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Les mineurs non accompagnés surreprésentés chez les délinquants

Un rapport éclairant sur le sujet des MNA (mineurs non accompagnés) délinquants, vient d’être réalisé par l’Assemblée nationale et forme en quelque sorte le pendant « sécuritaire » des référés très percutants rendus par la Cour des comptes sur le sujet plus large des mineurs étrangers isolés en 2020 (carences de l’Etat dans l’animation de la politique de protection de l’enfance, mal articulée avec les politiques départementales dédiées). Le sujet est complexe parce que le phénomène de délinquance juvénile s’amplifie depuis les dernières années, que les MNA y prennent une part de plus en plus grande (ils représentent 76% des déférés au parquet sur Paris), que ces individus sont particulièrement fragiles, polytraumatisés (sur le plan physique et psychique) et par ailleurs souvent toxicomanes. Des réseaux criminels (trafic d’êtres humains, recels, etc.) sont en outre suspectés mais rarement identifiés.

Le phénomène des MNA délinquants : la lame de fond…

Il n’existe pas aujourd’hui de recensement consolidé à l’échelle nationale des actes commis par les mineurs non accompagnés délinquants. Les statistiques sont au mieux territorialisées (et n’intègrent pas Mayotte dont 48% de la population est étrangère (contre 7,4% France entière[1]). Il est toutefois possible d’estimer que « les MNA délinquants représentent à peu près 10% de l’ensemble des MNA et se singularisent par un refus de toute prise en charge, notamment éducative. » Si cette proportion est correcte et que l’on peut la rapporter aux données publiées par la Cour des comptes, les MNA concernés représenteraient entre 1.700 individus et 2.800 (sur la base des estimations 2019 et 2018[2]) hors Mayotte. De fait « La mission MNA de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) estimait entre 2 000 et 3 000 le nombre de MNA délinquants en septembre 2020, soit environ 10% de l’ensemble de ces mineurs, sans que cette estimation puisse réellement faire l’objet d’une vérification. »

Les statistiques disponibles et exploitées par les rapporteurs Jean-François ELIAOU et Antoine SAVIGNAT sont avant tout celles constituées par la Préfecture de police de Paris et les juridictions parisiennes ainsi que les données girondines (département et Bordeaux) sans prétention à l’exhaustivité nationale. Beaucoup sont des multirécidivistes, ce qui explique que le nombre de mises en cause et de mineurs déférés soit beaucoup plus important que leur nombre unitaire strict. En revanche le nombre de MNA incarcérés est en adéquation avec le volume national des MNA identifiés, puisque représentant 20% des mineurs incarcérés en 2018, soit 167 mineurs en 2018 environ[3].

Les statistiques parisiennes montrent un accroissement sans précédent de la délinquance des MNA, qu’il s’agisse des infractions relevées (préfecture de police de Paris, PPP) ou des personnes déférées (Parquet de Paris). En particulier que la part de la délinquance des MNA à Paris stricto sensu est passée de 5% à 11% des mis en cause (+6,2 points, voir tableau ci-joint entre 2016 et 2020), par ailleurs au niveau de l’Ile-de-France cette proportion est parallèle mais plus faible, passant de 3% à 7% (+4 points) sur la même période.

Part des MNA dans la délinquance parisienne pour les 10 premiers mois de l'année (PPP)

 

2016

2017

2018

2019

2020

Variation

 2016-20

Variation 2016-20 en %

Total mis en cause

53 216

53 589

53 878

54 147

44 468

-8 748

-16,4%

Total MNA mis en cause

2 732

3 499

4 645

5 017

5 046

2 314

84,7%

Part MNA

5,1%

6,5%

8,6%

9,3%

11,3%

6,2

 

MNA déférés au parquet de Paris (section P4)

Total des mineurs déférés

2 621

3 340

3 909

4 333

2 598

-23

-0,9%

Total des MNA déférés

1 557

2 134

2 533

2 958

1 981

424

27,2%

Part des MNA

59,4%

63,9%

64,8%

68,3%

76,3%

16,8

 

Sources : Mission MNA, PPP et Parquet de Paris, 2020.

Les chiffres transmis par la DCSP (direction centrale de la sécurité publique) montrent que l’augmentation de la proportion des mineurs MNA mis en cause progresse de façon très importante entre 2016 et 2020, représentant une augmentation de 84,7% dans l’ensemble des mis en cause alors même que le volume délictuel a été significativement impacté à la baisse en 2020 à la faveur du 1er confinement (-16,4%). Le total des mis en cause MNA représente 5.046 occurrences en 2020.

Du côté de l’administration judiciaire, le nombre de déférés au parquet de Paris est elle aussi en nette augmentation, soit +27,2% entre 2016 et 2020, tandis que la proportion de MNA délinquants sur le total de la délinquance des mineurs transférés au parquet devient désormais très largement prépondérante, soit +16,8 points en 2020 par rapport à 2016 avec 76,3% des mineurs déférés.

Les actes délictuels commis par les MNA à Paris et dans la région parisienne deviennent donc non seulement de plus en plus nombreux dans un contexte de baisse significative de ces actes, mais saturent la délinquance des mineurs.

S’agissant maintenant de la nature de la délinquance des MNA à Paris, la PPP note en particulier qu’entre 2016 et 2020 les vols avec violence et les vols par effraction mettant en cause des MNA ont considérablement augmenté. Sur les 10 premiers mois de chaque année, la proportion des vols avec effraction (VPE) augmente de 23 points entre 2017 et 2020 atteignant 30% de l’ensemble des VPE recensés. Pour les vols avec violence, cette proportion augmente de 8 points à 32%.  

Total des MNA mis en cause

2017

2018

2019

2020

Variation

Vols par effraction (cambriolage) : VPE

87

418

232

690

603

MNA VPE/total mis en cause

7%

13%

13%

30%

23

Vol à la tire, sans violence : (VT)

1351

208

2 054

1 575

224

MNA VT/total mis en cause

40%

43%

47%

44%

4

Vol avec violence : (VV)

418

1 577

640

679

261

MNA VV/total mis en cause

24%

34%

28%

32%

8

Source : PPP, 10 premiers mois de l’année.

Ces chiffres ne sont pas remis en cause en année pleine puisque la PPP communique sur cette même montée en puissance des MNA « en matière de cambriolages, de 3 à 29% du total des mis en cause entre 2016 et 2020 (…) et en matière de vols violents, de 8 à 27%. »

Cette délinquance a pour particularité d’être essentiellement urbaine (très peu de MNA délinquants en milieu rural). A Bordeaux, les tendances sont encore plus accusées, la DDSP (direction départementale de la sécurité publique) relève que si 23% des mis en cause étaient des MNA en 2018, cette proportion s’élevait à 40% en 2020 (sur les onze premiers mois de l’année), tandis que dans les Alpes-Maritimes entre 2015 et 2020, alors que le nombre de délinquants mineurs « est resté stable, celui des délinquants étrangers a augmenté de 3,5% et celui des délinquants mineurs étrangers, de 6,3%. »

La délinquance des MNA se déploie également dans les transports. Ainsi en 2020, 8.754 mineurs « avaient, en 2020, fait l’objet d’une interpellation ou verbalisation en train ou en gare. » Un volume en baisse de 9% par rapport à 2019, mais avec un trafic lui-même en replis en 2020 de près de 30%.

… concentrée sur quelques nationalités bien identifiées

Les effectifs de MNA délinquants sont essentiellement constitués de mineurs en provenance du Maghreb et non d’Afrique Sub-Saharienne ou des pays de l’Est[4], si bien qu’en « 2019, les mineurs non accompagnés algériens, marocains et tunisiens représentent plus de 75% des MNA déférés et, à eux seuls, les mineurs se déclarant algériens représentaient en 2019 quasiment 50% des mineurs déférés » d’après le Parquet de Paris. La proportion relevée par la PPP en 2020 est de 77% des MNA pour les deux premières nationalités, dont plus 42% pour les MNA algériens et 35% pour les marocains. La DCPS confirme une proportion inverse en zone police nationale (et non plus PPP), tandis que la DSPP de Gironde annonce une proportion pour 2020 de 45,5% pour des MNA marocains contre 31,7% pour les algériens. 

Cette très grande concentration fait donc penser à l’existence de « filières » d’acheminement et la délinquance endémique qui se développe à leur endroit à celle de réseaux criminels qui pourraient les prendre en charge et les employer. Cependant les rapporteurs relèvent que « l’existence de ces filières et leur influence sur les MNA délinquants ne sont pas toujours évidentes. (…) elles ne semblent pas facilement objectivables à Paris (…) et nécessiteraient (…) un travail d’investigation impliquant les services spécialisés. » Or des moyens spécialisés ne sont pas toujours mis à disposition dans la mesure où « l’ouverture d’enquêtes relatives à des faits de traite d’êtres humains (est) le plus souvent motivée par des infractions d’une extrême gravité, et non par celles liées à la petite délinquance, qui concernent pourtant singulièrement les MNA en prise avec des réseaux. » En tout cas des imbrications de filières et de réseaux doivent exister : « en février 2020, [les enquêteurs de la DDSP de Gironde] ont démantelé un réseau franco-marocain à Bordeaux fournissant des médicaments de type opioïde aux MNA afin de les désinhiber et de favoriser la commission d’infractions. » Par ailleurs en avril 2020 à Bordeaux les enquêteurs ont réussi à « remonter la piste d’une filière de receleurs et de rabatteurs majeurs chargés de recruter les MNA puis d’organiser la commercialisation des biens volés (…) reconditionné(s) en France (…) puis envoyé(s) au Maroc (…) racheté(s) aux receleurs, puis revendue ; »

A Paris tout au contraire les enquêtes diligentées n’ont pas abouti. Les services concluant à l’existence « d’une solidarité délinquante, d’une mise en commun des savoir-faire entre les MNA. » Ce qui peut paraître une explication « endogène » assez singulière. Pourtant des acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse indiquent que certains MNA « sont attendus à la sortie du commissariat ou du tribunal par des personnes plus âgées. » qui les chargent de participer à des trafics de stupéfiants, en échange d’un hébergement, du financement de leurs addictions ou « du remboursement d’une dette. »

Cette concentration sera prise en compte par une réponse en cours de déploiement par les pouvoirs publics :

  • Tout d’abord outre les pluri-identités factices des MNA déférés, ces derniers arguent souvent d’une fausse nationalité : « Les investigations réalisées en 2020 [par le parquet de Paris] permettent d’établir que les intéressés mentent régulièrement sur leur nationalité, pour tenter d’empêcher les identifications, cherchant très majoritairement à dissimuler une nationalité algérienne, en alléguant faussement une nationalité marocaine… » Dans ces conditions des coopérations renforcées doivent être mises en place. Ainsi avec le Maroc qui s’est matérialisée sous la forme d’un groupe migratoire mixte franco-marocain en 2018 et d’un sous-groupe consacré aux MNA réputés marocains. Malheureusement cette « coopération est toutefois inactive depuis le début de la crise sanitaire à l’épidémie de Covid-19 ».  Une initiative du Parquet de Paris semble cependant prometteuse : une transmission systématique par le parquet de Paris des empreintes digitales collectées au cours des gardes à vue aux autorités policières des pays du Maghreb a été mise en place.  En décembre 2020, « le ministre de l’Intérieur marocain s’est engagé à favoriser une telle identification en moins de huit jours. » Une initiative qui pourrait se révéler payante car depuis septembre 2020 le pays a mis en place une nouvelle carte d’identité sécurisée dans le cadre de la digitalisation de l’administration marocaine et des procédures administratives[5].

Mais ces coopérations bilatérales ne fonctionnement pas avec les autres pays concernés (Lybie, Algérie, Tunisie). « La coopération avec l’Algérie est actuellement limitée à la seule interrogation des fichiers algériens via le canal Interpol. » Pour les Comores, s’agissant de l’immigration massive illégale à Mayotte, ces derniers « refusent toute coopération qui consisterait à travailler sur le retour de leurs ressortissants. » En outre, il existe dans ce pays une « importante fraude documentaire ». En Tunisie, même en cas d’accord de coopération c’est l’état civil qui est défaillant, ce qui limiterait la possibilité d’identifier les mineurs, en effet : « l’obligation légale de s’inscrire à l’état civil ne commence qu’à partir de la majorité d’une personne. »

Cette difficulté de l’absence d’état civil fiable est une véritable bombe à retardement. En effet selon la Direction de la Coopération internationale (DCI), 237 millions d’enfants de moins de cinq ans n’ont pas d’acte de naissance comme preuve officielle d’enregistrement. Par ailleurs 166 millions d’entre eux (70%), n’ont jamais été enregistrés à la naissance. Ils n’ont donc aucune trace légale dans leur propre pays d’origine. Une solution proposée par les rapporteurs est de mettre en place sur notre territoire national des équipes consulaires de fonctionnaires issus de pays subsahariens en détachement afin de faciliter l’identification de leurs ressortissants.

La coopération se limite à la difficile question du retour

Mais même si une multiplication des coopérations bilatérales était mise en place avec succès, les retours ne seraient pas nécessairement possibles vers les pays d’origine. Il faudrait en effet que le respect du principe constitutionnel de l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté. Or celui-ci suppose, outre l’identification de l’intéressé, que la protection accordée par les services de l’aide sociale à l’enfance du pays d’origine soit d’un niveau comparable aux services français. Ce qui en pratique est rarement effectif.

Des « mineurs » délinquants très fortement « majeurs »

L’identification des individus suppose deux prérequis pour une orientation efficace des MNA. Que l’on puisse relever leur identité, ce qui passe par la possibilité d’effectuer des relevés d’empreintes digitales, et que l’on puisse ensuite s’assurer de leur minorité effective (sous peine d’être réorienté vers les dispositifs propres aux adultes).

Or dans les faits, les « sondages » effectués sur des MNA délinquants dûment identifiés sont assez parlants : « une expérimentation menée par le parquet de Paris en 2019 souligne que, pour 154 jeunes formellement identifiés, 141 étaient majeurs, soit 91,6% d’entre eux. » Pour les praticiens du sujet on estime « qu’il n’est pas exagéré d’imaginer qu’à minima la moitié des MNA qui se prétendent [âgés de 16 ou 17 ans] dans l’agglomération parisienne, sont en réalité âgés d’au moins 18 ans et mentent sur leur âge, comme ils le font à propos de leur identité, pour bénéficier de la clémence de la justice des mineurs. Cela représente, encore une fois grandement sous-évalué, au moins 2.500 mis en cause en 2020. »

Cette question soulève celle de la détermination de l’âge des MNA déférés qui est centrale pour l’aiguillage du suivi du MNA, sa mise sous protection, son orientation et son placement ou au contraire sa bascule dans les dispositifs de sanction et de réinsertion des jeunes adultes de droit commun.

La progressive mise en place du fichier AEM (Appui à l’évaluation de minorité)

Il a fallu atteindre la loi du 10 septembre 2018 (article 51) pour que l’Etat mette en place une application permettant de recouper les données biométriques des personnes se présentant comme MNA et pris en charge par la procédure d’évaluation de minorité effectuée par les départements. Plus spécifiquement par le décret du 30 janvier 2019. Les modalités d’évaluation de la minorité sont précisées par l’arrêté du 20 novembre 2019, mettant en place un Référentiel national, énumérant les domaines devant faire l’objet d’une évaluation sociale, et les acteurs chargés de l’évaluation (services départementaux ou par délégation). Le partage d’information a lieu entre le Président du Conseil départemental et la préfecture. Celle-ci pouvant consulter le fichier AEM et croiser les informations avec les fichiers VISABIO dépendant du MAE et du Ministère de l’Intérieur (instruction des demandes de visas) et AGDREF (instruction des demandes de titres de séjour des ressortissants étrangers) géré par le ministère de l’Intérieur.

Une évolution pourrait être de permettre dans les départements frontaliers une utilisation de cet outil par la PAF (police de l’air et des frontières). En effet, en 2020, 3.000 étrangers « se prétendant mineurs sont entrés sur le territoire national par le département, mais seuls 300 se sont signalés en préfecture. » Une disposition qui devrait faciliter les recoupements.

Une autre évolution possible pourrait être le partage de ces informations avec l’administration pénitentiaire et ce, dans les deux sens (voir notre partie consacrée aux relevés d’empreintes digitales et pas seulement biométriques). Pour le moment les fichiers de police/gendarmerie et de l’administration pénitentiaire ne peuvent être recoupés.

Or, comme le relevait déjà la Cour des comptes, seuls 77 des départements participent aujourd’hui volontairement au fichier AEM. Les 24 restants n’y sont pas raccordés et ne l’abondent pas. Il s’agit d’une difficulté supplémentaire. L’Etat a cependant décidé de mesures de désincitation financière à leur encontre se traduisant par une minoration de 100 euros de la participation forfaitaire de l’Etat/jeune évalué (hors dotation pour mise à l’abri et son extension) soit 400 euros au lieu de 500. Cette « pénalisation » pourrait être augmentée en sifflet selon un barème en 4 ans afin de responsabiliser les réfractaires.

Rendre la prise d’empreintes digitales obligatoires pour les MNA

Les rapporteurs soulignent qu’en « France, la collecte des empreintes digitales demeure soumise à la volonté de la personne contrôlée. » Celle-ci peut donc s’y soustraire même si théoriquement le code de procédure pénale (art.78-5) « punit de 3 mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende le refus de se soumettre à la collecte d’empreintes digitales. » Cependant dans les faits, ces sanctions sont peu prononcées. En pratique les MNA délinquants cherchent généralement à s’y soustraire, si bien que les parquets sollicitent la mise en détention provisoire, tandis que les JLD (juges des libertés et de la détention) « seraient réticents à y donner suite. »

Or des mesures plus coercitives sont tout à fait possibles. En effet le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés a statué que la prise d’empreintes digitales de force était possible et appliquée notamment pour les immigrants illégaux dans une dizaine de pays tels que l’Autriche, la République Tchèque, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie, le Royaume-Uni et la Norvège. Et spécifiquement pour les immigrants illégaux en Grèce et en Estonie.

Par ailleurs (voir encadré supra), lors de leur placement en détention (notamment provisoire) les MNA délinquants voient leurs empreintes être systématiquement relevées par l’administration pénitentiaire sans pouvoir s’y soustraire. Elles sont inscrites « dans le fichier pénitentiaire, qui n’est pas partagé avec les services de police et de gendarmerie nationale. » On peut penser qu’un meilleur partage d’information dans les deux sens, entre agents du ministère de l’intérieur et ceux de la justice (magistrats et administration pénitentiaire) permettrait de mieux identifier les multirécidivistes, les porteurs d’alias, ayant ou non purgé une peine de prison, et incidemment comparer leur persistance dans les fichiers et leur âge supposé (ce qui permettrait de relever des franchissements de minorité et procéder à des reclassements d’office dans les délinquants de droit commun ne bénéficiant plus de la protection de ASE (aide sociale à l’enfance[6]).

Les difficultés de la prise en charge sociale des MNA délinquants et les enjeux de la solution carcérale

La prise en charge des MNA délinquants est délicate et occasionne actuellement de nombreux effets pervers.

  • Tout d’abord le profil de « délinquant » met en échec la plupart du temps la prise en charge déployée par les départements en matière d’ASE. En particulier les centres spécialisés (foyers de l’enfance, maisons d’enfants à caractère social, « logements autonomes ») ou de familles d’accueil, voire des tiers de confiance, sont des dispositifs qui « ne sont pas adaptés au profil atypique des MNA délinquants. » En effet non seulement les places manquent déjà pour les MNA classiques au sein de ces structures, mais encore les départements recourent indistinctement pour les MNA surnuméraires à l’hébergement hôtelier, parfois pendant 2 ans, « sans aucun suivi socio-éducatif ». Cependant, certains départements de la petite couronne (contrairement à Paris), privilégient la prise en charge dans des hôtels sociaux du XVIIIème arrondissement, précisément dans les zones d’activité des MNA délinquants. Les rapporteurs demandent très justement d’exclure de l’hébergement hôtelier les MNA délinquants et ceux « dont la minorité prête à discussion ». Ces dispositions seraient de nature à faire baisser la pression sur le nombre de places d’hébergement à cause de la proportion très forte d’adultes se prévalant du statut de MNA ;
  • Des dispositifs agiles doivent être mis en place en leur direction : par exemple des « maraudes mixtes » (sociales/médicales/linguistiques) afin de mettre en place des premiers contacts et des soins et détecter précocement des éléments évocateurs de traite des êtres humains ou de réseaux. Déployer en complément des cellules sécuritaires spécialisées (brigades spéciales pluridisciplinaires) ; enfin développer l’offre d’hébergement pour des prises en charge de courte durée de type « refuges » ouverts 24/7[7] ;
  • La réponse pénale est mal adaptée aux MNA délinquants : la simplification de la procédure judiciaire et notamment la suppression de la double audience, remplacée par l’audience unique (permettant au juge de statuer sur la culpabilité et la sanction) par la loi du 26 février 2021 ratifiant l’ordonnance établissant le code de justice des mineurs[8], devrait permettre une accélération du jugement et de l’orientation des mineurs délinquants très réitératifs (rappelons que 50% du contentieux concerne 5% des jeunes). Cependant des écueils importants subsistent : bien souvent l’absence de représentant légal, aboutit à basculer dans la désignation d’un « adulte approprié » qui est souvent impossible, car la fonction n’est toujours pas rémunérée… par ailleurs, lorsque la décision judiciaire exclut la prison, « les MNA ne sont pas accompagnés au lieu de l’exécution de cette mesure ». Ils doivent donc s’y rendre par leurs propres moyens, faute de mise en place d’extractions administratives dédiées ou d’une prise en charge par une assistance éducative.  Face à cette réalité, et à la maigreur des centres de prise en charge pluridisciplinaires dédiés de la PJJ[9] (protection judiciaire de la jeunesse), l’incarcération peut être paradoxalement vue comme une mesure alternative de protection et d’accompagnement, afin de « sortir » les MNA délinquants de la rue. Les MNA délinquants incarcérés représentaient 20% des mineurs incarcérés en 2018 contre 10% en 2015 (soit 167 mineurs environ), mais cette proportion peut dépasser les 30% comme à Paris ou à Bordeaux. Mais pour que cette solution permette une véritable prise en charge il faut que « les solutions [éducatives, soient] (…) travaillées dès le début de la détention », en prenant en compte la barrière linguistique pendant l’incarcération et les difficultés liées aux transferts entre établissements incessants à cause, par définition de leur statut qui les privent du bénéfice du rapprochement familial. Enfin, « la préparation à la sortie est néanmoins rendue complexe par l’absence de représentant légal. »

Conclusion

La question des MNA délinquants est donc particulièrement complexe. Mais on comprend qu’aux impératifs nécessaires au traitement des flux et d’une réponse pénale adaptée en aval, doit s’ajouter en amont un travail d’identification et d’orientation dont découlera tout le parcours des mineurs concernés. Il faut donc prendre à la racine des mesures fortes, qui n’apparaissent pas nécessairement dans le rapport :

  • Rendre obligatoire la prise d’empreinte des mineurs par les services de sécurité intérieure. Sanctionner les refus en créant une « peine plancher » pour refus d’obtempérer afin de lier en la matière la compétence du JLD. Partager les fichiers « police/gendarmerie » avec l’administration pénitentiaire dans les deux sens (ce qui raccourcira les saisies de données) ;
  • Renforcer les effets de levier des sanctions envers les départements refusant le déploiement du dispositif AEM d’évaluation de minorité ;
  • Développer la coopération bilatérale avec les autorités étrangères pour identifier les MNA délinquants : de ce point de vue deux leviers devraient être utilisés :
    • Conditionnaliser la libération des fonds de la coopération décentralisée envers les états non coopérants[10] ; les montants sont substantiels puisqu’en 2019 près de 1.040 collectivités ont déboursé sur leurs fonds propres près de 121,9 millions d’euros[11] ;
    • Proposer l’assistance de la France pour une mise à niveau législative, réglementaire et technologique des états civils et des pièces d'identité des pays pourvoyeurs en MNA délinquants, avec hébergement des infrastructures informatiques de stockage sur le sol français et établissement d’un partage automatique d’information comme en matière fiscale sur le modèle de l’assistance administrative OCDE.
  • Supprimer le recours à l’hébergement hôtelier pour les mineurs délinquants ;
  • Développer des réponses agiles et spécialisées pour les prises de contact, l’hébergement d’urgence et le repérage des réseaux criminels impliquant les MNA ;
  • Stabiliser la situation des MNA incarcérés et les inscrire dans un parcours de réinsertion et/ou développer en coopération des capacités carcérales ad hoc dans les pays d’origine où ils pourront purger leurs peines, sous contrôle français.

[1] https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/ou-en-est-mayotte-dix-ans-apres-etre-devenu-un-departement-20210323

[2] Voir, notre note https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/mineurs-etrangers-isoles-les-angles-morts-de-la-gestion

[3] Calcul à partir des statistiques trimestrielles d’octobre 2019 de la population carcérale de l’administration pénitentiaire, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Mesure_incarceration_octobre_2019_.pdf, voir également, https://oip.org/en-bref/existe-t-il-des-prisons-speciales-pour-mineurs/. Le calcul a été effectué à partir du rapport ELIAOU/SAVIGNAT, p. 47.

[4] Le rapport n’offre pas de chiffre à leur sujet mais précise que « à Paris, la proportion de mineurs délinquants en provenance des pays de l’Est a diminué entre 2015 et 2017 puis s’est stabilisée depuis. » Voir également le rapport du Sénat, DOINEAU/GODEFROY, n°598, relatif à la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, n°598, 28 juin 2017, https://www.senat.fr/rap/r16-598/r16-5981.pdf. On consultera également Fondation iFRAP, note du 11 juillet 2017, https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/un-point-sur-la-problematique-des-mineurs-non-accompagnes

[5] Voir par exemple  https://www.bladi.net/avantages-nouvelle-carte-identite,72822.html

[6] Il en irait d’ailleurs de la protection des vrais MNA mineurs qui bien souvent se retrouvent sous la coupe et l’emprise d’adultes dissimulant leur maturité réelle pour bénéficier de la protection de l’ASE alors même qu’ils n’ont aucune envie d’insertion.

[7] 24h/24 et 7 jours sur 7.

[8] Voir en particulier, https://www.vie-publique.fr/loi/277708-loi-26-fevrier-2021-ratifiant-ordonnance-code-justice-penale-mineurs, ainsi que le dossier législatif, et le rapport du Sénat, p.48-49, https://www.senat.fr/rap/l20-291/l20-2911.pdf

[9] La création d’un centre expérimental de 12 place est annoncé par la PJJ avec une durée de séjour des résidents de 6 mois… ce qui est particulièrement maigre en termes de flux.

[10] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/action-exterieure-des-collectivites-territoriales/ressources-et-bibliotheque-de-l-aect/outils-et-methodes-pour-la-cooperation-decentralisee/article/le-guide-operationnel-de-la-cooperation-decentralisee-paris-28-09-2020

[11] Voir https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/action-exterieure-des-collectivites-territoriales/teledeclaration-de-l-aide-publique-au-developpement-apd/article/rapports-annuels-sur-l-aide-publique-au-developpement-des-collectivites