Subventions aux entreprises par les collectivités : plutôt 2,7 Mds que 8,5 Mds

Combien nos entreprises privées perçoivent elles de subventions publiques de la part des collectivités locales ? C'est une question qui semble simple et pourtant la réponse n'est pas si évidente que cela. Sur les 8,5 milliards d'euros d'aides aux entreprises par les collectivités identifiés dans sa revue de dépenses par l'Inspection générale des finances, la Fondation IFRAP identifie seulement un peu plus de 2,7 milliards d'euros de concours financiers versés aux organismes privés. Dont 1 milliard versé par les régions au titre d'aides aux entreprises privées. Il n'est pas possible avec la nomenclature comptable de déterminer la part des aides versées par les autres collectivités dans les 1.7 milliard restant, le reste du budget principal se dilue entre les dépenses de personnel des collectivités (500 millions d'euros), l'investissement et à l'entretien (1 milliard d'euros), les autres dépenses de fonctionnement courant (1 milliard), les subventions aux organismes publics (1,3 milliard) et enfin le budget annexe (1.1 milliard d'euros). En tout état de cause, il faudrait une information publique beaucoup plus détaillée de la destination des fonds des collectivités locales estampillés "actions économiques". Cela éviterait d'exagérer les montants de subventions versés aux entreprises privées.
Entre 2014 et 2020, la Cour des comptes a estimé que l'action économique des collectivités territoriales était de 8,5 milliards d'euros par an en moyenne. L'Inspection générale des finances, l'avait elle estimée à 7,4 milliards d'euros et l'avait maladroitement appelé "aides aux entreprises". Cependant, il ne s'agit pas des aides versées aux entreprises privées et l'écart entre les deux estimations vient du fait que la Cour des comptes avait également comptabilisé les budgets annexes et les montants du SIVU. Sur les 8,5 milliards d'euros, seulement 2,7 milliards d'euros en moyenne de concours économique sont versés aux organismes privés (soit 31,7 % des dépenses d'action économique) par les collectivités selon la Cour des comptes, ce qui s'ajoute 0,3 milliard d'euros versé par le FEDER. Sur ces 2,7 milliards d'euros, 1 milliard d'euros d'aides aux entreprises privées est versé par les régions en moyenne par an, ce qui correspond à 40 % de l'action économique des régions. Le 1,7 milliard d'euros restant du concours économique des collectivités (soit 41 % de l'action économique) comprend les aides aux entreprises des départements, les communes et les EPCI confondus sans qu'il soit possible de les déterminer avec précision. 367 millions d'euros d'aides de minimis et 659 millions d'euros d'aides d'État composent le milliard versé par les régions. Au total, c'est un concours financier de 3 milliards d'euros entre 2014 et 2020 pour les organismes privés. Les aides aux entreprises privées versées par les collectivités sont donc supérieures à 15% de l'action économique des collectivités, mais strictement inférieures à 35% de cette dernière.

7,4 milliards d'aides aux entreprises par les collectivités selon l’inspection générale des finances
L’inspection générale des finances, dans sa revue des dépenses sur les aides aux entreprises d’avril 2024, expliquait que les aides aux entreprises en 2021 étaient de 7,4 Md€. Elles se répartissent entre les dépenses réelles de fonctionnement et dépenses réelles d’investissement sans que le détail ne soit fourni. Ce sont majoritairement les régions qui contribuent à ces aides, selon le rapport, avec une part de 40%, suivi des EPCI (établissement public de coopération intercommunale) avec 34% environ. Puis viennent les départements et les communes avec respectivement 14,6% et 11.4% des dépenses d’aides aux entreprises versées par les collectivités.
Le rapport nous indique aussi que les aides européennes pour tous types de PME (FEDER et FTJ) représentent 0,3 Md€ sur les 9 à 10 Md€, le reste étant soit pour le secteur agricole (~ 9 Md€), soit pour la pêche (~ 40 M€), ou pour les réserves d’ajustement au Brexit (~ 10 M€ qui concernent les PME de tous secteurs et du secteur de la pêche). Les aides européennes sont majoritairement destinées à l’agriculture et non au développement des PME. Les 0,3 Md€ représentent un total de 2,1 Md€ sur l’horizon 2027 en prenant pour point de départ l’année 2021.
Répartition des Aides de l’Union Européenne versées aux entreprises

Concernant les dépenses d’aides aux entreprises attribuées par les collectivités territoriales, l’analyse proposée par l’Inspection générale des finances (IGF) apparaît biaisée, en raison d’une confusion entre les notions de "dépenses de développement économique" et d’"aides aux entreprises".
Dépenses de développement économique et aides aux entreprises
Comme le relève le RPA 2023 de la Cour des comptes dans son insertion relative aux compétences de développement économique des collectivités territoriales[1], « les collectivités territoriales concourent au développement de leur territoire (…). Au sein de ce vaste champ d’action, les compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique s’exercent au travers de mesures de soutien direct ou indirect aux entreprises. » Jusqu’en 2014 l’action des collectivités territoriales en matière de développement économique (ou action économique) se fondait sur la clause de compétence générale et de leur intérêt général à agir. Les lois MAPTAM du 27 janvier 2014 puis la loi NOTRé du 7 août 2015 ont abouti à une mise en cohérence des compétences en matière d’action économique centrées sur les EPCI et les Régions (chef de file). Ainsi le développement économique regroupe les actions de soutien directes et indirectes à l’activité d’une entité économique dans le but d’intérêt général. La notion d’aide économique impliquant l’octroi d’un avantage sans contrepartie. Les aides aux entreprises sont des aides directes qui peuvent prendre plusieurs formes : subventions, rabais de prix de vente, garanties, baisses de loyer ou tout avantage en faveur d’une entité poursuivant un but lucratif. L’attributaire (celui qui l’octroie) doit respecter 3 critères[2] : un intérêt public, la compétence de l’attributaire (ainsi un département ne peut pas subventionner une entreprise en difficulté[3]), et le respect des principes de la liberté du commerce, de l’industrie et de la concurrence (cadre national et droit de l’UE).
En résumé : les actions de développement économique sont plus larges que les simples aides aux entreprises (car elles peuvent comprendre le soutien à des structures ayant pour objet le développement économique). Par ailleurs les « entreprises » ne sont pas nécessairement des sociétés de droit privé, mais aussi des EPIC, des SPL, des SEM, à condition que la condition de lucrativité soit satisfaite. |
8,5 milliards d'aides aux entreprises par les collectivités selon la Cour des comptes
Dans son rapport public annuel de 2023, la Cour des comptes a examiné la répartition des dépenses qualifiées de développements économiques par les collectivités territoriales sur la période 2014-2020. Elle évalue les dépenses moyennes annuelles liées à l’action économique des collectivités à 8,5 milliards d’euros sur cette période, montant qui s’élève à 8,6 milliards d’euros en 2021. Plus précisément, une moyenne de 6,7 milliards d’euros est affectée aux budgets principaux, dont 2,7 milliards d’euros sont destinés aux organismes privés. Par ailleurs, 1,1 milliard d’euros est alloué aux budgets annexes et aux SIVU, tandis que 717 millions d’euros proviennent des fonds du FEDER. La Cour des comptes souligne que ces chiffres concernent spécifiquement l’action économique, la nomenclature actuelle ne permettant pas, pour l’ensemble des collectivités, une identification distincte des aides directement accordées aux entreprises.

Sources : Cour des comptes, données des comptes de gestion de collectivités de 2014 à 2020, DGCL, ANCT (montants de FEDER programmés 2014-2020).
Dans son analyse, la Cour des comptes retrace l’évolution de l’action économique des collectivités territoriales de 2013 à 2021. Pour l’année 2021, les données corroborent celles de l’Inspection des Finances, à savoir une contribution de 2,989 milliards d’euros par les régions, 1,080 milliard d’euros par les départements, 2,498 milliards d’euros par les groupements de communes à fiscalité propre (EPCI) et 846 millions d’euros par les communes. À ces montants s’ajoutent les budgets annexes, évalués à 964 millions d’euros, ainsi que les contributions des syndicats intercommunaux à vocation unique, estimées à 239 millions d’euros.

Après avoir croisé les diverses informations disponibles, la Fondation iFRAP a observé une correspondance exacte entre les données publiées par la Cour des comptes et celles recensées par l’Inspection générale des finances (IGF) dans ce domaine. Toutefois, il apparaît que l’IGF a qualifié ces dépenses d’action économique comme des « aides aux entreprises », une catégorisation qui pourrait mériter une analyse plus approfondie.

La différence entre le montant de la Cour des comptes et celui de l’Inspection générale des finances s’explique par le fait que la Cour des comptes intègre également les budgets annexes des collectivités ainsi que les syndicats intercommunaux à vocation unique. Sur les 8,5 milliards d’euros des dépenses d’action économique en moyenne par an sur la période 2014-2020, on retrouve 3,964 milliards d’euros versés aux organismes publics via les dépenses de personnel, les investissements et les subventions aux organismes publics. Seulement 2,694 milliards d’euros sont versés aux organismes privés, soit 40 % des dépenses des budgets principaux, et 32% de l’ensemble des dépenses de l’action économique des collectivités. Ainsi, les aides aux entreprises de l’Inspection générale des finances correspondent en réalité à l’ensemble des dépenses de l’action économique des collectivités territoriales de 2021. Cette action économique n'étant pas versée uniquement aux entreprises privées, il n’est pas correct de les nommer « aides aux entreprises ».

La nomenclature en vigueur limitant l’analyse des données, la Cour des comptes s’est appuyée sur les données collectées auprès des régions dans le cadre de son enquête afin d’estimer en moyenne le montant des aides aux entreprises versées par les collectivités. « En retenant les aides déclarées au titre des finalités recherche, développement et innovation, PME et celles à finalité régionale ou en faveur des entreprises en difficulté, de l’agriculture et de la pêche, la Cour évalue leur montant à 1 milliard d’euros par an en moyenne sur la période 2014-2020 ». En y additionnant les aides du FEDER que la Cour des comptes évalue à 0,3 milliard d’euros par an, on obtient une moyenne d’aides aux entreprises entre 2014 et 2020 de 1,3 milliard d’euros versés par les régions.
La Cour des comptes prend essentiellement en considération les aides de minimis. « L’ensemble des aides versées aux entreprises représente 37 % des dépenses régionales de développement économique sur la période 2014-2020 ». Cette part varie en fonction des régions : on peut noter le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine, dont les aides avoisinent 52 % des dépenses régionales de développement économique, mais aussi les Hauts-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avec leurs 45 %. On note des taux plus faibles, de 27,6 % en Auvergne-Rhône-Alpes et 25,1 % dans les Pays de la Loire.
Concernant les 0,3 milliard d’euros d’aides issues du FEDER, la Cour des comptes constate qu’elles bénéficient d’un suivi régulier. En revanche, ce n’est pas le cas des aides d’État ni des aides de minimis. Cette absence de suivi et d’évaluation limite la capacité à analyser les défaillances du marché, à optimiser l’utilisation des instruments de l’action économique ou à évaluer leur pertinence à l’échelle microéconomique.
Conclusion
C’est donc en moyenne 3 milliards d’euros (1 milliard d’euros des régions, 1,7 milliard de concours financier et 0,3 milliard d’euros du FEDER) qui sont effectivement versés aux organismes privés. Sur les 8,5 milliards d’euros d’action économique des collectivités territoriales, cela ne représente que 35 % environ. Les aides aux entreprises privées sont strictement inférieures à 35% de l'action économique des collectivités, sans pouvoir les déterminer avec précision. La confusion vient du fait que l’Inspection générale des finances a hâtivement désigné ses estimations de 7,4 milliards d’euros d’action économique en aides aux entreprises. Ainsi, loin de cibler principalement les entreprises privées, ces dépenses soutiennent davantage un écosystème public ou semi-public, soulignant la nécessité d’une évaluation rigoureuse pour en maximiser l’impact économique réel.
[1] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230310-RPA-2023-competences-developpement-economique-collectivites-territoriales.pdf
[2]https://www.isere.gouv.fr/contenu/telechargement/49678/341959/file/Fiche+n%C2%B01+la+notion+d%27aide+%C3%A9conomique.pdf
[3] Art.L.1511-2 du CGCT.