afin de pouvoir (…) nourrir l’évaluation du dispositif… ;
  • Et d’autre part par les ministères s’assurent de la mise en place des processus permettant un strict respect de la législation en vigueur et de documenter la justification des décisions d’attribution des ISRC (…) et de réaliser des contrôles permettant d’attester d’une maîtrise suffisante du risque lié. »

Etant donné les volumes d’effectifs en cause, c’est au ministère de l’éducation nationale de se pencher en priorité sur un nécessaire renforcement de son contrôle interne afin de pouvoir sécuriser les flux de ruptures conventionnelles et les ISRC accordés. La modification des attributions des CBCM rendant de facto leurs tâche plus difficile car intervenant désormais ex post. 

Il apparaît toutefois que la Direction du budget était bien consciente de ce point de fuite, puisqu’elle a organisé dans son rôle d’appui au déploiement des dispositifs de contrôle interne budgétaire (CIB) un atelier thématique sur les ISRC en 2020/2021 de concert avec les CBCM concernés et la DGAFP avec diffusion auprès de l’ensemble des participants d’une note de cadrage, des rappels réglementaires, logigrammes de processus, et appui méthodologique pour la restitution de la dépense. Reste que la centralisation de ces informations semble toujours imparfaite et risque de rendre plus difficile l’étude d’impact ex post de l’expérimentation

Conclusion

L’évaluation des dispositifs expérimentaux sur les aspects légaux et financiers est rendue plus difficile et suppose un portage politique précis avec les évolutions comptables actuelles du contrôle interne au sein de la FPE. Il s’agit pourtant pour la Fondation iFRAP d’un élément central, notamment en matière de rupture conventionnelle dans la FPE dans la mesure où il nous semble logique que la prochaine étape à sérieusement envisager soit le déploiement au bénéfice du secteur public de la rupture conventionnelle collective (RCC) introduite en droit du travail par une ordonnance du 23 décembre 2017. Un tel dispositif devrait permettre de trouver une issue aux remembrements administratifs d’importance, en définissant une voie médiane entre l’obligation de reclassement et la loi de dégagement des cadres, à l’échelle de services voir d’établissements entiers. 


[1] Précisons qu’il n’existe toujours pas de disposition conventionnelle similaire en droit public à la rupture conventionnelle collective (RRC) introduite par l’ordonnance « Pénicaut » du 23 décembre 2017. Or ce dispositif s’il était déployé dans la fonction publique à l’échelle d’un ministère, d’un service ou d’un établissement public, pourrait constituer une alternative à une loi de dégagement des cadres. Il pourrait être librement négocié entre l’employeur public et les organisations syndicales représentatives du périmètre choisi. Voir par exemple, https://www.vie-publique.fr/eclairage/22032-code-du-travail-que-change-la-rupture-conventionnelle-collective 

[2]https://www.legalstart.fr/fiches-pratiques/rupture-contrat-travail/rupture-conventionnelle-chomage/

[3]https://www.cfdt-ufetam.org/les-montants-prevus-pour-lindemnite-de-rupture-conventionnelle-de-la-fonction-publique/

[4] Consulter, Rapport sur l’Etat de la fonction publique 2023, décembre 2023, DGAFP, p.64. https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Publications/Rapport%20annuel/2023/RA_2023.pdf#page=64

[5] Décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique