Nos syndicats ne représentent qu'un actif sur dix
11%, en ces temps de grève, voilà un chiffre qui fâche. Car 11%, c’est le taux de syndicalisation en France. Un taux très faible en comparaison des autres pays européens à l’économie comparable : 66,5% au Danemark, 54,2% en Belgique et 18% en Allemagne. La France n’est cependant pas dernière, autour de 10%, nous sommes accompagnés en queue de peloton par l’Estonie et la Lituanie, quand la moyenne de l’Union européenne tourne autour de 23%.
Autant de données qui posent la question de la légitimité actuelle des syndicats en France et celle des blocages qu’ils nous font subir. Mais surtout, des données qui appellent à une véritable réforme (et modernisation) du syndicalisme en France. Si Emmanuel Macron en proposait bien une dans son programme, la question semble aujourd’hui au placard. Il y a, pourtant, beaucoup à faire.
Des syndicats qui représentent 1 actif sur 10
Partout en Europe, les taux de syndicalisation ont baissé, mais cette chute a été particulièrement drastique en France depuis les années 50 où le taux de syndicalisation culminait à 30% des actifs avant de tomber à son niveau le plus bas, en 1993, autour de 9%. Lors des grèves de 1995, la France se caractérisait déjà par le taux de syndicalisme le plus faible “du monde occidental”. Depuis cette date, pas d’amélioration, le taux de syndicalisation se maintient sur un plateau de 10,8 à 11%. Sauf que ce faux plat, cache une représentation très asymétrique, car les agents publics sont syndiqués à 19,1% contre seulement 8,4% dans le privé. Un taux qui tombe même à 5% dans les entreprises de moins de 50 salariés tandis que le taux de syndicalisation connaît de véritables pics dans le public : 34% pour les agents publics des DOM, 37% pour les agents publics du ministère des Finances publiques (alors qu’ils ne représentent que 1,8% des agents totaux), 32% pour ceux du ministère de la Défense (6,3% des agents totaux) et 24% pour ceux du ministère de l’Education nationale (20% des agents totaux).
Notons que dans le secteur des transports, le taux de syndicalisation entre agents du public (4,2% des agents totaux) et salariés du privé (7% des actifs) sont à quasi égalité : 19% contre 18% environ.
Hormis ces derniers bastions, cela fait une vingtaine d’années que les syndicats ne représentent plus qu’un actif sur 10. Le niveau de participation aux élections professionnelles reflète aussi ce manque de représentativité. Si le taux de participation dans le public dépasse les 52%, il tombe à moins de 43% pour les salariés du privé. Difficile d’y voir un attachement des actifs aux travaux des syndicats.
Et pourtant, à cause de la gouvernance tripartite de notre modèle social, ce sont bien eux qui déterminent nos conditions de travail : 98% des actifs sont couverts par une convention collective ou statutaire qui a été négociée et signée par les syndicats. Entre le pilotage et la gestion des retraites complémentaires, du logement, de la formation, du chômage, c’est plus de 130 milliards d’euros qu’ils cogèrent. Et cela, sans compter les négociations sur l’assurance maladie, l’assurance vieillesse ou encore les allocations familiales : au total, les syndicats interviennent sur un spectre de plus de 550 milliards d’euros de dépenses sociales. Pour rappel, la dette de la Sécurité sociale s’élève encore à plus de 105 milliards d’euros et, tous les ans, les comptes de la Sécurité sociale affichent un déficit de plus de 5 milliards d’euros. En plus de la question de la légitime représentation, c’est aussi celle des compétences qu’il faudra poser.
Comment survivre sans adhérent ?
Comment se maintenir malgré la chute du nombre d’actifs syndiqués ? Voilà le problème à résoudre pour les syndicats et clairement, les gouvernements successifs leur ont facilité la tâche.
En 2008, la Dares expliquait que « malgré la faiblesse du nombre de leurs adhérents, les organisations syndicales sont assez largement présentes sur les lieux de travail. Leur présence s’est même renforcée entre 1996 et 2005 ». En effet, sur la période, le pourcentage d’actifs déclarant la présence d’un syndicat sur son lieu de travail augmente de +3,5% alors que le taux de syndicalisation s'affaisse de -0,2%. Cela à cause des nombreuses mesures qui ont, peu à peu, imposé la présence des syndicats au sein des entreprises, bien que l'élection d’un représentant syndical ne soit pas obligatoire en dessous de 50 salariés.
Reste enfin la question du financement. Cela a été réglé en 2015, depuis que les syndicats se financent sur l’intégralité de la masse salariale. C’était au moment de la négociation sur la réforme de la formation professionnelle de 2014 qu’une mesure très discrète a été prise : la création d’une taxe “syndicat” de 0,016% sur la masse salariale des entreprises, même celle qui ne compte pas de représentant syndical. Le but affiché était de faire la transparence sur le financement du paritarisme, mais cela a surtout permis de déconnecter complètement le financement des syndicats du nombre d’adhérents. Grâce à cela, même si leurs bases s’effondrent, leurs finances sont pérennisées. Cette taxe, AGFPN, devait rapporter 80 millions d’euros en 2015 mais dès 2016, sa récolte s’élevait à 123 millions.
Enfin, n’oublions pas le monopole syndical du premier tour des élections professionnelles dans l’entreprise qui empêche les candidatures libres qui désireraient exprimer un point de vue différent.
Voilà comment la survie de syndicats représentatifs d’une minorité est assurée. Au lieu de protéger un modèle syndical où les actifs ne se retrouvent plus depuis presque 30 ans, il est temps de réformer ce paritarisme à la française. Cela a été fait ailleurs, notamment en Europe, où les taux de syndicalisation sont très élevés et où l’on trouve des syndicats… qui accompagnent les réformes au lieu de les bloquer.
Le syndicalisme moderne existe déjà… en Europe
Au Danemark, le taux de syndicalisation est de 66,5%.
Dans ce pays, comme dans la plupart des pays nordiques, c’est le système de Gand qui est appliqué. Simplement, c’est l’adhésion à un syndicat qui conditionne l’accès à certains droits sociaux comme le droit aux allocations chômage et à l’assurance maladie. En contrepartie, le financement des syndicats repose exclusivement sur les cotisations des adhérents (en général, 1 à 2% du salaire mensuel). On parle alors de syndicalisme de service mais cela contraint surtout les syndicats à satisfaire leurs adhérents. La plupart d’entre eux fournissent une grande variété de services à leurs affiliés : des services d’information et de conseil sur le droit du travail, des services d’assistance juridique gratuite, des services financiers, des aides sociales complémentaires ou encore des services de loisirs.
En Belgique, le taux de syndicalisation est de 54,2%.
La Belgique applique un « demi » système de Gand, focalisé sur l’assurance chômage. C’est par l’affiliation à un syndicat gestionnaire d’une caisse d’assurance chômage que le chômeur belge effectue sa demande d’allocation et reçoit ses indemnités. Ainsi, si 54,2% des actifs sont syndiqués, c’est presque 90% des chômeurs qui sont affiliés. En conséquence, le financement des syndicats est assuré de 60 à 70% par la cotisation des adhérents, environ 15 euros par mois pour un actif en emploi. Les 40 à 30% restants sont financés par des subventions publiques, notamment pour la gestion des allocations de chômage.
En Allemagne, le taux de syndicalisation est de 18%.
Les syndicats allemands sont des syndicats de branche professionnelle : les conditions de travail, y compris les salaires, sont la compétence exclusive des partenaires sociaux et cela, sans ingérence possible de l'État qui ne peut qu’énoncer certaines directives et certaines conditions cadres à l'intérieur desquelles les conventions collectives sont négociées, soit au niveau de la branche, soit directement avec l'employeur.
En parallèle, les syndicats allemands (comme les fédérations patronales) ont adopté un principe de neutralité qui les empêchent de mener une lutte idéologique ou d’avancer une doctrine avec des objectifs politiques. Leur seule et unique mission est de défendre les intérêts collectifs des salariés.
Au niveau des financements, comme au Danemark, les syndicats se financent exclusivement via les cotisations de leurs adhérents. En général, elles représentent 1% du salaire brut mensuel.
Ce qu’on peut changer tout de suite
On le voit, tenter de séparer la légitimité du financement des syndicats de leurs adhérents est un non-sens et ne mène pas à un dialogue social efficace. Emmanuel Macron, dans son programme initial de 2017, osait proposer la mise en place d’un « chèque syndical » mais la réforme semble avoir été abandonnée. Cela aurait pourtant dû être la première mesure à prendre.
Le chèque syndical est un principe inventé par la société Axa, il y a plus de 20 ans : l’entreprise distribue l’équivalent d’un million d’euros par an par l’intermédiaire d’un chèque remis à chaque salarié qui ne peut pas l’endosser pour son propre compte mais peut décider de le remettre ou non à l’organisation syndicale de son choix. Un salarié sur deux décide, chaque année, de soutenir une organisation syndicale et ce financement fournit plus de la moitié du budget des sections syndicales. Un dispositif qui contribue à améliorer la qualité du dialogue social, à renforcer l’implication des salariés dans le fonctionnement des instances syndicales et le rôle de l’action syndicale.
Une première étape pour moderniser le paritarisme à la française, pourrait être de transformer l’avantage fiscal issu des cotisations syndicales en un chèque syndical. Le montant du chèque pourrait être fixé à un plancher par la loi et augmenter par accord d’entreprise, ce qui permettrait de garantir un financement raisonnable aux syndicats dans les entreprises tout en renforçant leur implication auprès des salariés. En second lieu, faire sauter le monopole syndical au premier tour des élections professionnelles. Cela permettrait de rendre un peu de pouvoir aux salariés, du privé comme du secteur public… mais sur le long terme, pour sortir des blocages et des tabous en matière de réformes, c’est tout notre système paritaire qu’il faudra transformer.