La RGPP et les dépenses informatiques de l'Etat
A l'issue de la première conférence sur les déficits publics qui s'est tenue le 28 janvier dernier, le gouvernement a largement communiqué sur la nécessité d'effectuer, à l'aune de 3 ans, des efforts sans précédent afin de ramener le déficit à 3% du PIB au 1er janvier 2013 [1]. Une perspective qui impose, si l'on retient l'évaluation d'une répartition partagée à parts égales entre un effet recettes (à cause de l'effet mécanique de la reprise de l'activité économique) et un effet dépenses, la nécessité de faire baisser en 3 ans de 50 milliards d'€ le volume des dépenses publiques (qui, il faut le dire dépassent actuellement les 1000 milliards d'€). Cela représente donc sur la durée, la nécessité, à compter du présent exercice, de réaliser 16,6 milliards d'€ d'économies supplémentaires chaque année [2].
A l'heure actuelle, si l'on excepte la mise en place progressive de la RGPP [3] dont le chiffrage annuel semble tourner aux alentours des 2 milliards d'€ pour 2010, de nouvelles économies semblent réalisables sur le train de vie de l'Etat à hauteur de 2 milliards d'€ supplémentaires sur 3 ans [4]. Dans le collimateur des budgétaires notamment, les dépenses informatiques de l'Etat évaluées à 3 milliards d'€ (dont 1 milliard rien que pour les dépenses de personnel). Il faut dire que chaque ministère possède ses propres services informatiques sans qu'aucune mutualisation de l'ensemble des moyens ne soit pour le moment opérée. A titre d'exemple, la MILOLF (mission d'information sur l'application de la LOLF) en janvier 2009 a mis en évidence l'existence d'une galaxie de 606 applications informatiques différentes dont 350 à vocation exclusivement financière.
Or l'action gouvernementale semble pour le moment accaparée [5] par la mise en place de vastes progiciels de gestion dans le cadre de la modernisation de la gestion et de la comptabilité publique (avec les logiciels Chorus, Copernic, Hélios etc…)… opérations qui ne prévoient dans le meilleur des cas que la suppression par mutualisation de seulement 80 applications existantes… on est bien loin de la réforme entreprise chez nos voisins britanniques…
Au Royaume-Uni au contraire, c'est cette voie de la mutualisation qui est actuellement suivie à la suite de la parution d'un rapport du Cabinet du gouvernement britannique, particulièrement ambitieux daté d'octobre 2009, le Government ICT Strategy. Son propos : mettre en place les évolutions stratégiques en matière de technologies de la communication et de l'information pour les 10 ans à venir. Il faut dire que les solutions envisagées sont à la mesure des coûts informatiques supportés par l'Etat anglais. En effet, celui-ci dispose d'un budget informatique de près de 16 milliards £ soit d'environ 17,6 milliards d'€. Des dépenses qui sont près de 6 fois plus importantes qu'en France. Il faut dire aussi qu'en la matière la Grande-Bretagne dispose d'une longueur d'avance car elle a eu recours à l'informatisation des tâches afin de développer l'accessibilité de ses services publics tout en contenant les dépenses de personnel. Par ailleurs, l'animation et l'entretien du réseau sont actuellement largement externalisés auprès du privé à hauteur de 65%. L'objectif à atteindre d'ici 2020 est une baisse des coûts de l'ordre de 20% des dépenses existantes soit de dégager à terme une économie annuelle de 7,8 milliards €/an.
Mais au-delà des économies budgétaires, l'intérêt de la démarche anglaise est de dépasser la logique du développement en silos que l'on connaît actuellement dans l'architecture informatique des administrations publiques françaises : développement de logiciels ad hoc difficilement compatibles et interconnectables les uns avec les autres, manque de bases de données communes, multiplication des sites internet des ministères développés sans mutualisation des savoirs faire, etc… La réponse anglaise consiste à prendre systématiquement la démarche inverse :
Développement d'un réseau public unifié (PSN) capable d'acheminer conjointement voix et données. A la clé, des économies de l'ordre de 500 millions £/an dès 2014.
Mise en place d'un Cloud gouvernemental (encore appelé G-Cloud), qui se présente sous la forme d'une externalisation des logiciels (SaaS : Software as a Service) ainsi que le stockage de données (HaaS : Hardware as a Service) sur des serveurs distants gérés par des prestataires extérieurs. Ainsi, les frais des opérations de maintenance et de mise à jour des logiciels ne sont plus supportés par les administrations bénéficiaires. En outre, la sécurité se retrouve renforcée puisque les terminaux administratifs ne stockent plus par eux-mêmes de données. Enfin, l'évaluation des coûts informatiques devient très précise puisque c'est l'utilisation réelle des applications hébergées par le Cloud qui est facturée à l'administration (selon le modèle « pay as you go' »). Cette mutualisation externalisée à prix coûtant des services informatiques devrait permettre à elle seule de réaliser à terme 3,2 milliards £ d'économies.
Regroupement des centres de stockage de données (data centers) par une réduction de 92% de leur nombre (passage de 130 à 10) en 10 ans. A la clé, une économie estimée à 300 millions £.
Mutualisation et partage des applications informatiques les plus utilisées sans coût additionnel de la part des prestataires extérieurs, conjointement à la généralisation du partage des portails sous la forme de guichets uniques, afin de dégager respectivement 500 millions £ et 4 milliards £ d'ici 2020.
Standardisation des postes de travail informatique par l'intermédiaire de réglementations uniformes dans les cahiers des charges proposés aux prestataires extérieurs. A la clé des économies d'échelle de l'ordre de 400 millions £.
Enfin, développement d'une professionnalisation en interne de certaines compétences (avec la création de deux filières d'études : Technology In Business Fast-Stream et suivi logistique avec le Supply Management work-Stream) ce qui devrait permettre à terme de réduire de 50% les coûts exposés par l'administration dans ses relations avec ses cocontractants privés.
On l'aura compris, la voie dessinée par l'exemple britannique semble toute tracée. Malheureusement, l'effet constaté en France risque d'être très amoindri par la faiblesse elle-même du secteur informatique public domestique. Ainsi la mutualisation à l'anglaise ne rapporterait dans le meilleur des cas que 600 millions d'€ d'économies à 10 ans ! Il ne faut pas cependant s'arrêter à ces considérations. Si actuellement l'informatique représente environ 4,6% des dépenses publiques en Grande-Bretagne contre 1,03% en France, cette proportion sera sans doute conduite à augmenter significativement dans l'avenir. Il serait malheureux de ne pas prendre en considération l'exemple anglais ne serait-ce que pour capitaliser sur ses propres expériences adaptatives et se doter d'une mutualisation avancée d'amblée.
[1] Voir, les appréciations circonspectes sur les perspectives du désendettement et de la réduction du déficit de la France par l'agence Moody's (http://www.lesechos.fr/medias/2010/...) et par la Commission européenne dans le cadre de son dernier rapport de suivi sur les programmes de stabilité et de convergence des pays européens en date du 17 mars dernier (http://europa.eu/rapid/pressRelease...) et pour l'analyse pays par pays (http://ec.europa.eu/economy_finance...).
[2] Une hypothèse qui demanderait un très fort volontarisme qui semble pour le moment faire défaut aux pouvoirs publics. Ainsi lors de la conférence du 28 janvier dernier Eric Woerth évoquait dans son discours : « Je précise qu'agir sur la dépense ne signifie pas « casser » la dépense publique comme on peut l'entendre ici ou là, mais ralentir son rythme de progression. »
[3] Il devrait générer près de 7 milliards d'€ d'économies à compter de 2011, (l'avancement des principaux chantiers se déroulant suivant le calendrier prévu à 76%), voir 3ème rapport d'étape publié le 16 février 2010, voir http://www.rgpp.modernisation.gouv..... Les efforts envisagés à court terme ont concerné outre les 1 milliard d'€ d'économies brutes réalisées sur les dépenses de personnel (mais 508 millions nets dûs à l'intéressement des fonctionnaires sur 50% des économies réalisées), la mise en place d'économies sur les dépenses de fonctionnement à hauteur de 200 millions d'€ (contre une cible de 333 millions/an sur 3 ans afin de réaliser un objectif d'économie de 10% sur un périmètre de 10,2 milliards), ainsi que potentiellement une économie d'1 milliard d'€ sur les dépenses d'intervention de l'Etat (subventions aux personnes physiques et morales et aux collectivités publiques).
[4] Puisque l'objectif de 10% d'économie sur les dépenses d'achat via le SAE (service d'achats de l'Etat) vient d'être élargi à un périmètre supplémentaire de 20 milliards d'€ (soit 30 milliards en tout) constitué entre autres par les dépenses courantes de communication (1 milliard), de logistique (3,5 milliards), de formation (2 milliards), des concours (110,8 millions) et d'informatique (3 milliards d'€).
[5] Pour le moment la seule allusion faite en matière de développement d'usages et de contenus innovants (cloud computing, banques de données) est celle précisée dans les dispositifs du "grand emprunt" inscrit au sein de la loi de finances rectificative pour 2010 n°2010-237 du 9 mars 2010, qui, au titre des crédits accordés à l'économie numérique (4,5 milliards d'€), envisage d'injecter 1,75 milliard dans les supercalculateurs, la mutualisation informatique et les nouvelles utilisations de l'Internet à échéance non précisée, ainsi que 750 millions d'€ pour la numérisation du patrimoine culturel. voir http://www.senat.fr/dossierleg/pjl0...