Le paritarisme à la française, un ménage à trois où personne n’est responsable
Dans le cadre de la négociation sur la loi El Khomri, un petit cadeau sera fait aux syndicats : les délégués syndicaux vont voir leurs heures de délégation augmenter de 20 %. Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, qu’en France les syndicats n’oublient pas de se défendre eux-mêmes. Jusqu’à quel point est-ce légitime ?
Syndicats de salariés et patronat sont censés gérer ensemble notre modèle social. Assurance-maladie, retraites, caisses d’allocations familiales, chômage ou encore logement : plus de 600 milliards d’euros de dépenses sociales sont cogérés chaque année dans le cadre du paritarisme. Et cela ne s’arrête pas là. Citons par exemple les prud’hommes, les organismes de formation, le conseil économique et social…
Dans chaque conseil d’administration de ces instances siègent des représentants des syndicats de salariés et des organisations d’employeurs. Ces mandataires présumés représentatifs se dénombrent systématiquement par cinq pour les syndicats de salariés et par trois pour les organisations patronales. Au total,le nombre de ces mandats peut être estimé à quelque 200 000 - 200 000 bénévoles sur le papier mais autant de sources de blocage pour les réformes.
En effet, personne ne souhaite réorganiser, supprimer des strates, fusionner des caisses ou des régimes. Pourquoi le ferait-on ? Ce serait autant de mandats paritaires qui disparaîtraient et avec eux la manne qui finance les grandes centrales salariales et patronales, pour certaines dans des propositions non négligeables. Par ailleurs, les mandats paritaires donnent souvent aux salariés qui les exercent le statut de salarié protégé, le paiement des heures de délégation et des défraiements forfaitaires non imposables pour les frais estimés à 200 millions d’euros par an. Ce n’est pas sans conséquences.
Disons-le nettement : au lieu de faire vivre le paritarisme, les organisations syndicales ont préféré en vivre. Les centaines d’heures de négociations médiatisées n’aboutissent qu’à des micro-mesures paramétriques et les organisations syndicales persistent à penser à l’intérieur du cadre existant, alors que c’est ce cadre qu’il faut changer. Le système est arrivé à la situation paradoxale d’un ménage à trois avec l’État, mais sans réel pilote. Tous cogèrent mais personne n’est responsable.
Prenons l’exemple de la négociation chômage en cours. En dernier ressort, qui est garant face au déficit de l’Unedic ? L’État, pardi ! Alors pourquoi les syndicats voudraient-ils diminuer le déficit annuel de l’assurance-chômage qui est d’environ 4 milliards ? On entend même certains murmurer qu’il ne faut pas imaginer rembourser la dette de l’Unedic, qui représentera bientôt quelque 30 milliards d’euros. La négociation actuelle aboutira à rafistoler l’assurance-chômage plutôt qu’à la réformer en profondeur. Dans le système paritaire français, le replâtrage conjoncturel prime toujours sur la réforme structurelle et donc sur la préparation de l’avenir.
Cela n’empêche pas les syndicats de se financer grâce à l’Unedic. En janvier 2016, la Cour des comptes dénonçait le système de « dividendes » que se servent les syndicats de salariés et du patronat cogestionnaires de l’Unedic. Les hauts magistrats réclamaient la fin de ce système. Il perdure encore cette année. Vraiment, la cogestion paritaire coûte cher. Trop cher. En 2013, le déficit des caisses de retraites complémentaires a atteint 4,4 milliards d’euros. Les coûts de gestion du système de retraites sont estimés entre 5 milliards et 6 milliards d’euros, soit 1,6 % à 2 % du montant total des retraites versées alors que la moyenne de l’Union européenne est de 1,1 %. S’ajoute un coût indirect lié aux avantages consentis aux agents au sein des caisses sociales : salaires élevés - comme l’observe le rapport de la Cour des comptes sur les retraites complémentaires, absentéisme, restructuration en douceur sans plan social…
Une autre conséquence fâcheuse est la complexité de notre système de prélèvements qui pèse sur les entreprises. En 2016 est apparue sur les fiches de paie une nouvelle taxe - de financement du paritarisme - qui vient ajouter une ligne à une liste déjà interminable.
La suppression de la cogestion paritaire et de ses financements syndicaux est cruciale. Impossible, dans le cas contraire, de sortir de la spirale des déficits sociaux et de l’augmentation des dépenses sociales. Tous les autres pays d’Europe ont réussi à réformer leurs systèmes d’indemnisation chômage, leurs systèmes de retraites, d’aides sociales, d’assurance-maladie. Pas la France, qui peine, n’arrive pas à innover et à inventer de nouveaux modèles. Inutile de chercher plus loin pourquoi. Les syndicats ont un rôle légitime à jouer. Mais le paritarisme à la française est à bout de souffle.
Cette tribune a été publiée dans les pages débats du Figaro, le 16 mars 2016. |