Ces grandes écoles qui rémunèrent leurs élèves
En plein débat sur la réforme du cycle universitaire, il est bon de rappeler que l'État français n'hésite pas à dépenser pour certains élèves qui ont réussi les concours les plus réputés du milieu académique. Ces étudiants ont ainsi le privilège d'être gratifiés par l'État en contrepartie d'un contrat les liant au service public. Néanmoins, plusieurs rapports, notamment ceux de la Cour des comptes en 2012, rendent compte du caractère laxiste de la politique de suivi des élèves à leur sortie de l'école. Un laxisme à déplorer quand on considère les montants investis (au bas mot 24 millions d'euros par an) par la collectivité sur la formation de ces profils.
Coût d'un élève et contrat décennal
En absence d'une comptabilité analytique fiable pour ces écoles nationales, le calcul du coût de ces élèves est un exercice périlleux, néanmoins la Cour des comptes a estimé que pour les Écoles Normales Supérieures le coût annuel total d'un élève/étudiant (hors doctorants) peut être estimé à 42.700 euros à Ulm, 44.700 à Lyon et 33.000 à Cachan. Si nous prenons en compte le fait qu'un professeur des universités ou un maître de conférence assume aussi des fonctions de recherche que nous devons retrancher dans les calculs, il en ressort un coût moyen de la formation de 23.000 euros à Lyon et de 17.000 à Cachan. Ajouté à cela la rémunération des normaliens, le coût annuel de leur formation s'élève à 57.500 euros pour l'école de Lyon et 50.700 pour celle de Cachan. En ce qui concerne l'École Polytechnique, la seule indication qui soit à la disposition de la Cour des comptes est que la rémunération des polytechniciens s'élève à 18 millions d'euros chaque année [1].
Les Écoles Normales Supérieures en chiffres en 2010
- ENS de Paris : budget : 102 M€ ; 930 élèves, 750 étudiants 310 enseignants, 350 personnels administratifs et techniques.
- ENS de Lyon : budget : 101 M€ ; 1.000 élèves, 530 étudiants 248 enseignants, 378 personnels administratifs et techniques.
- ENS de Cachan : budget : 103 M€ ; 1.260 élèves, 590 étudiants 208 enseignants, 286 personnels administratifs et techniques.
Source : Rapport de la Cour des comptes.
Le suivi des élèves après leur diplôme reste laxiste, insuffisant et parfois inexistant [2] dans ces écoles. Ce manquement rend impossible la vérification de l'obligation décennale. Les écoles normales supérieures n'ont pour mission que d'adresser un simple questionnaire à leurs anciens élèves et de signaler toute irrégularité au ministère qui décide d'émettre un titre de recette menant au remboursement. Ces dysfonctionnements sont si profonds que la Cour des comptes a relevé 5 cas en 2012 où d'anciens normaliens se sont portés grés de rembourser l'État français mais n'ont pas pu à cause de la répartition des compétences entre les écoles, le ministère de l'Enseignement et le ministère des Finances. Jusqu'en 2012, certains élèves polytechniciens n'étaient pas tenus de rembourser leurs années d'études.
Concernant l'École Nationale d'Administration, seule la Cour des comptes est en mesure d'obtenir des informations alors que le ministère possède lui-même les informations mais ne peut les faire parvenir dû à un refus de l'établissement [3]. Néanmoins, le rapport budgétaire consacré à la fonction publique indique que le coût total de la scolarité d'un étudiant s'élève à 168.000 euros. L'école étant composée de 80 élèves par an, cela représenterait donc un coût de 13 millions d'euros pour former une promotion ! Selon Eric Verhaeghe, diplômé de l'ENA (promotion Copernic), si nous prenons en compte les subventions versées par l'État pour soutenir l'École Nationale de l'Administration, le coût moyen d'un élève s'élève à 180.000 euros annuels pour les contribuables.
Les Écoles Normales Supérieures | L'École Polytechnique (rémunération) | L'École Nationale d'Administration | Les Instituts Régionaux d'Administration | L'École militaire Saint-Cyr (rémunération) | |
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Coût annuel moyen d'un élève | 54.100 | 10.560 | 180.000 | 52.721 | 18.008 |
Coût annuel total d'une promotion d'élèves | 30 millions | 4 millions | 14 millions | 37 millions | 1 million |
Égalité des chances
Dans un contexte de maîtrise de la dépense publique, l'iFRAP fait appel à une responsabilisation de ces écoles vis-à-vis de leurs dépenses personnelles. Si nous prenons en compte les infrastructures exceptionnelle, que ce soit dans l'immobilier [4], ou dans le domaine de la recherche, le nombre d'étudiants semble dérisoire par rapport aux coûts fixes de ces établissements. Ces recommandations de la Cour des compte vont dans le sens de l'objectif d'augmenter les effectifs d'Ulm de 2.200 à 3.000 étudiants, justifié par la directrice de l'École Normale Supérieure, au nom de « la mise au niveau du potentiel de recherche du potentiel de formation » de l'école.
[(Un contrat de travail menant aux privilèges
Il existe sur le long terme une inégalité entre les fonctionnaires-stagiaires et les étudiants de leurs âges puisque ceux-ci cotisent pour leur retraite dès la première année c'est-à-dire vers l'âge de 19, 20 ans en moyenne. Même s'ils ne pourront prétendre à une carrière longue dû à un manque de trimestres cotisés, ils auront tout de même, toutes choses égales par ailleurs, cotisé 3, voire 4 années complètes avant leur immersion sur le marché du travail, contrairement aux autres étudiants ayant mené un cycle universitaire jusqu'au Master 2. Aussi, il serait peut-être plus pertinent de considérer la mise en place de subventions ou de bourses plutôt qu'un contrat de travail entre l'État et ces fonctionnaires-stagiaires pour plus d'équité. )]
Conclusion
En somme, Il est indispensable de revoir le modèle économique sur lequel ces écoles reposent. Tout d'abord, une comptabilité analytique complète nous semble nécessaire pour plus de transparence dans la gestion. Compte tenu de leurs statuts et de leurs rémunérations, le suivi des élèves, que ce soit au sein de l'école ou après l'école, doit être plus rigoureux.
[(Les frais d'inscription universitaires au Royaume-Uni sont-ils aussi élevés qu'on le dit ?
De France, nous avons vécu avec un léger sourire, le triplement des frais de scolarité dans les universités anglaises à partir de la rentrée 2012 (de 3.500 à 9.000 livres sterling). Mais qu'en est-il vraiment ? Malgré les nombreuses manifestations des étudiants au cours de l'automne 2010, le nouveau système est à bien des égards bien plus clément qu'il n'y paraît. En effet, il ne s'agit pas, contrairement à l'imaginaire de beaucoup, de payer 9.000 livres sterling directement de sa poche tous les ans. Les Britanniques ainsi que les ressortissants de l'Union européenne ont le droit de contracter un prêt de 9.000 livres par an auprès du gouvernement. Les étudiants étrangers hors-UE doivent débourser directement aux alentours de 14.000 livres sterling (le montant varie en fonction des universités). Après 3 ans d'études (durée d'une licence – 4 ans si année à l'étranger), l'étudiant est donc endetté à hauteur de 27.000 livres plus intérêts (taux d'inflation + 3%). L'astuce du système se situe lorsque l'étudiant a fini ses études. Ce dernier ne commence à rembourser son prêt qu'à partir du moment où il gagne plus que 21.000 livres brut par an (soit 1.750 livres par mois). Au-delà de ce seuil, l'État, via l'employeur, prélève automatiquement 9% de la différence. Néanmoins, les intérêts sur le prêt continuent d'augmenter à hauteur d'environ 4,5% (inflation + taux en fonction du revenu) si ses revenus sont supérieurs à 21.000 livres et d'environ 6,6% pour des revenus dépassant 41.000 livres. Le prêt n'augmente que du niveau de l'inflation si l'ancien étudiant a un revenu inférieur à 21.000 livres. De plus, le système prévoit d'ajourner annuellement les montants à partir desquels l'étudiant devra commencer à rembourser pour le cas où celui-ci choisit de s'expatrier du Royaume-Uni. Ainsi, pour la France, l'étudiant ayant contracté un prêt remboursera à partir de 25.200 livres, soit 29.620 euros (remboursement mensuel de 283,50 euros). Après 30 ans, la dette, remboursé en entier, en partie ou aucunement, est éteinte.
Tableau récapitulatif du remboursement :
Salaire annuel brut | Salaire mensuel brut | Remboursement mensuel |
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En-dessous de £21 000 | £1 750 | £0 |
£24 000 | £2 000 | £22,50 |
£30 000 | £2 500 | £30 |
£42 000 | £3 500 | £157,50 |
£60 000 | £5 000 | £292,50 |
Ainsi, le système britannique a l'avantage d'allouer à tous les lycéens un prêt de 9.000 livres par année d'étude. Contrairement au système américain où les étudiants potentiels issus de milieux défavorisés sont particulièrement touchés et désavantagé par des frais d'inscription élevés, le système britannique n'est, en soit, pas un frein à l'accès au cycle universitaire.)]
[1] Source : Cour des comptes - Gestion de l'École Polytechnique.
[2] C'est le cas de l'ENS Lyon en Sciences.
[3] Source : Challenges.
[4] Rappelons que Ulm dispose d'un bâti considérable de plus de 100.000 m² exceptionnellement bien situé, pour l'essentiel au cœur de Paris