La France et la finance : un malentendu ?
« Mon véritable adversaire, c’est la finance… » affirmait François Hollande quand Nicolas Sarkozy expliquait que le « capitalisme financier […] avait imposé sa logique à toute l’économie ». Plutôt qu’un malentendu, la France entretient un vrai [french] paradoxe avec la finance. Il faut bien regarder les choses en face : sans la finance, aujourd’hui, pas d’investissements dans les entreprises, les collectivités locales ou les hôpitaux, pas d’état-providence, pas d’investissements d’avenir (nos fameux PIA).
Cette tribune est parue dans la revue de l'ENA hors les murs n°452, en juin 2015. |
Financement des entreprises
On cherche sans réponse la cohérence dans les discours et dans les actes. Quelle cohérence de dérouler le tapis rouge aux investisseurs et CEO de grandes entreprises étrangères, à grands coups de « conseils stratégiques de l’attractivité », à dire « je t’aime » aux entreprises étrangères mais à hurler son désaccord quand l’americain GE annonce vouloir racheter le français Alstom ? Quelle cohérence ensuite, de froncer le nez quand de grands patrons d’entreprises internationales installées en France (150.000 salariés et une centaine de milliards d'euros de chiffre d'affaires) osent un appel pour expliquer ce à quoi sont confrontées les 20.000 entreprises étrangères et leurs 2 millions d’employés hexagonaux (soit 13% de la population salariée, un quart dans le seul secteur industriel, 29% du chiffre d'affaires de l'industrie française, un tiers des exportations françaises…).Ils demandent d’«assouplir, en matière sociale, les procédures de consultation en regroupant les différentes instances représentatives du personnel, d’alléger les aspects pénaux du droit du travail en supprimant le délit d'entrave, de stabiliser et sécuriser l'environnement fiscal et supprimer la possibilité de rétroactivité fiscale (…), d’engager une politique ambitieuse d'attraction et de rétention des talents internationaux et des quartiers généraux européens. ». Une démarche de lettre ouverte tout à fait nouvelle qui est une preuve de leur exaspération ou de leur découragement de voir leurs projets d’investissement en France refusés par leurs directions étrangères.
Ont-ils été entendus ? Rien n’est moins sûr. Pendant que la France continue de s’endetter, que le Code du travail continue de grossir, le gouvernement célèbre l’augmentation du nombre de projets d’investissements étrangers en 2014… en oubliant de dire que le nombre d’emplois créés par ces investissements est en baisse de quelques 12.600 par rapport à l’année précédente et que les implantations de sièges sociaux comme de centres de R&D vont plutôt vers l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sur ce point, la France fait pâle figure avec ses 11 projets de sièges.
Toute cette incompréhension entre la France, la finance, les investisseurs et les entrepreneurs pourrait être risible si elle n’impactait pas l’emploi et l’avenir de notre pays. A trop dire que l’on n’aime pas le capital et la finance, sans lesquels on n’investit pas, on n’innove pas, on ne crée pas d’emplois et nous prenons collectivement un risque énorme : laisser s’endormir ou partir les talents de la France. Se servir de la finance pour financer des investissements publics dans l’économie (qui ne sont d’ailleurs pas toujours les meilleurs) et trouver anormal d’encourager fiscalement les investisseurs à prendre le risque de financer nos entreprises et nos emplois, relève de la franche contradiction.
La France manque d’investisseurs pour financer ses start-up, jeunes entreprises en forte croissance, mais aussi ses ETI et ses PME. Et ce problème est tellement reconnu que, pour tenter de remplacer les investisseurs privés en nombre et en force de frappe insuffisants, la surenchère est mise sur les financements publics (la BPI). Un circuit de secours indirect, aux résultats incertains, et financé par des emprunts sur les marchés internationaux (encore).
La France court après les investisseurs tout en menant une politique de taxation des revenus du capital qui n’existe nulle part ailleurs avec la CSG-CRDS à 15,5% et une taxation au barème de l’IR plus lourde qu’à l’étranger (même avec les allègements obtenus par les « pigeons »). Tout cela en conservant l’ISF, même pour ceux qui gardent des parts dans de grosses PME familiales… et en expliquant qu’il en faudrait plus avec les yeux de Chimène pour le Mittelstand allemand (sa force exportatrice repose avant tout sur des familles d’entrepreneurs attachées à leur pays).
Pourtant, il n’y aurait pas grand-chose à changer pour dynamiser le financement de nos entreprises : la fiscalité des ménages pourrait inciter à investir dans le capital de nos entreprises, la fiscalité des plus-values (en la supprimant pour les cessions de parts de PME et d’ETI notamment) pourrait inciter les jeunes à tenter l’aventure entrepreneuriale, la fiscalité du patrimoine pourrait inciter à investir dans les entreprises plutôt que dans les œuvres d’art. Quel gâchis !
Financement des politiques publiques
Pour financer sa dépense publique, en 2015, la France aura encore emprunté 188 milliards d’euros sur les marchés financiers. Tous les mois, la France emprunte une vingtaine de milliards d’euros supplémentaires et, tous les ans, la France doit rembourser peu ou prou 120 milliards d’euros. Certains disent d’ailleurs qu’avec les taux faibles actuels, ce serait le moment d’emprunter encore plus pour la France. Ce serait la pire des erreurs. Est-ce qu’un pays dont « l’adversaire est la finance » peut continuer à demander autant aux marchés sans craindre un retournement ?
Si la France n’aime pas la finance, le meilleur moyen de ne pas en être collectivement dépendants de cette dernière serait d’équilibrer les comptes publics. Pourtant, nous continuons comme vient de le souligner la Cour des comptes, d’augmenter le déficit budgétaire de l’État avec une aggravation de plus de 10 milliards entre 2013 et 2014.
La France veut-elle vraiment s’affranchir de la Finance ? Si oui, le chemin est l’exact inverse. Faire grossir sans cesse la dette publique française nous met chaque jour plus à la merci d’une attaque des marchés sur nos émissions de dettes et nous rapproche d’un risque de remontée des taux d’intérêts qui sera ensuite suivi irrémédiablement de coupes drastiques dans les politiques publiques, sans choix et sans marge de manœuvre.
L’agence France Trésor, dans un document intitulé Charge de la dette et trésorerie de l’État, a bien mis en exergue le coût pour les finances publiques des conséquences d’un choc de taux de 1% sur la charge de la dette au sens de Maastricht (OAT, BTAN et BTF). Il apparaît alors qu’un choc de 1% en 2015 produirait mécaniquement un surcoût pour les finances publiques de 2,4 milliards d’euros cette même année, mais près de 5,3 milliards en 2016 et 7,4 milliards en 2017, ce qui nécessiterait des ajustements budgétaires complémentaires massifs.
Notre dette publique atteindra bientôt le niveau symbolique des 100% du PIB. Chaque jour, la France, son État, ses collectivités, ses hôpitaux, sont un peu plus les otages potentiels de la Finance tout en déplorant amèrement le rôle des marchés et des agences de notation, ces entreprises chargées de la notation financière des collectivités (États…) ou des entreprises.
Si l’on accepte collectivement de faire appel aux marchés financiers pour financer nos dérapages budgétaires, il faut aussi accepter le fait qu’ils se sont dotés de moyens de mesures afin d’évaluer le risque qu’ils prennent à financer notre État. Rien que de très rationnel.
Autre paradoxe, la France aimerait que plus de résidents français soient détenteurs de sa dette, mais elle incite ses riches à partir en leur imposant une fiscalité dissuasive et refuse l’idée même qu’une partie des retraites des Français soit gérée dans des fonds de pension. En 1993, seul un tiers de la dette française était détenu par des non-résidents. En 2014, c’est 64%. La situation française en Europe est particulière car notre pays se classe en troisième position de l'Union européenne par son niveau de détenteurs étrangers (sont devant nous le Portugal (75% de la dette détenue par des non-résidents) et la Grèce (71%). En moyenne, 53% de la dette des pays européens sont détenus par des non-résidents. Le terme de "non-résidents" recouvre une série d'acteurs : fonds de pension, grandes banques, compagnies d'assurance, fonds souverains... Il est impossible de savoir précisément la composition des détenteurs de notre dette car la loi française interdit la divulgation de cette information hors du cercle des détenteurs.
Si la France veut moins de non-résidents détenteurs de dette publique, cela demande d’avoir une politique plus favorable à la détention privée de patrimoine (professionnel ou non) et une stratégie pro-entrepreneuriale aussi bien fiscale que sociale. Car, si nous avons autant de déficit, de dette et autant besoin de la Finance c’est bien parce que nous avons oublié l’essentiel : on ne peut redistribuer que la richesse qu’on a créée.
Cette tribune est parue dans la revue de l'ENA hors les murs n°452, en juin 2015. |