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BPI Financement : prendre la mesure totale du risque

La mission parlementaire d’information sur la Banque publique d’investissement (BPI) a déposé son rapport le 30 septembre 2015. Parmi les multiples aspects abordés, le niveau des risques pris par sa branche BPIfrance Financement, dont la mission se demande si elle n’est pas trop timorée : ”Pour la partie financement, en 2014, le coût du risque (qui correspond aux variations de provisions et aux pertes constatées sur des créances) s’est ainsi élevé à 57,60 millions d’euros dans les livres de BPIfrance Financement « consolidé » pour un encours total de 24,4 milliards d’euros”.

Une formulation qui occulte le risque directement supporté par les pouvoirs publics à travers les fonds de garantie. Ainsi, le coût du risque résultant de l’activité de BPIfrance Financement (BPIfrance + fonds de garantie) était en réalité 7 à 10 fois supérieur au coût comptable supporté par la seule BPIfrance. Un contresens qui en dit long sur le défaut d’évaluation de l’action de la BPI.

BPIfrance Financement (que nous appellerons “BPIfrance” dans la suite) est une banque détenue à 90% par l’État (à travers BPI-Groupe et la Caisse des Dépôts) et à 10% par des banques commerciales. Elle a principalement repris le rôle d’OSEO ancienne filiale de la CDC. 

Disposant de capitaux propres de 2,8 milliards d’euros, sa mission est de « pallier les défaillances de marché qui handicapent le financement des entreprises, en particulier des PME, et de constituer un levier d'intervention puissant pour le développement des territoires, en lien avec les régions ».

Elle offre principalement les produits suivants :

  • Des prêts à moyen et long terme ;
  • Des financements de trésorerie à court terme ;
  • Des garanties aux banques commerciales qui prêtent aux PME ;
  • Le financement de l’innovation à travers des avances remboursables et des subventions.

Le rapport de 182 pages plus 297 pages d’auditions, traite de nombreux sujets, mais le sens général du rapport peut se résumer par « BFIfrance devrait prendre plus de risques ».

L’analyse par la mission du risque pris par BPIfrance

La mission parlementaire est consciente de l’importance du thème du risque pour les activités de BPIfrance et déclare, page 78 de son rapport :

Le Rapporteur s’est interrogé sur les modalités, le coût et l’efficacité des interventions de Bpifrance au service des entreprises”Dans tout le texte, les passages entre guillemets sont issus du rapport d'information n°3097 par la mission d'information commune sur la Banque publique d’investissement Bpifrance et présenté par M. Laurent GRANDGUILLAUME, Rapporteur et Mme Véronique LOUWAGIE, Présidente, et, “La prise de risque de Bpifrance est au cœur de l’évaluation de son action.”

La mission s’interroge à juste titre sur le coût du risque engendré par les activités de BPIfrance, mais elle focalise son attention sur le seul coût du risque comptabilisé par cette société et non sur l’ensemble du coût pour les finances publiques, c’est-à-dire pour l’ensemble BPIfrance+Fonds de garantie.

Une particularité de BPIfrance est que ses financements ne sont généralement pas sécurisés par les actifs de ses clients, contrairement aux prêts des banques commerciales octroyés aux mêmes clients.

En conséquence, en cas de faillite d’un client, les créances de BPIfrance ne sont généralement honorées qu’après le remboursement de toutes leurs autres dettes. En termes bancaires, BPIfrance est subordonnée aux autres créanciers de ses clients, dont elle supporte les premières pertes en cas de défaut.

Mais si les financements de BPIfrance ne sont pas adossés aux actifs de ses clients, ils sont par contre partiellement garantis par son actionnaire principal, l’État, au travers de fonds de garantie:

  • Fonds de garantie publics en soutien des activités de financement et de garantie, capitalisés à 2,3 milliards d’euros fin 2014 ;
  • Fonds de garantie de l’innovation en soutien des activités de financement de l’innovation (avances remboursables et subventions), capitalises à 678 millions d’euros fin 2014.

Pour résumer, en cas de faillite d’un client, le produit de la liquidation – après déduction des dettes fiscales et sociales – sert à rembourser, dans l’ordre de priorité suivant :

  1. Les créanciers sécurisés (essentiellement : les banques commerciales) ;
  2. Les créanciers non sécurisés (BPIfrance, seule banque à prêter sans sécurité) pour le solde.

Comme les garanties de BPIfrance sont contre-garanties par les fonds de garantie, la partie non remboursée des dettes de la société en faillite (qui constitue le « coût du risque ») est ainsi répartie dans l’ordre de priorité suivant :

  1. Les fonds de garantie ;
  2. BPIfrance ;
  3. Les banques commerciales pour le solde.

Au vu du coût du risque comptable, la mission se demande à plusieurs reprises si BPIfrance n’est pas trop timorée dans sa politique de risque.

Le coût du risque apparaît en définitive assez faible. Pour la partie financement, en 2014, le coût du risque (qui correspond aux variations de provisions et aux pertes constatées sur des créances) s’est ainsi élevé à 57,60 millions d’euros dans les livres de Bpifrance Financement « consolidé » pour un encours total de 24,4 milliards d’euros”.

À l’évidence, la mission ne juge pas nécessaire de prendre en compte le coût du risque supporté directement par l’État à travers les fonds de garantie. Tout au plus ce coût est-il vaguement mentionné dans le rapport:

Quant à l’utilisation des fonds de garantie, elle serait en moyenne, selon les informations données à la mission d’information, d’environ 100 millions d’euros par an.”

Cette formulation approximative, ouvertement non vérifiée et au mode conditionnel, témoigne du peu d’intérêt manifesté par la mission pour les risques réellement engagés par BPIfrance.

En outre, et de façon encore plus étonnante, le chiffre cité s’avère être bien inférieur au coût réel du risque supporté par les fonds de garantie en 2014 (518 M€).

Ainsi, le coût du risque résultant de l’activité de BPIfrance (BPIfrance + fonds de garantie) était en réalité dix fois supérieur au coût comptable supporté par la seule BPIfrance : 576 millions d’euros au lieu des 57,6 millions d’euros.

Cette différence de 518 millions d’euros correspond au coût du risque supporté par les fonds de garantie publics et les fonds de garantie de l’innovation, pour respectivement 397 millions d’euros et 121 millions d’euros.

Ces chiffres appellent quelques explications :

  • Le coût du risque de 397 M€ inclut, conformément à la norme IFRS, une estimation non seulement des pertes avérées mais aussi des pertes seulement probables (probabilité d’occurrence de plus de 50%), calculées selon la méthode des cash flow actualisés. A ce titre, ce poste n’est qu’une estimation de la perte probable, perte qui pourra s’avérer inférieure ou supérieure à ce montant. La partie avérée de cette perte future s’élevait, selon BPIfrance, à 235 M€ en 2014 ;
  • Conformément aux normes comptables, les commissions et revenus de placement des fonds de garantie n’entrent pas en déduction du coût du risque. En effet, si ces mêmes sommes étaient mobilisées par l’Etat au profit d’autres activités ils génèreraient aussi des revenus, qu’ils soient monétaires ou non monétaires. Ce qui importe dans l’évaluation des risques générés par l’activité spécifique de BPIfrance à travers les fonds de garantie est donc leur « coût du risque », indépendamment des revenus générés par le capital qui leur est alloué par l’Etat ;
  • Le montant de 121 M€ correspond au poste “provisions, pertes et constats d’échec” des fonds de garantie de l’innovation. Il représente essentiellement des financement d’actifs immatériels de sociétés, sous forme d’avances remboursables en cas de succès. Bien que la BPI insiste sur le fait qu'une politique d'avance remboursable est préférable à une politique de subventions à fonds perdus, le poste "provisions, pertes et constat d'échec" peut être assimilé à un coût du risque car il est constitué de sommes avancées à des sociétés qui se révèlent finalement incapables de les rembourser. Ce montant ne comprend pas les 102 M€ de subventions distribuées par ailleurs en 2014.

Si l’on ne retenait que la partie avérée des provisions sur les fonds de garantie publics, le coût total du risque serait de 414 M€ au lieu des 576 M€ mentionnés plus haut, soit 7 fois les 57,6 M€ mentionnés dans le rapport de la mission. 

Il est très étonnant que la mission n’intègre pas les risques supportés par l’État à travers les fonds de garantie lorsqu’elle évalue la « prise de risque de BPIfrance ».

Il est incompréhensible que le coût du risque total supporté par l’État et BPIfrance n’ait été mentionné ni lors des auditions ni dans le rapport de la mission alors qu’il figure pourtant dans le rapport annuel de BPIfrance. Comment expliquer que la mission n’ait à aucun moment jugé utile de demander aux dirigeants de BPIfrance, longuement auditionnés (directeur du financement, directeur financier et directeur général) de s'en expliquer ?

Le coût du risque à moyen terme

Sur le moyen terme, le coût du risque engendré par BPIfrance est très substantiel:

  • Les créances en retard de paiement fin 2014 se montaient à 818 millions d’euros, dont 461 millions d’euros depuis plus de 6 mois. Compte tenu de la forte subordination des engagements de BPI (voir encadré ci-dessus), on peut penser qu’une grande partie de ces créances ne sera pas remboursée.
  • BPIfrance portait sur son bilan fin 2014 un stock de provisions de 1.745 millions d’euros, portant sur ses créances et ses garanties données.
  •  À ces provisions s’ajoutent les pertes futures sur les fonds de garantie, dont le stock de provisions n’est pas publié.

Finalement, le résultat consolidé publié de 102,8 millions d’euros et la rentabilité de 3,6% sur ses fonds propres de 2.854,4 millions d’euros donne une image très édulcorée de l’activité de BPIfrance.

Un cas d’école : le financement du CICE

Depuis 2013, BPIfrance a préfinancé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), prenant 90% de ce marché pour atteindre un encours de 2,3 milliards d’euros fin 2014.

Elle explique ce fort développement par le fait que “les banques commerciales se sont en effet montrées réticentes à intervenir dans ce domaine”.

Pour assurer la forte progression de ses encours, BPIfrance a eu recours à des intérimaires qui ont depuis “été embauchés sur des postes pérennes.” Mais “le taux de sinistralité s’est rapidement avéré beaucoup plus élevé que prévu.”

Faute d’avoir demandé et obtenu des entreprises une preuve de l’existence de la créance auprès de l’administration fiscale avant de verser les fonds - preuve qui n’est disponible qu’à la clôture de chaque exercice comptable - BPIfrance n’a pas pu obtenir de remboursement de la part d’une partie de ses clients en faillite. Les créances non remboursées s’élevaient à environ 50 millions d'euros en 2013 (6% des encours). Aucune information n’est présentée  (ni demandée) sur les pertes accumulées sur le financement du CICE depuis 2013, plus d’un an et demi après la clôture de cet exercice.

Cet exemple illustre l’un des principaux écueils de l’action d’une banque publique, qui consiste à considérer que les entreprises qui ne parviennent pas à se financer auprès du système bancaire sont souvent privées de capitaux par surestimation du risque de crédit et qu’il en va de l’intérêt général de remédier à ces “failles“ dans le financement de l’économie.

La banque publique est alors chargée de combler ces “failles” grâce à une politique de crédit plus accommodante pour le risque, une exigence de rentabilité inférieure et une politique de dividende moins généreuse que celles de ses consœurs du secteur privé.

Il est bien sûr possible que des crédits soient injustement refusés par des banques commerciales. Mais plus on monte dans l’échelle du risque de crédit, plus les mauvaises raisons de refuser un crédit se font rares, et plus l’exigence de professionnalisme se fait impérieuse.

Les banques commerciales sont-elles trop frileuses ?

La dernière enquête trimestrielle de la Banque de France (juillet 2015) a été réalisée auprès d’un échantillon de plus de 3.000 PME et 400 Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI).

Selon cette enquête, les demandes ou renouvellements de lignes de crédit au cours des 12 mois précédents ont obtenu une réponse favorable des banques dans 92% des cas.

La même question posée aux ETI conduit à un taux de réponse favorable de 97%.

Selon cette même enquête, 94% des demandes de crédit d’investissement faites au cours des 3 mois précédents ont obtenu une réponse favorable.

Par comparaison avec l’UE, les crédits aux entreprises non financières en France avaient le plus fort taux de croissance entre juillet 2014 et juillet 2015 avec +3,6% (Allemagne +1,4%, Italie -1,2%, Espagne  -2,7%, UE +0,4%).

Les résultats de cette enquête sont confirmés par celle de la BCE auprès des PME françaises (oct. 2014-mars 2015), qui déclarent à 79,3% ne pas avoir de problème face à leurs demandes de crédit. Ce résultat est le 2e de la zone euro après ceux de la Belgique et de la Finlande (Allemagne 78,3%, zone euro : 70,9%).

Ces chiffres montrent que le secteur bancaire français n’est pas particulièrement frileux dans le financement des PME et des ETI, ce qui pose la question du positionnement de BPIfrance,

NB : la part de BPIfrance dans le financement des entreprises n’était que de 6,1% en 2014 (11,3 milliards d’euros de crédits nouveaux octroyés par Bpifrance en 2014 contre 184 milliards d’euros pour le secteur privé selon les chiffres de la Fédération bancaire française).

Contresens dans la mesure de la performance

La valeur ajoutée de BPIfrance est le solde entre une valeur positive et une valeur négative:

  • Valeur positive : la valeur créée (sauvée) par les entreprises grâce au financement de la BPI ;
  • Valeur négative : les crédits distribués en pure perte à des entreprises qui font faillite et ne remboursent pas ces crédits.

La valeur négative est la plus simple à évaluer, à travers le coût du risque supporté par BPIfrance et ses fonds de garantie.

La valeur positive est plus difficile à estimer. Au minimum, en appliquant un taux moyen de rentabilité du capital (par secteur économique) aux montants prêtés par BPIfrance et ses banques partenaires, et en se limitant aux financements qui n’auraient pas été accordés sans l’action de BPIfrance, il serait possible d’approcher cette valeur positive créée annuellement, au moins en ordre de grandeur.

Au lieu de cela, la mission parlementaire s’attache à évaluer le niveau de risque pris par la banque - sur la base de coûts du risque erronés. Le raisonnement implicite est qu’un coût du risque élevé est le signe que la banque finance un univers de sociétés risquées, au sein duquel se trouvent des sociétés qui pourraient se développer ou simplement survivre si elles avaient accès au crédit bancaire.

La mission, constatant  le faible niveau du coût du risque, considère que la banque ne va pas assez loin dans l’aide aux entreprises en difficulté en raison de son aversion pour le risque.

En conséquence, elle incite la banque à prendre davantage de risques, en acceptant un coût du risque plus élevé, considérant qu’ainsi la banque sauvera davantage d’entreprises en difficulté injustement privées de crédit bancaire.

Le coût du risque constitue par essence la mesure des erreurs de crédit, donc une mesure d’échec. Ainsi, paradoxalement, la mesure de l’échec bancaire est promue au rang de mesure de la réussite, un peu comme si on mesurait la performance d’une mine au volume des déchets produits.

Cette approche n’est pas satisfaisante et même dangereuse.

Avant d’inciter BPIfrance à augmenter ses prises de risque, le législateur devrait :

  • d’abord évaluer correctement ce risque, en prenant en compte le coût du risque comptabilisé non seulement par BPIfrance mais aussi par les pouvoirs publics à travers les fonds de garantie ;
  • ensuite, comparer ce coût du risque (valeur négative) avec la valeur positive créée par BPIfrance.

En valorisant cette mesure, négative, de l’échec, sans même tenter de mesurer la valeur, positive, des succès, le législateur ne fournit pas à BPIfrance les incitations nécessaires à une bonne gestion de l’argent public.

Il est vrai que le champ couvert par la mission en neuf mois d'enquêtes et d'auditions est très vaste et les sujets souvent complexes. Il est toutefois regrettable que les membres de missions parlementaires ne s’entourent pas d'experts lorsqu’ils traitent de sujets aussi spécialisés, comme c'est le cas au Royaume-Uni.