Nationalisation des autoroutes, ce que cela coûterait (vraiment) à l'Etat
Chaque semaine, la Fondation iFRAP passe au crible une mesure au coeur du débat de la présidentielle en partenariat avec l'Express. Cette semaine, la question de la nationalisation des autoroutes.
Les propositions sur la table
Nicolas Dupont-Aignan, Fabien Roussel et Arnaud Montebourg veulent, tous les trois, "renationaliser" les autoroutes. Sur ce point, ils sont rejoints par Marine Le Pen qui estime que cette mesure "permettra de faire baisser de 10 à 15 % le prix des péages, de livrer un milliard et demi d'euros par an au budget de l'État et ainsi permettre la mise en oeuvre de politiques de réaménagement du territoire". Jean-Luc Mélenchon, lui aussi, prône cette mesure dans un vaste mouvement d'annulation des privatisations effectuées dans le passé (aéroports, Française des Jeux, autoroutes, etc.) et l'instauration d'un droit de réquisition des usines et des entreprises d'intérêt général par l'Etat. Si autant de candidats se rejoignent sur le sujet, qu'en est-il vraiment.
Le terme de renationalisation n'est pas valable, ce sont des ruptures de contrats
Déjà, il convient de rappeler que les autoroutes sont toujours la propriété de l'État et que ce sont seulement la gestion et l'exploitation qui ont été concédées à des entreprises privées pour une durée déterminée. On compte 7 sociétés concessionnaires d'autoroutes dont Cofiroute (filiale de Vinci), Area (contrôlé par Eiffage) ou encore le fonds australien Macquarie.
C'est en 1957 qu'est créée la première société d'autoroute, la société de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur, et c'est en 1961 qu'est signée la première concession de 35 ans par l'État pour le tronçon Vienne-Valence qui passe à la SAVR, qui deviendra plus tard l'ASF. Dans les années 1970, des événements imprévus (crise du pétrole, trafic moins important que prévu...), causent la faillite de la plupart des sociétés d'autoroutes, et obligent l'État à les reprendre. En 2002, alors que ce dernier a besoin de fonds, le ministre des Finances de l'époque, Laurent Fabius, cède la minorité d'ASF et ouvre son capital en Bourse. L'opération dégagera 1,8 milliard d'euros.
Enfin, en 2005, c'est au tour de Dominique de Villepin, alors Premier ministre, d'achever la cession des titres des sociétés d'autoroutes. Cette fois, elle rapporte 14,8 milliards à l'État, qui ne sont rien d'autre que la capitalisation actualisée des dividendes à provenir de la participation de l'État.
Comme il n'y a pas eu de privatisation, parler d'une renationalisation des autoroutes est donc faux. Si nationalisation il y a, elle concernera les sociétés de concessions d'autoroutes. Ces dernières ont, actuellement, seulement un droit de jouissance et d'exploitation pour une durée précise et doivent respecter un cahier des charges, notamment sur les questions d'entretien du réseau qui, lui, appartient toujours à l'État qui touche, d'ailleurs, 40% des recettes des péages via des taxes et impôts (notamment 20% de TVA payé par l'usager).
On fait chauffer la calculette
La plupart des concessions doivent prendre fin durant la décennie 2030 (entre 2031 et 2036). Si une rupture des contrats est décidée avant ces dates, elle devra être compensée par une indemnisation, selon le droit de propriété garanti par la Constitution (comme l'a déjà rappelé le Conseil constitutionnel saisi en 1982 sur la question lors de la vague de nationalisations du début du septennat de François Mitterrand). En 1982, l'indemnisation devait être égale à la valeur des actions en bourse, plus la valeur des dividendes versés, majorée de 14%. En cas de renationalisation, ces indemnités devront faire l'objet d'une négociation mais elles devront couvrir la perte des dividendes et le manque à gagner des entreprises, dû à la rupture de la concession 10 à 15 ans avant leur date de fin : on peut estimer ces sommes à 15 milliards d'euros minimum et peut-être plus. A cela s'ajoute la reprise de la dette des sociétés concessionnaires, soit 30 milliards d'euros incluant les obligations d'investissements et de travaux prévus dans les contrats d'origine : les sociétés ont actuellement l'obligation de rembourser ces sommes avant la fin des concessions mais en cas de reprise de l'État cette somme repasserait dans les caisses publiques et reviendrait à augmenter la charge de la dette publique (paiement des intérêts) de 200 millions d'euros. Enfin, le coût d'entretien du réseau, qui incombera désormais à la collectivité sera d'environ 1,6 milliard d'euros par an.
En cas d'une nationalisation des sociétés de concessions d'autoroutes, qui seront alors gérées directement par les participations de l'État, ce dernier continuera de toucher les recettes fiscales et les taxes prélevées par les péages dont environ 2 milliards de TVA et 1,8 milliard d'impôt sur les sociétés.