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Comprendre les réformes de la Fonction publique au Portugal

Le Portugal, pour une population de 10,6 millions d'habitants, comptait 613.852 fonctionnaires en 2011 soit 11% de la population active. 77,3% de ces agents travaillent dans l'administration centrale, (474.508 effectifs) et 22,7% dans les collectivités. Ce poids de l'administration centrale plombe aujourd'hui le budget de l'État et est régulièrement souligné dans les rapports du FMI et de l'OCDE. Malgré une refonte de la fonction publique commencée en 2002 et accélérée en 2005, la masse salariale du personnel public pèse encore 24% des dépenses publiques (soit 20,3 milliards d'euros) et ce, alors qu'en échange d'un plan d'aide et de renflouement de 78 milliards d'euros, sous surveillance de la Commission européenne et du FMI, le Portugal s'est engagé à couper ses dépenses publiques de 4,7 milliards d'euros. À l'heure actuelle, à la suite de l'accumulation des rejets de coupes budgétaires par le Tribunal constitutionnel, le pays doit réduire ses dépenses de 5,3 milliards d'euros pour mai 2014 s'il veut tenir ses engagements.

L'enseignement pour la France : toute réforme de l'État et du statut de sa fonction publique doit tenir compte des obstacles constitutionnels éventuels.

Évolution des effectifs de la fonction publique au Portugal depuis 1979

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Les principales observations

[** ==> Une réduction des effectifs depuis l'année 2002 :*] Voir tableau. La refonte de l'administration publique (2002-2005) a affecté plus de 50% des structures publiques depuis 2000 : Limitation des embauches, non remplacement du personnel partant à la retraite, recul de l'âge de départ à la retraite… L'objectif fixé est une nouvelle réduction de 30.000 fonctionnaires d'ici à 2014.

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[** ==> Une masse salariale de fonctionnaires trop importante :*] Voir schéma. Aujourd'hui le pourcentage d'employés dans la fonction publique comparé à la population active, est inférieur à la moyenne de l'OCDE (11% au Portugal contre 15,1% en moyenne pour les pays membres de l'OCDE et 13% dans l'Europe des 27), mais la masse salariale des employés de la fonction publique est supérieure ! Elle atteint les 12,2% du PIB contre une moyenne de l'OCDE à 11,3%. [*Au total, la masse salariale représente 24% des dépenses publiques en 2011, soit 20,3 milliards d'euros*] tandis que le plus gros budget est constitué par le régime de protection sociale : 46%.

[** ==> Un personnel public mieux payé que dans le privé :*] Comme l'OCDE le constate « les rémunérations des personnes hautement qualifiées en droit ou en économie étaient déjà nettement plus faibles dans la fonction publique que dans le secteur privé avant la crise, tandis que les travailleurs peu qualifiés sont au contraire généralement moins bien payés dans le secteur privé » [1].

[** ==> Un personnel peu touché par la crise :*] En effet, la fonction publique a été, jusqu'à présent, épargnée par la crise puisque le personnel de la fonction publique représente seulement 1,9% des 700.000 demandeurs d'emplois au Portugal.

Depuis 2002, une succession de réformes de la fonction publique au Portugal, une brève chronologie :

[**2002 :*] La masse salariale du personnel de la fonction publique portugaise atteint 15,4% du PIB. Face à cela, la loi rectificative des finances de mai 2002 approuve un gel de la fonction publique et des évolutions de carrières (sauf pour les enseignants, les militaires et les petites fonctions publiques locales) et stoppe le renouvellement des contrats individuels et des contrats à durée déterminée. Toute nouvelle embauche doit, dès lors, être approuvée par le ministère des Finances. Ce gel de la fonction publique est voté pour 2 ans. Les salaires supérieurs à 1.000 euros (1.024 euros en 2004) sont gelés alors que ceux inférieurs à 1.000 euros sont valorisés de 1,5% en 2003 et de 2% en 2004.

[*Résultats :*] La hausse du personnel de la fonction publique, de 4% entre 1997 et 2001, tombe à 1% en 2002 et commence à reculer en 2003 (voir tableau). En conséquence la masse salariale commence à reculer de 2,6%.

[**2003 :*] Une réforme cherche à réduire le recrutement hors de la fonction publique et à encourager et faciliter la mobilité au sein de l'administration. Cela passe notamment par la création d'un service de recrutement/mobilité en ligne pour les fonctionnaires portugais.

[*Résultats :*] Au lancement du programme, en juin 2004, seulement 34 fonctionnaires postulent en ligne pour une « mutation ». Neuf mois plus tard, ils sont 1.197. L'accumulation des réformes a pour conséquence la fermeture de 10 organismes publics, la fusion de 19 autres, la création de 10 nouvelles structures et le passage au privé de 31 autres [2].

[**2004 :*] Une réforme structurelle simplifie la fermeture des structures publiques qui devront justifier leur maintien par des critères économiques et augmente l'autonomie et les pouvoirs des directeurs sur leurs services. Le gouvernement cherche ainsi à éviter la prolifération des structures et à prévenir la création de nouveaux régimes spéciaux.

[**2005 :*] Le Portugal organise une refonte complète de son administration publique avec comme mot d'ordre la modernisation (notamment avec le lancement de l'e-government – programme Simplex [3]) et le rapprochement avec le privé.

  • Convergence du système de protection sociale du public avec le régime général. Au 1er janvier 2006, tous les employés du public sont passés dans le régime général de protection sociale.
  • Suppression des régimes spéciaux : Mise en place de 3 régimes de carrières à partir de 2009 [4].

==> Un statut de fonctionnaire à vie ou pour une durée déterminée : 15% des contrats.

==> Un statut de contractuel de la fonction publique : 65% des contrats.

==> Des mandats exécutifs limités pour les managers, évalués à la performance : 15% des contrats [5].

  • Évolution de carrière non plus basée sur l'ancienneté mais sur la performance (les augmentations de salaire ne sont maintenant accordées qu'en fonction des possibilités budgétaires – change of pays tep according to available budget appropriations). Enfin, chaque agent est évalué annuellement et obtient une note ; excellente, pertinent, suffisant.
  • Passe d'une échelle de rémunérations de 522 paliers à 115.
  • Mise en place de bonus de performance.
  • Le régime de travail de la fonction publique se rapproche de celui du secteur privé.
  • Introduction d'un système d'évaluation de la performance des agents (integrated public administration management and assessment system).
  • Vacances en fonction de l'âge des agents : 25 jours de congés payés jusqu'à 39 ans. 26 jours de congés payés jusqu'à 49 ans. 27 jours de congés payés jusqu'à 59 ans. 28 jours de congés payés à partie de 59 ans.

[**Septembre-novembre 2013 :*] Instauré par le programme d'ajustement, un programme de départ volontaire de la fonction publique, plus avantageux, est organisé du 1er septembre au 30 novembre 2013. C'est ouvert à environ 100.000 employés peu qualifiés de la fonction publique. Cela rentre dans les objectifs d'une réduction de 30.000 effectifs. Le ministère des Finances se dit confiant dans la réussite du programme [6].

Le FMI dans son évaluation conclut que ces mesures ont permis la réduction du nombre d'employés de la fonction publique de 3,2% en 2011 auxquelles s'ajoute une nouvelle réduction de 1,4% au 1er semestre 2012. En 2011, la masse salariale a été abaissée de 5%. La suspension exceptionnelle (voir les décisions Tribunal constitutionnel) du versement des 13ème et 14ème mois en 2012 a permis une réduction additionnelle de 12%. Mais malgré ces réformes, la masse salariale de la fonction publique portugaise reste l'une des plus lourdes de l'UE (figure 3.3) et malgré un rapprochement des régimes publics-privés, l'écart entre les salaires reste conséquent (figure 3.9)

Source et pour lire le rapport du FMI dans son intégralité, cliquez ici.

Le FMI demande le renforcement de la refonte de la fonction publique toujours trop dispersée surtout au niveau central qui compte plus de 77% des agents publics. Il demande, par exemple, la fusion des différents systèmes de paie et des services de relations internationales (pour l'instant un service différent par ministère).

Les rejets consécutifs du Tribunal constitutionnel

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Les récentes décisions du Tribunal constitutionnel du Portugal

[**Janvier 2013 *] : Le gouvernement prévoit de réduire les indemnités de licenciement et de congé maladie.

[**5 avril 2013*] : Après 3 mois de négociations, le Tribunal a rejeté 2 des 7 coupes budgétaires proposées :

  • Il bloque la suspension du versement des 13ème et 14ème mois aux fonctionnaires ainsi que le versement du 13ème mois à tous les retraités (sorte de congés payés pour les retraités du public et du privé). Les 13 juges ont estimé que supprimer l'un des deux « bonus » (versés en été et à la fin de l'année) remettraient en cause l'égalité de traitement des salariés des secteurs public et privé. Les 13ème et 14ème mois de bonus sont versés dans l'idée qu'ils compensent le fait que les fonctionnaires ne puissent pas cumuler d'autres sources de revenus d'activités, comme les salariés du privé.

La mesure devait représenter 1,1% du PIB dans le programme d'assainissement pour 2012. Compte tenu des engagements pris par le pays, en matière d'objectif de déficit, le Tribunal a néanmoins accepté que la suspension, telle qu'actuellement définie, s'applique exceptionnellement en 2012 (au total, une économie de 2 milliards d'euros [7], soit 1,2% du PIB dans le budget 2012).

  • Le Tribunal rejette la baisse des indemnités de licenciement et de congés maladies, votée en janvier 2013, au motif que le montant des minima sociaux ne peut être réduit par la loi [8].
  • Le Tribunal n'est cependant pas contre la baisse progressive des salaires de la fonction publique (« honoraires payés sur fonds publics »), le non paiement des heures supplémentaires dans le secteur public et la création d'une taxe spéciale de solidarité (CES) qui s'applique sur les retraites supérieures à 1.350 euros.

[*Conséquences :*] En rejetant la suppression des primes de vacances des fonctionnaires et des retraités, le Tribunal impose un manque à gagner de 1,35 milliard d'euros au budget 2013. Ce rejet intervient au moment où le gouvernement négociait avec la Commission européenne et le FMI pour une éventuelle révision de l'échéancier des prêts. En échange d'un plan d'aide et de renflouement de 78 milliards d'euros, sous surveillance de l'UE et du FMI, le Portugal s'était engagé à couper ses dépenses publiques de 4,7 milliards d'euros. À l'heure actuelle, le pays doit réduire ses dépenses de 5,3 milliards d'euros pour mai 2014 s'il veut tenir ses engagements.

La Commission européenne a néanmoins accepté, compte tenu de l'ampleur de la récession l'année passée, de fixer l'objectif de déficit 2013 à 5,5% du PIB (contre 5% initialement prévu).

[**29 août 2013*] : Le Tribunal rejette le projet du gouvernement d'assouplir les conditions de licenciement au sein de la fonction publique [9].

[*Les mesures du gouvernement pour compenser le rejet du Tribunal :*]

Manque à gagner 1,35 milliard d'euros :

  • 0,7 milliard d'euros de coupes dans le budget des ministères.
  • 0,2 milliard d'euros issus du :

==> Passage de 35 à 40 heures de travail hebdomadaire et de la réduction des rémunérations des heures supplémentaires.

==> De l'amélioration de la mobilité au sein de la fonction publique.

==> De l'augmentation des cotisations à la Sécurité sociale des agents de la fonction publique (+ 0,75%).

  • 50 millions d'euros issus d'une réforme des contrats publics-privés.
  • 380 millions d'euros issus d'une reprogrammation des fonds européens. )]

Le Tribunal constitutionnel portugais repose sur un système mixte de justice constitutionnelle. Il s'agit en effet d'une juridiction qui peut pratiquer le système diffus et concret du judicial review propre au système américain, et le système concentré et abstrait propre au système autrichien [10]. En conséquence, le tribunal a pris parti dans le débat politique relatif à la modernisation de l'État et à l'assainissement des comptes publics [11], en adoptant un positionnement économique. Concrètement, celui-ci affirme que : « Une différence de traitement à l'endroit des employés du secteur public, ne peut continuer à être justifiée par l'idée que les mesures de réduction des rémunérations sont plus efficaces que d'autres mesures alternatives de contention des coûts. » Un jugement discutable si l'on prend en compte le poids de 20,26 milliards d'euros (24% des budgets publics en 2011) de la masse salariale publique, premier poste après celui des budgets sociaux. Il s'agit surtout d'un jugement proprement politique. Cette appréciation doit cependant nous conduire à deux constatations :

  • Le Portugal qui a largement réformé son secteur public et le statut de ses agents, notamment en faisant converger ce dernier vers celui des employés du secteur privé, bute désormais sur les règles protectrices du droit du travail au Portugal, notamment celles de rang constitutionnel. L'exceptionnalisme du droit public s'effaçant, le bloc de constitutionnalité du droit du travail est érigé en gardien de l'égalité des employés quel que soit leur employeur.
  • En second lieu, le caractère mixte du Tribunal constitutionnel du Portugal lui permet de s'ériger en véritable contre-pouvoir et de s'immiscer dans les débats économiques en adoptant une position politique, en opportunité qui lui est propre.

Ces deux constatations peuvent donner lieu à deux séries d'observations pour la France :

  • La première est relative au statut de la fonction publique, de son maintien ou de sa suppression en cas d'ajustement budgétaire important, lorsque la flexibilisation est nécessaire. Il existe, en passant d'une fonction publique de carrière à une fonction publique de métier, un risque de se retrouver devant les rigidités propres au droit du travail défendues par le juge constitutionnel. Rigidités qu'il est difficile de dépasser si l'on n'a pas pris soin d'abord, de flexibiliser le marché du travail lui-même. Le risque de rupture d'égalité constitue un obstacle récurrent à partir du moment où les statuts publics et privés deviennent alignés. Il est nécessaire de séquencer les réformes permettant une consolidation budgétaire suffisante. Ce séquençage suppose sans doute que la convergence des statuts n'intervienne qu'en dernier lieu, afin de pouvoir conserver jusqu'au bout les avantages stratégiques nés de la relation unilatérale entre l'employeur public et son employé. Et de la sorte minimiser au maximum les frictions constitutionnelles occasionnées par les réformes.
  • S'agissant de la politique économique, sa constitutionnalisation progressive est à double tranchant. Côté recettes, le juge constitutionnel peut choisir de protéger avec plus ou moins de force le droit de propriété et de limiter l'impôt (cas en France de la limite constitutionnelle de fait d'une imposition directe supérieur à 70% du revenu) donc la capacité du pouvoir exécutif à prélever. Côté dépenses, le juge constitutionnel jouit de la possibilité qui lui est offerte comme ici au Portugal de refuser des mesures financières efficaces mais dont il estime les effets économiques « sous optimaux » et les conséquences en matière de rupture d'égalité devant les charges publiques et l'impôt, déterminants.

Il existe donc un aléa constitutionnel que la conception de mesures de redressement des comptes publics doit anticiper, et qui s'accroît paradoxalement au fur et à mesure que les décisions impactant les principaux postes de dépenses publiques se renforcent et que les sphères publique et privée convergent sous l'action des programmes de réforme. L'exemple portugais est riche d'enseignements et il s'agira de se souvenir des blocages de la Cour constitutionnelle quand la France sera (vraiment) dans la phase de conduite du changement de la réforme de la fonction publique. Assouplir le statut de la Fonction publique devra être en fait simultanément avec un assouplissement du Code du Travail. A contrario, les réformes françaises pourraient elles aussi rencontrer des blocages constitutionnels non négligeables.

[1] Source : Études économiques de l'OCDE : Portugal.

[2] Voir Ministère de Finances.

[3] La documentation française : Annexe X

[4] Avant 2 types d'agents publics : Les fonctionnaires et les contractuels.

[5] Voir DGAP.GOV

[6] Voir rapport August 2013 du ministère des Finances.

[7] Sur un total de 5,3 milliards d'économies en 2012 : Voir Peprobe

[8] Le besoin de réduire les indemnités de licenciement est pourtant repris dans chaque rapport du FMI et de l'OCDE.

[9] Jeudi 26 septembre : Le Tribunal rejette la même proposition, visant cette fois-ci les salariés du privé.

[10] Voir en particulier, Vital Moreira, Le tribunal constitutionnel portugais : le « contrôle concret » dans le cadre d'un système mixte de justice constitutionnelle, Cahiers du Conseil constitutionnel n°10, mai 2001.

[11] Voir ses déclarations d'avril : Il explique ne pas pouvoir accepter que le choix du gouvernement se porte uniquement sur la réduction des rémunérations de la fonction publique.