Suppression du Test PME : le projet de loi de simplification vidé de sa substance ?

Après engagement de la procédure accélérée par le gouvernement, le projet de loi de simplification de la vie économique est examiné en commission spéciale à l’Assemblée nationale depuis le 24 mars. Il sera étudié en première lecture du 8 au 11 avril 2025. Le test PME, ajouté par les Sénateurs avant l'interruption causée par la dissolution de l’Assemblée nationale, n’a pas résisté à la commission. Il s’agissait d’évaluer l’impact des nouvelles réglementations sur les entreprises, mesure pourtant très attendue par le patronat. Le Sénat, qui avait adopté le 22 octobre le projet de loi avec 232 voix contre 103[1], prévoyait la création d'un Haut Conseil à la simplification. Ce dernier a aussi été annulé par les députés. Après la suppression de "comités Théodule", ils ne souhaitaient pas créer une nouvelle instance. Les députés n'ont pas compris qu’il nous faut, à l’instar de nos voisins européens, un organisme pour évaluer le coût annuel des normes qui pèsent trop lourdement sur nos entreprises. Tous les ans, le Conseil national de l’évaluation des normes (CNEN) fait déjà ce travail pour les collectivités locales. Pourquoi ne pas élargir son champ de compétence aux entreprises ?
Les mesures phares du texte
Ce projet de loi aspire à réduire le poids de la bureaucratie étatique en introduisant plusieurs mesures importantes. Il reflète, par ailleurs, l’apparente volonté du nouveau gouvernement de lutter contre l’inflation normative. À ce titre, le tableau de bord 2024 du Secrétariat général du gouvernement révèle que notre droit, toutes catégories confondues, comptait 23 millions de normes en 2002, un chiffre qui atteint désormais 45 millions.
Un objectif ambitieux est fixé : supprimer 80 % des 1 800 formulaires CERFA (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs) d’ici 2026[2], avec une élimination totale prévue pour 2030. Ces formulaires, nécessaires pour obtenir ou modifier tout document administratif, sont identifiables par leur numéro unique et associent chaque démarche à un document précis. Leur remplissage fastidieux engendre une perte de temps significative pour les entreprises et une surcharge inutile de travail administratif. Cette mesure pourrait grandement simplifier les interactions entre les entreprises et l’administration.
Le gouvernement prévoit également de supprimer les déclarations et demandes d’autorisation administrative, indispensables à de nombreuses démarches actuelles. Au total, 2 500 autorisations administratives seront supprimées. Toutefois, les autorisations jugées essentielles seront conservées, mais exclusivement sous un format dématérialisé pour en simplifier le traitement.
Encadré : les Députés contre l’article 27
L’article 27 est précisément celui qui introduit le test PME ainsi que le Haut Conseil. Il est dans le viseur des députés de droite comme de gauche. Du côté Ciottiste, on souligne que l’article 1 supprime les “Comités Théodule” alors que le 27 rajoute un nouvel organisme. L'examen en commission spéciale du projet de loi de simplification de la vie économique a en effet donné lieu à la suppression d'une trentaine d'organismes consultatifs. Le RN soupçonne aussi une potentielle usine à gaz, quant à la gauche, elle dénonce le trop grand pouvoir qu’auraient les chefs d’entreprise sur la loi via ce conseil. Dans l'amendement numéro CS1086, des députés LFI vont même jusqu'à qualifier l'instance de Medef bis...
La commission spéciale rejette donc la création du test PME détruisant ainsi l’espoir des chefs d’entreprises. S’exprimant par le biais de l’Union des entreprises de proximité (U2P) et la Confédération des PME, ils attendent de la séance plénière un retour du test. Le Haut Conseil est par la même occasion supprimé, laissant un vide dans le projet de loi.
Le Haut Conseil à la simplification, une nécessité
Le projet prévoyait la création d’un Haut Conseil à la simplification pour les entreprises, chargé d’évaluer les normes qui leur sont applicables[3].
Il était composé ainsi :
Un président, désigné en Conseil des ministres,
Cinq représentants des entreprises (un pour les grandes entreprises, un pour celles de taille intermédiaire, deux pour les petites et moyennes entreprises et un pour les microentreprises),
Un député, désigné par le président de l’Assemblée nationale,
Un sénateur, désigné par le président du Sénat,
Un membre du Conseil d’État, désigné par le Premier ministre, sur proposition du vice-président du Conseil d’État.
Cette composition permettait de représenter l’ensemble des catégories d’entreprises, offrant ainsi à chaque groupe l’opportunité de défendre ses intérêts et de contribuer à enrichir les rapports soumis au gouvernement. Il est essentiel de pouvoir contrôler notre flux normatif via un organisme indépendant.
Un conseil toutefois imparfait
Malgré ses missions, le Haut Conseil demeurait un organisme d’État rattaché au cabinet du Premier ministre, ce qui soulevait des doutes quant à son indépendance réelle.
À titre de comparaison :
- Pays-Bas : La société indépendante et privée SIRA a développé le dispositif CAR (Cost Driven Approach), qui calcule les coûts administratifs liés aux réglementations et identifie les sources les plus coûteuses.
- Belgique : L’ASA (Agence pour la Simplification Administrative) applique une méthodologie stricte, combinant anticipation, intégration (avec le test Kafta)[4], qualité, et transparence, ce qui a permis de réduire les charges administratives de 3,48 % à 1,66 % du PIB entre 2000 et 2014[5]. En outre, l'ASA est rattaché au service public fédéral de la Chancellerie de façon purement administrative. Cela signifie qu'elle reste indépendante dans ses travaux.
- Allemagne : En 2006, le pays s’est fixé un objectif de réduction de 25 % des coûts administratifs pour les entreprises, atteint en six ans. L'organisme qui pilote cette action est le Nationaler Normenkontrollrat. De la même façon que l'ASA, il est lié à l'État par la loi qui annonce sa création, mais reste entièrement indépendant pour ce qui est de son action. Il est composé de 10 membres d'honneur qui exercent un mandat de cinq ans.
De fait, le Haut Conseil français manquait d’objectifs quantifiables et ne prévoyait ni état des lieux initial ni évaluation ex-post pour mesurer l’efficacité des normes après leur adoption, ce qui constituait une lacune majeure.
Pourtant, le rôle du conseil de réguler les futures normes afin qu’elles n’alourdissent pas la charge administrative déjà présente pour les entreprises était un élément clé du projet de loi. Sa suppression par les députés soulève la question de l'utilité réelle de la réforme.
Le Conseil national de l’évaluation des normes est un organisme chargé d'évaluer le stock et de surveiller le flux de normes ayant un impact financier sur les collectivités locales et leurs établissements publics. Ainsi, nul besoin de créer un nouvel organisme. Il suffirait d'élargir la prérogative de simplification du CNEN aux entreprises.
Certaines mesures manquent à l’appel
Bien que pertinent dans son ensemble, le projet de loi omet certaines dispositions importantes pour accélérer la simplification normative.
- Principe du one in / one out : Inspiré de l’Allemagne et proposé par la Commission européenne en 2020, ce principe exige qu’une nouvelle charge administrative soit compensée par la suppression d’une charge existante.
- Digitalisation et collecte unique des données : La digitalisation, combinée à la collecte unique des données administratives (Only once[6]), pourrait réduire considérablement la charge administrative. Ce mécanisme permettrait d’éviter de transmettre plusieurs fois les mêmes informations à différentes administrations.
Finalement, ce projet de loi présente plusieurs manquements. Il est primordial de réduire les normes qui écrasent les entrepreneurs et représentent pour eux une perte de 75 à 87 milliards d'euros[7]. Cela comprend aussi bien les dépenses administratives que les compliance costs (coûts de mise en conformité). Pour ce faire, un organe chargé de quantifier notre stock normatif et d'évaluer l'impact des nouvelles normes est pourtant essentiel. C'est ce que devait faire, de façon incomplète, le Haut Conseil. Maintenant qu'il a été supprimé, on se demande qui contrôlera les normes à l'avenir.
D'autres secteurs devraient être plus concernés par ce projet de loi. Cela commence par ceux qui créent des normes : la fonction publique. Il serait peut-être temps d’instaurer en France un new public management. Ce système, développé à partir des années 1980 dans les pays anglo-saxons, vise à réduire le fossé qui sépare le fonctionnement des secteurs public et privé. Une efficacité accrue permettrait d’éviter les lenteurs administratives.
[1]Simplification de la vie économique : le Sénat adopte le texte - Public Sénat
[3]Projet de loi, n° 481 rectifié - 17e législature - Assemblée nationale
[5]Allègement de la charge administrative : France vs Belgique | Fondation IFRAP
[6]Only Once – la collecte unique des données | BOSA
[7]100 milliards : l'énorme charge administrative qui pèse sur la France | Fondation IFRAP