La générosité des Français selon l'INSEE
Deux économistes, Gabrielle Fack et Camille Landais [1], constatent dans la Revue Economie et Statistique de l'INSEE de mai 2010, que malgré les réformes fiscales de 2003 et 2005 relevant les taux de déduction, les dons totaux ont peu augmenté. Nous pourrions même dire ce qu'ils n'ont pas dit, c'est que l'augmentation du don total est le fait de la déduction fiscale accrue. La conclusion exprimée ou sous-entendue : à quoi bon maintenir ces incitations fiscales si elles ont si peu d'effet sur la générosité des Français ? Une niche fiscale à supprimer ?
Ils auraient cependant pu avoir la puce à l'oreille : ces réformes, disent-ils, ont entraîné une augmentation de 6% des dons de faibles montants mais 18% des dons les plus élevés. Et ils remarquent que ce sont les donateurs les plus généreux qui réagissent le plus aux incitations fiscales.
Or ce sont précisément les riches qui, en France, sont exclus du droit de donner ; pas étonnant alors que les sommes données réagissent peu aux incitations fiscales.
La générosité française, c'est 1,7 milliard en 2007 ; mais c'était 302 milliards de $ aux USA la même année, soit, à populations comparables 30 fois la France, 9,2 milliards de £ en Grande-Bretagne, 12 milliards d'euros, soit 8 fois la France.
Avant de mesurer l'effet des dernières mesures fiscales, nos économistes auraient dû commencer par se demander comment un tel gouffre peut exister entre des nations aux cultures voisines et aux populations européennes quasiment identiques.
Et, s'ils avaient cherché un peu, ils auraient trouvé qu'en effet accroître les taux de déduction a peu d'effets lorsqu'il existe des plafonnements qui rendent la générosité impossible.
Probablement, dans leur esprit, la charité doit être le fait essentiellement des grandes masses, des millions de la classe moyenne ; ils n'avaient pas imaginé que la charité est d'abord le fait de ceux qui ont beaucoup d'argent, ceux que l'INSEE appelle les riches.
Pourtant, l'INSEE, temple de la statistique, devrait connaître les distributions de Pareto et savoir que dans le domaine de la générosité comme dans celle des revenus, 90% des dons sont le fait de 10% de la population.
C'est ce qui se passe dans les autres nations parce que dans ces pays, donner n'est pas plafonné à des sommes ridicules.
En France, seulement 5% environ des contribuables déclarent un don supérieur à 65 euros. En Grande-Bretagne, la moitié des dons dépassent 1000 £ par an…
En France en effet, si le taux de déduction à 66% est plus élevé qu'aux USA (50%), il est impossible de donner de grosses sommes sans tomber sous des taux d'imposition totalement dissuasifs.
La générosité des Américains comme des Anglais s'exprime chaque année par la création de fondations auxquelles ils lèguent ou donnent des sommes considérables ; plusieurs dizaine de milliards de $ dans le cas des fondations Gates ou Buffet, près d'une dizaine de dons qui dépassent le milliard, des centaines qui dépassent les 10 millions de $. Des dons sans imposition et au contraire donnant droit à des déductions d'impôt sur le revenu ou les successions.
En France, impossible de léguer ou de donner des dons un tant soit peu importants à des associations, seulement à des fondations ; mais celles-ci sont étroitement contrôlées car il s'en crée une dizaine par an, contre 40,000 aux USA où la création de fondations est libre. Hors fondations ou associations reconnues d'utilité publique, legs ou dons à des associations, non seulement ne sont pas déductibles, mais sont imposés au taux dissuasif de 60%.
Or, sans dons importants, sans legs, les manifestations essentielles de la générosité privée, créer un hôpital, une université, un musée, un théâtre, deviennent impossibles.
Commençons par rendre libres la création de fondations comme aux USA, UK, Suisse, etc. et l'on pourra reparler de l'effet des mesures fiscales sur la générosité des Français. C'est ce qu'a fait en partie le texte voté en 2008 sur les fonds de dotation, mais qui n'est applicable qu'aux associations déclarées « kosher » rentrant dans les domaines limités par l'article 200 du code des impôts.
Mais c'est une proposition que l'INSEE ne soutiendra pas, car cela risquerait de mettre en cause le monopole douillet dont elle profite sur les études économiques. Si les fondations se multipliaient, ce serait le monopole des fonctionnaires sur les enquêtes et l'élaboration des politiques publiques qui serait remis en cause, car le secteur privé pourrait alors offrir des services de meilleure qualité à plus bas prix.
Horresco referens ! Grâce à Dieu, le plafonnement des niches fiscales et son renforcement prévisible vont éloigner le spectre, pour les services publics et pour l'INSEE en particulier, de se voir concurrencer par le secteur privé !
[1] Gabrielle Fack est sortie de Nanterre et de L'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, EHESS, dont on connaît les orientations idéologiques ; et Camille Landais a fait sa thèse avec Thomas Piketty, le chantre de la croissance des inégalités, sur les hauts revenus et leur comportement.