Puissances militaires de première classe en Europe, la crise financière n'exempte pas la défense, en France et au Royaume-Uni. Malgré les similitudes, la gestion de cette crise budgétaire présente des choix difficiles et différents des deux côtés de la Manche. Tandis que les deux armées effectuent une réduction semblable de leurs effectifs de 54.000 personnes, une comparaison budgétaire montre que d'une part le Royaume-Uni est contraint de réduire son niveau d'ambition tandis que la France se trouve en position d'insuffisance budgétaire par rapport avec ses ambitions. Le Royaume-Uni dépense 16 milliards d'euros de plus que la France pour une masse salariale comparable à celle de la défense française. La France prévoit-elle suffisamment de moyens financiers pour assurer la modernisation de l'outil de défense français, tel qu'il est prévu par le Livre Blanc ?
Budget de défense (hors pensions)
Royaume-Uni (HM Treasury Budget 2012) | France (Loi de finances initiale 2011) |
Le budget de défense britannique s'élève à 47 milliards d'euros représentant 2,6% du PIB sur l'année fiscale 2011-2012. |
La France dépense 31 milliards d'euros soit 1,5% du PIB en 2011. |
Réformes
Royaume-Uni | France |
Encadré par le Strategic Defence and Security Review (SDSR) de 2010, ce livre blanc a identifié un déficit budgétaire de l'ordre de 47 milliards d'euros pour la période 2010-2020 et a mené à une revue du niveau d'ambition du pays en rapport avec ses ressources. Le ministère de la Défense est donc tenu de réduire ses dépenses pour réaliser une réduction budgétaire de 3,4 milliards d'euros soit -7,5% pour l'année fiscale 2014-2015. Sous cette pression budgétaire, le SDSR a prévu une réduction des effectifs de 54.000 personnes et une diminution des capacités globales de l'armée britannique (stockage de blindés Challenger 2, mise au rebut des avions Harrier, etc.). |
Le Livre Blanc de 2008 (LB 2008), rédigé avant la crise financière, est la continuation de la transformation de l'armée française vers une armée professionnelle. La Loi de Programmation Militaire (LPM 2009-2014) assure cette transformation qui vise une flexibilité opérationnelle grandissante et une hausse des investissements dans les équipements vitaux. Tenant compte de la faible croissance du budget de la défense, la LPM vise une réduction des effectifs de l'ordre de 54.000 personnes pour une économie anticipée de 6,7 milliards d'euros entre 2008 et 2015 pour être réorientée dans les équipements. De plus, la LPM envisage des recettes exceptionnelles pour contribuer aux investissements venant de la vente des bandes de fréquences RUBIS et FELIN (programmes militaires) et la vente de biens immobiliers. |
Économies
Royaume-Uni | France |
Le National Audit Office envisage une économie de 5 milliards d'euros avec un coût d'accompagnement de 1,1 milliard d'euros dans la réduction de ses effectifs pour la période 2010-2015. |
Selon les chiffres communiqués par le ministère de la Défense à la Cour des comptes en février 2012, une économie de 6,7 milliards d'euros est prévue entre 2008 et 2015. La Cour estime que le coût d'accompagnement des restructurations du personnel s'élèvera à 5,4 milliards d'euros avant 2015. Les dépenses salariales entre 2008 et 2011 ont progressé de 1 milliard d'euros malgré la baisse des effectifs. |
Les effectifs actuels
Royaume-Uni (DASA 2012) | France (Bilan Social 2011) |
233.300 personnes (-15% sur l'année précédente) |
296.493 personnes (-2.9% sur l'année précédente) |
168.180 militaires (72%) |
228.656 militaires (78%) |
65.150 civils (28%) |
67.837 civils (22%) |
Réduction des effectifs – jusqu'en 2015
Royaume-Uni (National Audit Office) | France (Loi de Programmation Militaire 2009-2014) |
Une réduction qui atteindra 29.000 civils et 25.000 militaires avant 2015. Dans le cadre des réductions civiles, le National Audit Office craint une perte de compétences essentielles dans le ministère. Cependant les réductions militaires entraîneront une réduction globale des capacités de l'armée britannique. |
La diminution des effectifs français se poursuivent avec un ratio à respecter de 75% militaires et 25% de civils, c'est-à-dire 40.500 militaires et 13.500 civils. Cependant ce ratio n'est que programmé de 2008 à 2011. La LPM a prévu une majorité des réductions de personnel (à la hauteur de 90%) dans les structures de soutien tenus majoritairement par des militaires laissant les forces projetables relativement intactes. |
Le coût de la masse salariale (2011)
Royaume-Uni (DASA 2012) | France (Bilan Social 2011) |
Coût total : 16,0 milliards d'euros soit à peu près un tiers du budget. |
Coût total : 13,4 milliards d'euros soit à peu près plus d'un tiers du budget. |
Dont militaires : 12,3 milliards d'euros |
Dont militaires : 9,4 milliards d'euros |
Dont civils : 3,6 milliards d'euros |
Dont civils : 4,0 milliards d'euros |
Analyse
Royaume-Uni | France |
Avec une structure militaire tournée vers les déploiements outremer et un format plus projetable, la marge de manœuvre dans la réduction des effectifs est plus réduite dans l'armée britannique que dans le cas de la France. En dépit de toutes les critiques du SDSR, qui a été conçu principalement pour combler le déficit budgétaire, ce SDSR présente une restructuration théorique adaptée aux contraintes du climat économique. L'annonce de lacunes capacitaires, qui ne seront pas développés et de la réduction des officiers généraux dans une organisation plus légère illustre un effort de rationalisation qui est vitale pour éviter une surcharge de missions sur un budget en baisse. |
La transformation de l'armée française nécessite plus de moyens pour atteindre les objectifs définis dans le LB de 2008. L'écart budgétaire entre la France et le Royaume-Uni qui s'élève à peu près à 15 milliards d'euros (hors pensions) illustre le déficit des investissements massifs requis pour doter l'armée des moyens de projection. En comptant que les coûts de la masse salariale sont à peu près égaux, les coûts d'entretien, d'approvisionnement des forces, se sont vus accordé une plus grande priorité dans le budget britannique expliquant l'érosion des capacités françaises, faute de moyens. La réorientation des ressources économisées par la réduction des effectifs s'apparente davantage à un pis-aller qu'à une solution réelle. |
Conclusion
En 2010 le ministère de la Défense britannique a été brusquement entraîné dans une réduction de ses effectifs et de ses moyens. La mise en œuvre de la SDSR s'est révélée trop optimiste menant à de nombreux problèmes dans les achats d'équipements (porte-avions), la rétention du personnel avec des compétences critiques et dans l'exécution des changements structurels.
Côté français, la Défense a dû faire face à une hausse des coûts d'acquisition qui ont connu une croissance rapide avec les nouvelles technologies et un budget qui est resté relativement fixe. La transition vers une armée de métier avec un équipement moderne entraîne un coût plus élevé que les gouvernements successifs ont largement financé par une compression des effectifs depuis 1995. L'achat et l'entretien des équipements vitaux pour une armée moderne ont déjà mis le budget actuel sous contrainte.
Le nouveau Livre Blanc sur la défense qui doit sortir début 2013 doit aussi prendre en compte les erreurs du gouvernement britannique en réconciliant les aspirations françaises dans la défense avec les ressources que le gouvernement est prêt a engager. Aujourd'hui, les moyens accordés à la défense française ne suffisent pas pour la mission qui lui a été donnée dans le livre blanc. Ce décalage qui dans son intégralité touche le ministère de la Défense, doit être le sujet d'une réflexion objective pour éviter un réveil brusque comme celle a été le cas du Royaume-Uni.