Open Data : l'électrochoc du gouvernement est nécessaire
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault vient de publier une circulaire en date du 17 septembre 2013 relative à l'ouverture et au partage des données publiques ainsi qu'un vade-mecum à destination des administrations concernées. Il s'agit en effet pour le gouvernement de dynamiser sa politique d'Open Data auprès des ministères et organismes producteurs conformément aux engagements pris à travers la feuille de route qu'il a défini en matière d'ouverture et de partage des données publiques lors du CIMAP (comité interministériel à la modernisation de l'État) du 18 décembre 2012, engagement réaffirmé et accéléré lors de sa troisième édition du 17 juillet 2013. Derrière le vocabulaire rond des nouveaux textes, il s'agit en réalité d'effectuer un électrochoc culturel auprès des détenteurs de données, car le gisement de croissance des données publiques n'a pas vraiment été exploité. Entre le 5 décembre 2011 avec le lancement de data.gouv.fr et aujourd'hui les 350.000 jeux de données initiaux mis en ligne ne se sont accrus que de 3.000 nouveaux éléments (soit +0,86%), le stock étant constitué à 85% de données INSEE. Il importe donc de passer rapidement à la vitesse supérieure.
[**L'intérêt de cette initiative est double :*]
- Préciser les contours des approches d'Open Governement et d'Open Data auprès des organismes producteurs et détenteurs de données publiques.
- Définir succinctement ce que l'on entend réellement par données publiques, et protéger ce qui relève du secret statistique ou de la vie privée.
[**Toutefois les limites sont néanmoins elles aussi perceptibles :*]
- Si le principe de gratuité par défaut des données publiques est réaffirmé [1], le maintient des redevances pratiquées par certains services publics n'a pas encore été clairement arbitré, puisque le rapport du magistrat de la Cour des comptes, M. Trojette [2] relatif au modèle économique des redevances d'utilisation des données publiques, n'est pas encore publié [3] (il s'agit d'un engagement du 3ème CIMAP). Le cantonnement de la politique de « valorisation » des données publiques n'est donc toujours pas connu.
- En outre, il n'existe pour le moment aucune mise en œuvre du versant « dépenses publiques » pourtant clairement exposé lors du 1er CIMAP du 18 décembre 2012, où il était précisé « Lancer, dès 2013, des travaux sur la transparence de l'action publique et des institutions, notamment en ouvrant le débat sur la mise à disposition de données en matière (…) de lisibilité des prestations sociales et des dépenses publiques. [4] ».
Mieux contrôler la dépense par la mise en place d'un vrai gouvernement ouvert :
Afin de sensibiliser les administrations et de lever les dernières inhibitions et blocages, la mission Etalab a rédigé un Vade-mecum, permettant d'exposer clairement et succinctement les grands axes de l'action des pouvoirs publics en matière d'Open Data à l'ensemble des administrations et des organismes publics ou privés en charge d'une mission d'intérêt général. Cependant l'accent n'est pas véritablement mis sur la dépense publique, celle-ci n'est évoquée au mieux que de façon implicite. Tout au plus peut-on lire que « l'ouverture et le partage des données, c'est la manière, pour un État moderne, de s'organiser afin de rendre des comptes, d'ouvrir le dialogue, et de faire confiance à l'intelligence collective des citoyens. » Ceci suscite de notre part plusieurs réflexions :
- Tout d'abord, que « rendre des comptes », s'inscrit pleinement dans une lecture « financière » de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789 aux termes duquel : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». La mise en place d'une véritable politique de gouvernement ouvert, implique que cette exigence puisse être remplie volontairement par chaque citoyen qui en fait la demande, facilitant ainsi l'accomplissement pratique de l'article 14 de la même DDHC) : « Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes (…) la nécessité de la contribution publique (…) d'en suivre l'emploi… ».
- Ensuite, qu'il ne soit pas fait pour améliorer la transparence des comptes un simple renvoi aux documents budgétaires globaux par ailleurs déjà fournis en ligne, mais au contraire que l'on puisse trouver un degré important de précision. Ceci étant valable pour l'État, les collectivités locales et les organismes de Sécurité sociale ainsi que leurs établissements [5] . Sur ce point le Vade-Mecum apporte quelques précisions : « L'ouverture et le partage des données publiques […] s'impose à l'État, aux collectivités territoriales et à toutes les autres personnes de droit public ou de droit privé chargées d'une mission de service public. » Par ailleurs, les données financières (budgétaires et fiscales) sont nécessairement incluses dans ce que les pouvoirs publics appellent « des données susceptibles de représenter un enjeu démocratique ». Il est en outre précisé que ces données diffusées « soient les plus exhaustives et les plus précises possible, diffusées à une granularité fine… [6] ».
Faciliter le parcours du citoyen désireux de s'informer sur la dépense publique :
Le vade-mecum relatif à l'ouverture et au partage des données publiques apporte là encore quelques précisions qui pourraient se voir naturellement appliquées en matière de transparence budgétaire pour chaque organisme ou échelon administratif. En effet, il est précisé que si « certaines administrations, collectivités locales ou opérateurs ont développé des portails permettant l'ouverture et le partage de données publiques spécifiques », le portail central data.gouv.fr n'a pas vocation à voir leur contenu dupliqué sur ce site, mais qu'il est fondamental d'y placer une fiche de description des données « afin de faciliter les recherches des internautes. » Ainsi, à défaut de posséder l'ensemble des informations disponibles, le portail pourra servir de « super-index » renvoyant vers les sites pertinents [7] .
La structuration de la diffusion et de la présentation des données en particulier « financières » n'est pourtant pas aujourd'hui assez « normalisée ». La Grande-Bretagne par exemple a émis une obligation pour les collectivités territoriales de publier en ligne leurs budgets et leurs comptes qui ont été préalablement audités. Cette publication a été prise en charge par le Department for communities and Local Governement, l'équivalent britannique de notre DGCL (Direction générale des collectivités territoriales). Une lecture attentive de la nouvelle circulaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault ne peut permettre à elle seule une application obligatoire à l'échelon local ou en direction des organismes de Sécurité sociale. Cependant, sa lecture combinée avec les dispositifs de la loi de 1978 relative à l'accès aux documents administratifs et aux données publiques pourrait aboutir à un résultat voisin, mais il serait nécessaire de la faire évoluer afin de rendre cette politique systématique et obligatoire.
Un bon exemple de coproduction public-privé en matière de transparence des comptes financiers des collectivités territoriales, est bien mis en évidence par le projet privé California City Credit Scoring, qui aux États-Unis recense les comptes de 260 collectivités territoriales de l'État de Californie. En cliquant sur la carte interactive, il est possible de trouver une synthèse des comptes, ainsi que les documents originaux en annexe en format pdf. Une démarche analogue est également en cours de développement en Israël, mais aussi la ville d'Oakland (USA), au travers du projet Open Budget Oakland.
La comparabilité des finances locales et des finances sociales entre organismes administratifs sur le territoire national comme avec les autres pays est un élément essentiel afin d'approfondir un dialogue de gestion entre la société civile et l'administration et attirer l'attention sur les dysfonctionnements, les dérives et a contrario les meilleures pratiques [8].
Conclusion :
Améliorer la transparence de l'action des services publics devrait permettre, dans un contexte de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques lourds (respectivement pour 2014 sans doute 46,1% du PIB en P.O. contre sans doute environ 57% en dépense) afin de renforcer la citoyenneté fiscale et la compréhension des réformes, de mettre en place prioritairement des données financières qui sont tout particulièrement des données susceptibles de représenter un enjeu démocratique. Les pouvoirs publics et les administrations étatiques, sociales comme locales, ont tout intérêt à jouer le jeu de la transparence et de l'Open Data. Il est dommage cependant que la circulaire du Premier ministre comme son vade-mecum n'évoquent ces enjeux majeurs qu'en creux. Il importe que cet axe devienne néanmoins prioritaire dans les mois à venir.
[1] Se référant en particulier au séminaire gouvernemental sur le numérique du 28 février 2013, reprenant la direction arrêtée d'ailleurs par le précédent gouvernement au travers du décret du 26 mai 2011.
[2] Consulter, l'engagement du 3ème CIMAP du 17 juillet.
[3] Voir en ce sens, Nicolas Rauline, « Open Data : le rappel à l'ordre de Matignon aux ministères », Les Échos, 17 septembre 2013. Sa publication devrait intervenir « à la fin du mois [de septembre] », le gouvernement ayant été informé des conclusions du rapport à l'été.
[4] Lire en particulier les conclusions du 1er CIMAP, Feuille de route du gouvernement en matière d'ouverture et de partage des données publiques, p.2.
[5] En particulier si l'on suit à la lettre les conclusions du 1er CIMAP du 18 décembre 2012, en particulier en matière de « lisibilité des prestations sociales et des dépenses publiques. »
[6] Vade-Mecum, p.5.
[7] Un bon exemple peut être fourni par le site constitué par la région Île-de-France, Data Ile de France, ou par la communauté urbaine de Strasbourg, mais là, sans encore les données financières même macro de sa propre entité et des collectivités qui la composent.
[8] Voir pour un début d'approche internationale sur le sujet.