Situation carcérale en France : le point en mars 2021
La publication régulière des statistiques pénitentiaires par le ministère de la Justice permet de suivre les différentes tendances qui parcourent le monde carcéral. Nous constatons que l’accroissement du parc pénitentiaire actuel reste bien timide, +2.227 places depuis le début du quinquennat soit moins de 50% de l’objectif poursuivi de 5.000 places opérationnelles supplémentaires d’ici 2022 (hors SAS). La crise sanitaire a par ailleurs réduit considérablement la population détenue, de l’ordre de -16,9% dont la moitié relève du ralentissement du travail judiciaire et l’autre moitié d’une politique délibérée de libérations anticipées afin de limiter les effets de la pandémie en prison. Depuis juillet 2020, le niveau d’incarcération tend à se « normaliser » et remonter, mais dans des proportions qui restent beaucoup plus faibles qu’avant crise, notamment à cause de la multiplication des placements sous bracelets électroniques. Seul point de hausse très sensible, la population mineure incarcérée qui atteint 1,41% du total de la population détenue en mars 2021.
L’impact massif du ralentissement de l’activité judiciaire et de la crise sur la population détenue en 2020
La crise épidémique de 2020 a significativement baissé le flux de mises sous écrou à compter du 1er confinement de mars, ce phénomène s’est répercuté sur la baisse du taux d’occupation carcérale. Ainsi que le relève le rapport spécial du sénateur François MARC[1], « Entre avril 2018 et mars 2020 le nombre de personnes détenues est resté supérieur à 70.000, alors que le nombre de places de prison est de l’ordre de 61.000. Il en a résulté une surpopulation carcérale chronique, avec un taux d’occupation particulièrement élevé dans les maisons d’arrêt (138% au 1er janvier 2020)… » Pourtant « sous l’effet de la crise sanitaire, le nombre de détenus a considérablement baissé au cours du premier semestre de l’année : il n’était plus que de 58.695 au 1er juillet (-16,9%[2]). » Cette attrition sans précédent s’explique « pour moitié par la baisse de l’activité des juridictions pénales, et pour le solde par les mesures de libération anticipées qui ont concerné des détenus en fin de peine. »
Sources : Ministère de la justice, statistiques trimestrielles, mars 2021
Mais immédiatement à la suite des « sorties » de mars-juillet 2020, la tendance de fond reprend assez rapidement s’agissant du nombre d’écroués dont le stock s’élevait à 75.021, tandis que le nombre de détenus s’élevait à la même date à 62.673, soit un nombre d’écroués non détenus record de 12.348 individus (16,5% de la population écrouée).
Mais les taux actuels restent contenus depuis juillet 2020
Il est possible de suivre le taux de surpopulation carcérale national en comparant le nombre de personnes détenues aux places opérationnelles disponibles minorées de celles restant inoccupées. Celui-ci atteint 117% en mars 2021 contre 110% seulement au plus fort de la crise en juillet 2020. La remontée semble rapide, mais ne revient pas au niveau de 124%-128% intervenu entre mai 2017 et janvier 2020. De ce point de vue la crise a permis de « vider les prisons » et de réduire de facto la surpopulation carcérale sans parvenir à l’éliminer totalement.
Source : Ministère de la Justice. Note de lecture, 1,17 représente un taux d’occupation de 117%. Les pointillés permettent de linéariser des données qui n’ont pas été livrées en 2020 sur base mensuelle.
Au contraire, lorsque l’on ne tient plus compte des cellules inoccupées, on constate une baisse encore plus importante de la surpopulation carcérale, avec pendant quelques mois une courte surcapacité (entre juin et novembre 2020). Insuffisante cependant pour passer en-dessous des places réellement occupées (différentiel en juillet de +5.526 détenus par rapport au nombre de places occupées). En mars 2021 le nombre de détenus s’élève à 64.405, pour 60.775 places opérationnelles dont 55.170 places occupées.
Source : Ministère de la Justice
L’augmentation inexorable des mineurs incarcérés
S’agissant maintenant de la population des mineurs incarcérés, celle-ci est en partie tributaire de l’arrivée importante de MNA délinquants[3]. Nous avons souligné ailleurs qu’entre 2015 et 2018 leur proportion dans la population carcérale avait en effet doublé passant de 10% à 20%... Les derniers chiffres connus sont les suivants :
Source : Ministère de la Justice
En mars 2021 le nombre de mineurs incarcérés représentait 911 individus, un niveau jamais atteint depuis le début du quinquennat (838 mineurs en mai 2017), soit une progression de 8,7% sur la période. La croissance est extrêmement forte depuis le point bas lié au confinement de juillet 2020, soit +36% en 8 mois.
La proportion de mineurs incarcérés n’a jamais été aussi forte par rapport à l’ensemble de la population carcérale, soit 1,41%. Celle-ci s’explique par une très forte baisse de la population incarcérée totale, -8,8% entre janvier 2020 et mars 2021 avec un effet ciseaux par rapport à la population de mineurs détenus +11,6%. Ainsi, alors que la population détenue reste très contenue dans sa globalité, la population de mineurs détenus, elle, continue résolument de croître malgré la crise.
Les alternatives à l’incarcération se multiplient comme la « détention à domicile »
Une raison invoquée pour la « maitrise » du rebond de la détention après la reprise de l’activité judiciaire réside dans la montée en puissance des alternatives à l’incarcération classique. Celles-ci permettent notamment une baisse très significative des conditions de détention précaires comme l’usage de matelas à même le sol : 849 en mars 2021 contre 1.640 en juillet 2020 soit une quasi division par deux.
Si les détenus bénéficiant de conditions aménagées restent peu nombreux, notamment s’agissant des placements en extérieur (322 en mars 2020), mais aussi des détenus en semi-liberté (avec une remontée qui suit l’évolution de la population détenue), soit 1.571 en mars à comparer aux 2.012 de janvier 2020, c’est la population détenue sous surveillance électronique qui monte en puissance.
Source : Ministère de la Justice
On constate en effet que la population écrouée mais non-détenue, placée sous bracelet électronique n’a jamais été aussi forte. Elle représente aujourd’hui près de 13.219 détenus, soit une augmentation depuis janvier 2020 de près de 14,4%.
Une croissance du parc pénitentiaire au compte goûte
Reste que le point noir se situe toujours du point de vue de l’augmentation des capacités carcérales et du programme immobilier de 15.000 places annoncé en début de quinquennat par le ministère de la justice. On assiste même actuellement à une baisse du nombre de places opérationnelles disponibles depuis avril 2020. Celles-ci étaient de 61.137 contre seulement 60.775 en mars 2021. Il y a donc eu une baisse de la disponibilité de -0,59% soit -362 places sur la période. Si maintenant on élargit la focale en comptabilisant l’accroissement des places opérationnelles depuis mai 2017, le parc pénitentiaire s’est accru de 2.227 places, soit +3,8%. Cet accroissement finalement assez lent s’explique par la décomposition des programmes immobiliers eux-mêmes.
Ainsi que l’indiquait le rapporteur pour avis du Sénat Alain MARC lors du PLF 2020[4], non seulement les 15.000 places de prison annoncées durant la campagne présidentielle se sont rapidement (dès 2019) révélées impossibles à tenir dans un délai de 5 ans, obligeant à avancer la livraison de 7.000 places de prison d’ici 2022, suivi de 8.000 autres à compter de 2027, mais que « la quasi-intégralité (92,6 %) des places (hors SAS) annoncées pour 2022 relevait en réalité de la livraison d’autres programmes, principalement le programme « 63.500 » lancé en 2011 et le programme « 3.200 » lancé en 2014. Sont par exemple prises en compte dans les 7.000 places les 734 places mises en service, début 2019, avec la fin du chantier de réhabilitation de la maison d’arrêt Paris–La Santé, entamé quatre ans plus tôt, ainsi que les 740 places de Baumettes 3, projet lancé en 2013. » Le présent quinquennat n’échappe donc pas à la malédiction de la cannibalisation des programmes pénitentiaires par les programmes antérieurs.
Ainsi si l’on tient compte du fait que les programmes SAS (structures d’accompagnement vers la sortie) représenterait près de 2.000 places[5] dans le programme de 7.000 places livrables d’ici 2022, il en résulte que les places réellement « nouvellement » créées par le programme « 15.000 places » devraient s’élever d’ici 2022 à 370. Les 4.630 autres, relevant de programmes antérieurs. Par ailleurs la « rénovation » du parc existant suppose là encore une baisse du nombre de places disponibles, si bien que pour le moment, sur 5.000 places théoriquement à ouvrir en 5 ans, seules 2.227 sont ouvertes effectivement. Nous sommes donc à un peu moins de la moitié…
[1] https://www.senat.fr/rap/a20-144-6/a20-144-61.pdf#page=10
[2] Par rapport à juillet 2019.
[3] Voir notre récente note sur le sujet, https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/les-mineurs-non-accompagnes-surrepresentes-chez-les-delinquants
[4] Fr. MARC rapport pour avis, PLF 2020, p.18 https://www.senat.fr/rap/a19-146-7/a19-146-71.pdf#page=18
[5] Fr. MARC, rapport pour avis, PLF 2021, p.8. https://www.senat.fr/rap/a20-144-6/a20-144-61.pdf#page=8