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PPE3 : une trajectoire qui menace la souveraineté énergétique française

La PPE 3 (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) remise en consultation le 7 mars sera peut-être approuvée par un simple décret. Une décision du gouvernement contre laquelle se sont élevé plus de 160 sénateurs qui dans un courrier adressé à François Bayrou, ont demandé un débat devant la représentation nationale sur l'avenir énergétique du pays. Et pour cause : en l'état, la PPE, en se conformant aux objectifs du Green Deal européen, et notamment de porter à 42,5% la part des énergies renouvelables intermittentes d'ici 2030 dans le mix électrique, implique des investissements massifs dans le solaire et l'éolien, ce qui conduira à un prix futur de l’électricité en forte augmentation, sans garantir notre souveraineté et la sécurité de notre approvisionnement électrique. Il est grand temps de faire évoluer les objectifs du mix électrique européen de 42,5% d'énergies renouvelables à 42,5% d'énergies vertes ( incluant le nucléaire). 

La PPE définit notre mix électrique jusqu’en 2035 ; elle prévoit une forte augmentation de notre consommation. Cette augmentation qui ne peut d’ici là être satisfaite par de nouvelles sources pilotables (pas encore d’EPR2, simple optimisation marginale de la capacité hydraulique) l’est donc par une très forte augmentation des ENRi, dont la capacité est multipliée par 2,7 à 3 fois pour l’éolien et 4,7 à 5,6 fois pour le solaire.
La PPE est ainsi un copier-coller des scénarios « tout renouvelable » de l’ADEME/RTE, mais aussi du choix allemand que Bruxelles veut imposer à travers le Green Deal.

Ce scénario ne répond à aucun des impératifs de puissance garantie, de pilotabilité ou de souveraineté. L’exemple allemand qui affole les décideurs et les clients allemands, au point d’envisager un retour au nucléaire est, sans l’ombre d’un doute, le modèle à ne pas suivre.

Une consommation 2035 fortement surestimée

En juillet 2024, RTE publiait son bilan prévisionnel 2023-2035. Le scénario de référence prévoyait une consommation de 615TWh en 2035, étonnamment proche des 645TWh du scénario préalablement proposé pour 2050, alors qu’une bonne partie de l’électrification de l’économie ne produira ses effets que de 2035 à 2050. En effet, tant sur les transports que sur le logement ou l'industrie, l'électrification des usages ne progresse que lentement. 

La PPE3 que le gouvernement vient de présnter va encore plus loin en retenant 598TWh pour 2030 et 692TWH en 2035.On ne peut que s’étonner de cette brutale accélération alors qu’en réalité la consommation stagne autour de 450TWh et que tous les efforts d’électrification sont très en retard sur les trajectoires prévues, avec peu d’espoir de rattrapage rapide du fait entre autres des contraintes budgétaires (pompes à chaleur, voitures électriques, augmentation de la part ferroviaire dans le fret, modification des processus industriels comme la sidérurgie, production d’hydrogène).

Une projection récente de Cérémé prévoit une consommation de 540TWh seulement en 2035. Il n’y a donc pas d'urgence à construire de nouvelles capacités d’ENRi ; ni d'urgence à adopter la PPE3 en s’appuyant sur des faits.

Rappelons les faits :

  1. Les ENRi sont des sources intermittentes, très variables et non pilotables. Elles ne produisent pas quand on en a besoin, mais quand le vent souffle ou le soleil brille. 

    En France, le pourcentage croissant de ces ENRi dans notre production électrique est dû à la priorité contractuelle d’injection sur le réseau dès qu’elles produisent et non à leurs mérites. En fait, une analyse détaillée des statistiques horaires de RTE montre qu’à l’exception de 2022 (pic aigu des problèmes de corrosion sur les centrales nucléaires) l’essentiel de la production des ENRi a dû être exporté à tout prix. 77% de leur production l’a été en 2019, selon le constat fait par RTE lui-même (Bilan annuel 2019) et environ 90% en 2024. Notre éolien et notre solaire ont ainsi sur longue période servi presque exclusivement à décarboner nos voisins à nos frais. Pour la seule année 2024, le coût direct de ce paradoxe (hors investissements) est de 3 à 6 milliards d’euros !!

  2. Non pilotables et fortement variables, éolien et solaire ne peuvent fournir une puissance garantie.

    L’Allemagne a frôlé la catastrophe pendant de longues heures en novembre et décembre 2024. Dans des périodes de vent très faible et peu ensoleillées, l’Allemagne a dû faire fonctionner à fond ses vieilles centrales thermiques charbon et lignite et importer, en particulier du nucléaire français. Elle a émis jusqu’à 600g CO2/kWh (moyenne française 2024 : 21,2g) et le prix spot est monté à près de 1.000€/kWh, comme aux pires moments de la crise ukrainienne. Cette variabilité extrême n’est pas une exception : les statistiques allemandes enregistrent sur 10 ans 160 épisodes de vent très faible pendant un jour au moins.

  3. Intermittence et non-pilotabilité ne permettent pas à un mix « tout renouvelable » d’assurer une puissance garantie. 

    Les scénarios de RTE dans les futurs énergétiques 2050 l’avaient reconnu et avaient en commun (soigneusement dissimulé dans une case du tableau récapitulatif et une demi-ligne d’un document de 60 pages !) que la France disposerait à tout moment jusqu’en 2050 de la possibilité d’importer jusqu’à 39GW, soit l’équivalent de 60% de notre parc nucléaire.
    Comment croire qu’une telle puissance restera à notre entière disposition dans un paysage électrique européen en plein bouleversement ? Un risque pour la France pour laquelle l’électrification fortement accrue de toute l’économie fera encore plus de la sécurité de notre approvisionnement une absolue nécessité.
     

  4. Pour pouvoir utiliser la production de nos ENRi pour satisfaire la demande française (et non les voisins), il faut les intégrer dans un système comprenant des sources pilotables, qui seront à l’arrêt lorsque les ENRi produisent suffisamment et mises en route pour pallier leurs insuffisances.

    Le vrai coût des kWh de ces ENRi est ainsi bien éloigné de la vision trompeuse de coûts limités aux simples investissements en éoliennes ou en panneaux solaires. Il faut y ajouter les coûts d’investissement et de fonctionnement du système complet nécessaires : transformation, stabilisation et synchronisation de l’électricité produite, lignes de transport indispensables pour connecter au réseau les très nombreux sites de production, centrales thermiques en complément qui produisent par intermittence et dont 50% environ des coûts sont fixes. Ni RTE ni la PPE3 ne présentent une comparaison complète des éoliennes terrestres ou marines ni du solaire avec le nouveau nucléaire. Plusieurs voix autorisées dont le Commissaire à l’énergie atomique et Cérémé ont récemment évalué à 300 milliards d’euros au moins le surcoût dû au développement accéléré des ENRi.

  5. Si les obligations imposées par Bruxelles ne sont pas profondément modifiées, tous les pays de l’UE, sauf la France, vont remplacer leurs centrales au charbon et satisfaire la croissance de leurs besoins par des ENRi appuyées sur de nouvelles centrales au gaz.

    Les capitaux en jeu seront énormes et ils limiteront leurs investissements, en particulier en centrales thermiques, à leurs stricts besoins nationaux. La très grande similitude des régimes de vent et, à un degré moindre de l’ensoleillement, entre ces pays produiront d’énormes excédents simultanés lorsque vent ou soleil seront forts, excédents qui ne trouveront pas preneurs sur le marché spot. Alterneront des périodes où toutes les centrales thermiques à capacité limitée produiront simultanément. Les prix du marché spot seront encore plus volatils qu’aujourd’hui ; l’importation dans l’urgence le plus souvent impossible. Pour la sécurité de notre approvisionnement et pour un coût maitrisé de notre électricité, il est nécessaire que la France ne dépende pas d’un marché européen extremement volatil, mais soit auto-suffisante, une condition de notre souveraineté.

L’échec, chaque jour plus évident, de la transition énergétique allemande, qui a servi de modèle à Bruxelles, montre, sans l’ombre d’un doute, ce que la France doit éviter. Or la PPE3 proposée est pour la part non nucléaire un copier-coller de ce modèle.

Il faut donc rejeter cette PPE

  • Mettre tous efforts pour que la part nucléaire de cette PPE soit mise en œuvre, que soit relancé le développement de réacteurs de 4e génération et poussé celui de SMR. C’est la partie « sans regret » de cette PPE.
  • Pour le reste des besoins, retravailler la comparaison des solutions proposées par la PPE3 avec un développement plus ambitieux du nucléaire au-delà de 2035.

Comme évoqué plus haut, il n’y a pas d’urgence à faire ce choix. 

Pour assurer plus encore la satisfaction de nos besoins d’ici 2035, la construction de quelques centrales au gaz, flexibles et parfaitement pilotables, en appui des ENRi existantes nous permettrait de les utiliser pour nos besoins propres plutôt que pour décarboner nos voisins.

Alors que le Gouvernement a du mal à trouver quelques milliards d’économies, comment admettre de dépenser 300 milliards de trop dans une PPE, qui ne répond pas, par ailleurs, aux impératifs de notre futur électrique ?