Revenu moyen à temps plein public ou privé : qui gagne plus que qui ?

L’INSEE vient de publier une note relative au différentiel salarial public/privé en 2021. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ses conclusions apparaissent comme contrastées : A volume de travail identique, « les salariés de la fonction publique perçoivent un salaire net moyen inférieur de 3,7% à celui de leurs homologues du privé » mais dans le même temps, « le revenu salarial moyen dans la fonction publique est supérieur de 9,3% à celui du secteur privé ». Comment comprendre et réconcilier ces résultats en apparence contradictoires ? Tout simplement parce que dans le premier cas, on tente d’approcher le salaire réel des personnes employées tandis que dans le second cas il s’agit uniquement des salariés à temps complet (EQTP). Cette unité n’est pas satisfaisante car elle ne tient pas compte des heures supplémentaires et ne permet pas de bouclage avec les temps travail effectifs publiés par la DGAFP.
Et cependant, même en utilisant la computation en EQTP, l’écart de rémunération défavorable à la fonction publique n’est valable que pour les salariés masculins, car les femmes elles dans la fonction publique ont un salaire moyen supérieur de 1,3% par rapport à leurs consœurs du privé. En réalité, le « décrochage » apparent des salaires à temps complet dans la FP résulte exclusivement des salaires plus bas existants dans la FPT (-20%) et au sein de la FPH dans les établissements médico-sociaux (-18,8%). Un décrochage qui intervient à compter de 2013.
Le calcul en EQTP, un vrai problème pour le calcul des salaires public/privé :
Les statistiques de l’INSEE s’agissant des comparaisons de rémunérations public/privé sont données selon la métrique de l’EQTP. L’INSEE en donne la définition suivante[1] : « Le salaire en équivalent temps plein (EQTP) est un salaire converti à un temps plein pendant toute l’année, quel que soit le volume de travail effectif. Par exemple, pour un agent ayant occupé un poste de travail pendant six mois à 80% et ayant perçu un total de 10.000 euros, le salaire en EQTP est de 10 000/(0,5*0,8) = 25 000 euros par an. »
Nous avons interrogé l’INSEE afin de comprendre quelles étaient les heures déclarées prises en comptes dans la définition d’un temps plein au sens d’1 EQTP. Il s’agit tout d’abord des heures rémunérées « telles qu’elles sont déclarées dans les déclarations sociales nominatives (DSN) (…) dans la mesure où notamment les congés sont rémunérés, la modalité standard est 35 heures x 52 semaines = 1820 heures pour les salariés à temps complet dans le public comme dans le privé hors heures supplémentaires (structurelles ou conjoncturelles). »
L’INSEE précise en outre que « le calcul exact du nombre d’heures rémunérées par EQTP est presque identique dans le public et le privé : en 2022, 1849 heures dans le public contre 1846 heures dans le privé, soit environ 1850 heures dans les deux. »
L’emploi de la métrique EQTP permet de prendre en compte uniquement les heures rémunérées et non les heures travaillées. Il s’agit d’un calcul théorique qui ne prend pas en compte les heures supplémentaires contrairement aux statistiques de la DGAFP, ni plus largement le temps de travail effectué. On ne peut pas en dégager un salaire/horaire dans les trois versants de la FP et par rapport au secteur privé.
Pour la DGAFP en effet, en 2021, la durée de travail effective comprend bien les heures supplémentaires prises en compte au-delà de la durée légale ou prévue par l’employeur, qu’elles soient rémunérées ou non, mais hors enseignants.
En 2021 | FPE | FPT | FPH | Ensemble | Privé |
Durée annuelle effective (en heures) | 1 661 | 1 579 | 1 605 | 1 612 | 1 662 |
Durée hebdomadaire habituelle (en heures) | 40,3 | 38,2 | 38,7 | 39,0 | 38,9 |
Heures supplémentaires dans l'année(1) | 90,5 | 47,6 | 80,6 | 70,2 | 56,8 |
Congés payés, RTT ou CET (en jours) | 40,8 | 32,3 | 30,6 | 34,7 | 26,8 |
Source : Enquête Emploi 2021, Insee. Traitement DGAFP - SDessi.[2]
Interrogée sur cette particularité l’INSEE précise cette exclusion des enseignants se justifie pour la DGAFP par « le caractère non adapté du questionnaire de l’EEC (enquêtes emploi) pour les enseignants ; de fait, actuellement les réponses sont souvent basées sur le temps devant élèves uniquement, soit sur une estimation forfaitaire de 35h, plutôt qu’une estimation des heures réellement travaillées, et la moyenne des heures ainsi calculées manque de pertinence. »
Pour mesurer les écarts de rémunération entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, les métriques actuellement adoptées ne permettent pas de comparaisons exhaustives sans biais :
Avec les EQTP, la durée de travail reste théorique annuelle, ne prend pas en compte les heures supplémentaires et s’attache à la rémunération de l’emploi plutôt que la rémunération des heures réellement effectuées ;
Si l’on considère les heures réellement effectuées, on ne peut plus les rattacher aux EQTP dans la mesure où les enseignants ne sont plus pris en compte, tandis que les heures supplémentaires le sont ;
Dans ce cadre il vaut mieux ne s’attacher aux seuls revenus salariaux moyens dont les quotités à partir des EQTP permettent une meilleure prise en compte des durées effectives de travail, par la pondération du volume annuel moyen de travail exprimé en EQTP. Mais cette méthode ne permet toujours pas de comparer la rémunération public/privé d’une heure travaillée et de reconstituer ensuite en fonction des durées moyennes effectives de travail réalisées des salaires annuels comparés public/privé et par versants de la fonction publique.
Un salaire net moyen annuel en EQTP inférieur de 3,7% dans le public à relativiser :
Lorsque l’on compare à volume d’emploi rémunéré identique d’après l’INSEE les salariés de la fonction publique percevraient un salaire net moyen inférieur de 3,7% par rapport à leurs homologues du secteur privé.
Caractéristiques | Fonction publique | Secteur privé | Écarts (en %) | ||||||
Revenu salarial annuel moyen | Salaire annuel moyen en équivalent temps plein | Volume de travail annuel moyen | Revenu salarial annuel moyen | Salaire annuel moyen en équivalent temps plein | Volume de travail annuel moyen | Revenu salarial annuel moyen | Salaire annuel moyen en équivalent temps plein | Volume de travail annuel moyen | |
Sexe |
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Femmes | 22 600 | 27 980 | 0,81 | 18 650 | 27 630 | 0,68 | 21,1 | 1,3 | 19,6 |
Hommes | 26 810 | 32 070 | 0,84 | 24 760 | 32 730 | 0,76 | 8,3 | -2,0 | 10,5 |
Ensemble | 24 070 | 29 450 | 0,82 | 22 040 | 30 600 | 0,72 | 9,3 | -3,7 | 13,5 |
Source : INSEE, mars 2025
On remarquera cependant que cette situation n’est valable que parce que la rémunération des hommes serait plus faible dans le public que dans le privé (-2%), parce que les femmes toucheraient en moyenne une rémunération à volume de travail identique de +1,3% par rapport à leurs consœurs du secteur privé.
En outre, cette situation ne serait pas du tout généralisée mais extrêmement localisée suivant les différents versants de la fonction publique. L’INSEE a en effet publié en juillet 2024 une étude relative à cette question salariale par versants de la fonction publique.
Salaires mensuels nets moyens en EQTP en 2021 | Salaires (en euros) | Structure des effectifs par versant de la fonction publique | Structure des effectifs sur l'ensemble de la fonction publique | Salaires annuels moyens (en euros) |
Fonction publique de l'État | 2 690 | 100,0 | 41,8 | 32 280 |
Ministères | 2 740 | 76,3 | 31,9 | 32 880 |
Établissements publics administratifs | 2 530 | 23,7 | 9,9 | 30 360 |
Fonction publique territoriale | 2 040 | 100,0 | 36,2 | 24 480 |
Communes | 1 920 | 52,4 | 19,0 | 23 040 |
EPCI¹ à fiscalité propre | 2 110 | 14,8 | 5,4 | 25 320 |
CCAS² et caisses des écoles | 1 910 | 5,6 | 2,0 | 22 920 |
Autres structures intercommunales | 2 010 | 4,4 | 1,6 | 24 120 |
Départements | 2 240 | 13,2 | 4,8 | 26 880 |
Services départementaux d'incendie et de secours | 2 780 | 2,9 | 1,1 | 33 360 |
Régions | 2 190 | 5,3 | 1,9 | 26 280 |
Autres collectivités | 2 220 | 1,3 | 0,5 | 26 640 |
Fonction publique hospitalière | 2 590 | 100,0 | 21,9 | 31 080 |
Hôpitaux | 2 660 | 87,4 | 19,2 | 31 920 |
Établissements médico-sociaux³ | 2 070 | 12,6 | 2,8 | 24 840 |
Ensemble | 2 430 | /// | 100,0 | 29 160 |
Source : INSEE, juillet 2024
On y relevait un salaire moyen en EQTP pour 2021 de 29.160 euros, légèrement inférieur au nouveau calcul actualisé de l’INSEE de mars 2025, soit 29.460 euros. Mais dans cette livraison précédente et en utilisant un raisonnement a fortiori, le salaire annuel moyen dans la FPE émargeait à 32.280 euros, soit +5,5% par rapport au niveau du privé affiché dans la présente note. Atteignant même +7,5% dans les ministères par rapport au salaire moyen du secteur privé. Dans la FPH le salaire était lui aussi plus élevé de +1,6% à 31.080 euros.
Sachant que le salaire moyen global a été revalorisé dans la présente note dans la fonction publique de 1,0% par rapport à la précédente estimation de juillet dernier, il y a fort à parier que les salaires de la FPE et de la FPH seront également revalorisés lors de leur prochaine mise à jour et que donc l’écart évoqué avec le secteur privé sera encore plus important.
En définitive le seul « point noir » concerne les collectivités territoriales dont le salaire est plus faible de 20% par rapport à celui du secteur privé, et atteint même -24,7% dans les communes et -25,1% dans les CCAS/CIAS et caisses des écoles. Cette approche très différentiée entre les 3 fonctions publiques, militent une fois de plus pour la fin de l’unicité de la fonction publique et une gestion séparée des revalorisations indiciaires et indemnitaires, puisque tant la FPE que la FPH sont largement au-dessus des rémunérations du privé (hors établissements médico-sociaux, -18,8% par rapport au secteur privé).
Catégorie socioprofessionnelle | 1er décile (D1) | 1er quartile (Q1) | Médiane | 3e quartile (Q3) | 9e décile (D9) | |
Cadres | Ecart Secteur privé-fonction publique | 249 | 306 | 370 | 742 | 1 324 |
En % | 12,8% | 12,5% | 11,7% | 18,3% | 23,8% | |
Professions intermédiaires | Ecart Secteur privé-fonction publique | -55 | -155 | -120 | -34 | 187 |
En % | -3,4% | -7,6% | -5,0% | -1,2% | 5,7% | |
Employés | Ecart Secteur privé-fonction publique | -107 | -161 | -190 | -176 | -118 |
En % | -7,5% | -10,0% | -10,3% | -8,1% | -4,6% | |
Ouvriers | Ecart Secteur privé-fonction publique | -121 | -87 | -38 | 42 | 143 |
En % | -8,2% | -5,3% | -2,1% | 2,0% | 5,9% |
Source : INSEE, mars 2025
S’agissant de la ventilation des salaires en EQTP, on constatera que les écarts sont favorables à la fonction publique hors cadre pour les employés quelle que soient leurs rémunérations, mais aussi pour les ouvriers jusqu’au 3ème quartile ; enfin pour les professions intermédiaires jusqu’au dernier décile (exclu). Cela s’explique pour les employés et les professions intermédiaires par des niveaux de qualifications (diplômes) souvent supérieurs à leurs homologues du privé et par un âge moyen supérieur. S’agissant des cadres, il semble que la « moins bonne performance » des cadres du public soit imputable aux cadres de la FPT qui font baisser la moyenne globale.
Des revenus salariaux annuels moyens plus hauts dans la fonction publique de 9,3% par rapport au privé :
Les revenus salariaux moyens sont obtenus en corrigeant le salaire annuel net en équivalent temps plein (EQTP) par le volume annuel moyen de travail exprimé lui-même en EQTP. Il en résulte un revenu salarial moyen dans le secteur public de 24.070€/an contre 22.040€/an pour un salarié du privé en 2021. Cela représente un écart de +9,3% en faveur du secteur public, que l’on explique :
Ainsi ce qui pèse avant tout à la baisse sur les revenus salariaux moyens du privé c’est que « les salariés du privé ont davantage d’interruptions de leur temps de travail » ce qui se traduit par des périodes d’inactivité ou de chômage que ne connaissent pas leurs homologues du public. On constate ainsi un écart de volume annuel de travail particulièrement marqué chez les employés (21%) et les ouvriers (24%) entre public et privé. Ainsi les revenus des salariés ouvriers du public sont supérieurs de 27,4% à ceux du privé et même de 30,6% parmi les employés « pour lesquels se cumulent une forte différence de volume annuel de travail mais aussi de salaire à temps de travail comparable. » Sans le dire ouvertement, on doit y voir, un tropisme des syndicats lors des concertations avec les pouvoirs publics qui agissent fortement sur les catégories actives et les catégories C et B. Par ailleurs « les salariés à temps partiel dans le privé ayant un salaire net en EQTP inférieur de 7% à leurs homologues à temps complet » n’est plus que de 1% pour les salariés de la fonction publique. « Cela tiendrait notamment au fait que les salariés de la fonction publique bénéficient d’une surrémunération pour certaines quotités de temps partiel » afin de tenir compte du temps partiel « subi » sur les carrières professionnelles… ce qui correspond bien à une logique de « déprécarisation » spécifique dont ne dispose pas le secteur privé beaucoup plus flexible. |
Quoi qu’il en soit, une mesure des écarts de rémunération public/privé nécessiterait de disposer de statistiques de rémunérations en EQTP hors enseignants ou de durée effective de travail dans les trois fonctions publiques y compris enseignants, afin de pouvoir dégager des salaires horaires comparables. Ce qui n’est pas actuellement encore le cas. Il est vraisemblable que l'écart favorables au privé chiffré par l'INSEE soit la manifestation d'un nombre plus élevé d'heures travaillées par les salariés du privé en moyenne par an.
[1] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1729
[2] https://www.fonction-publique.gouv.fr/toutes-les-publications/temps-et-organisation-du-temps-de-travail-dans-la-fonction-publique-en-2021
[3] Maîtrise qui joue en défaveur des salaires puisque les cotisations employeurs sont également très dynamiques et revalorisées qui pour équilibrer le CAS pensions dans la FPE ou la CNRACL pour la FPT et la FPH…