Grand Paris : la région doit prendre le leadership
Les sénateurs Philippe DALLIER et Didier RAMBAUD ont publié un rapport d’information sur la gouvernance du Grand Paris où ils pointent la gouvernance insatisfaisante de la région capitale. Ils appellent à trancher entre différentes évolutions institutionnelles possibles pour la première des régions françaises par son nombre d’habitants et sa richesse. Les défis à relever dans les prochaines années sont immenses pour le Grand Paris et doivent guider le partage des compétences.
Un millefeuille inégalé
La région Ile-de-France représente 12 millions d’habitants soit 19% de la population nationale. La richesse produite par cette région représente 668 Mds € (chiffre 2015) soit 30% du PIB national. Pourtant l’organisation institutionnelle du Grand Paris n’est pas à la hauteur du potentiel de la région capitale et atteint des sommets de complexité. C’est ce que l’on ressent intuitivement lorsque l’on regarde le partage des compétences mais c’est encore plus vrai lorsque l’on plonge dans la réalité des chiffres.
La région capitale, c’est tout d’abord une superposition de strates inégalée ailleurs en France :
- 1 région ;
- 7 départements depuis la fin du département de Paris consécutif à la réforme de 2019 ;
- 63 EPCI dont :
- la métropole du Grand Paris
- et les 11 établissements publics territoriaux (EPT) issus des EPCI préexistantes et qui ne disposent plus de fiscalité propre
- 1.260 communes ;
- Et aussi 44 SIVOM et 354 SIVU…
Un millefeuille qui bien entendu occasionne un nombre pléthorique de mandats. La Fondation iFRAP s’est livrée à une extraction du répertoire national des élus. Résultat : on compte 30.439 mandats entre les conseillers municipaux, les EPCI, les conseillers départementaux et régionaux et les parlementaires représentant la population d’Ile-de-France. Soit, étant donné les possibilités des cumuls entre conseillers[1], 27.000 élus.
Une stratification qui a pour corollaire une forte administration avec selon les chiffres de l’INSEE 365.000 agents publics territoriaux qui interviennent dans la région capitale dont 60.000 environ au niveau régional et départemental et plus de 300.000 au niveau communal, soit 19% des effectifs de la fonction publique territoriale.
Et c’est sans compter une administration d’Etat déconcentrée qui se traduit entre autres par les préfectures de région et de départements franciliens[2] ou encore la préfecture de police de Paris dont la compétence est en partie sur la petite couronne et sur la totalité de la région Ile-de-France selon les missions.
La création de la métropole du Grand Paris a-t-elle permis de fluidifier les choses ?
Le rapport sénatorial rappelle que la création de la « Métropole du Grand Paris » MGP résulte principalement des lois MAPTAM de 2014 et NOTRe de 2015. La Métropole du Grand Paris a été créée le 1er janvier 2016. Il s’agit d’un EPCI au statut particulier, composé de territoires, entités d’au moins 300.000 habitants, sans réelle autonomie. Dans ce schéma, les intercommunalités préexistantes devaient disparaître.
Cet établissement regroupe la commune de Paris, l’ensemble des communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Les communes des autres départements qui appartiennent à un EPCI dont au moins une commune est située dans l’un des départements précités peuvent rejoindre la MGP.
L’objectif de la métropole était de définir et de mettre en œuvre des actions visant à améliorer le cadre de vie des habitants, réduire les inégalités et améliorer son attractivité et sa compétitivité. Ce qui s’est traduit par l’attribution de 4 compétences obligatoires pour la MGP : l’aménagement, le développement économique, la politique locale de l’habitat et la protection de l’environnement et la politique du cadre de vie. S’y ajoutait la compétence Gemapi à partir de 2018.
Les territoires sont des EPCI sans fiscalité propre. Ces derniers ont des compétences attribuées de plein droit par la loi : l’eau, l’assainissement, le traitement des déchets. Le rapport des sénateurs résume par un tableau la complexité qu’est devenue avec la création de cette nouvelle strate le partage des compétences en Ile-de-France :
La métropole cumule par ailleurs d’autres difficultés : Le Conseil est l’organe délibérant de la Métropole du Grand Paris. Il prend des décisions dans le domaine de compétences attribué par la loi à la métropole. Le Conseil est composé de 208 conseillers et conseillères métropolitains désignés par les Conseils municipaux des 131 communes membres. Un système de validation avec une assemblée très contrastée où chaque maire compte avec son étiquette politique mais qui alourdit le processus.
Un mode de désignation qui n’est pas clair et qui fait que le citoyen ignore tout des enjeux et du programme de la Métropole. L’élection à la tête de la métropole n’a d’ailleurs pas été un modèle de transparence.
Est-ce que les modèles étrangers peuvent aider ? Les situations de Berlin ou Madrid capitales de pays fortement décentralisés avec des collectivités disposant d’autonomie ne facilitent pas la comparaison. En revanche, on peut retenir le cas de Rome. La ville métropolitaine de Rome s’appuie sur 121 communes dont la ville de Rome. La ville métropolitaine de Rome Capitale créée le 1er janvier 2015, se substitue à la province de Rome sur le même territoire. La ville métropolitaine est dirigée par un maire, qui est celui de la ville de Rome, un conseil métropolitain élu et une conférence métropolitaine consultative, tous deux présidés par le maire. A Londres, le Great London Authority est responsable du développement de Londres, de la police et de la sécurité, des transports et de l’action économique. Le GLA a un maire et une assemblée. Au niveau local, Londres s’organise autour de 33 districts qui prennent en charge les services publics locaux non pris en charge par le GLA (aménagement local, écoles, services sociaux, ordures ménagères, …) Ces districts sont dirigés par des conseils élus. Dans les deux cas le maire de la ville est aussi le responsable de l’exécutif métropolitain. |
Dernier problème : les financements qui sont indigents au regard du périmètre censé être couvert par la métropole, soit 206 millions d’euros dont 42 millions d’euros en fonctionnement et 164 millions d’euros en investissement, rappelle le rapport sénatorial.
Le rapport souligne surtout que le partage du produit des impôts économiques (CFE, CVAE) entre la métropole et les EPT prévoit la disparition de toutes recettes fiscales pour les EPT mais aussi de leur dotation d’intercommunalité, au bénéfice de la MGP. Une décision qui a finalement été reportée en 2023 mais qui se reposera très vite et qui risque de créer des crispations car « avoir créé les EPT en 2016, les incitant à se développer, en leur conservant une partie de la progression annuelle de la CFE, pour les en priver complètement quelques années plus tard a été une décision qui ne peut malheureusement être comprise que comme la regrettable volonté, à l’époque, de ménager la chèvre et le chou ».
Et maintenant comment faire évoluer la métropole ?
La complexité de la gouvernance institutionnelle avait été déjà soulevée en 2007 par Nicolas Sarkozy et plus récemment par Emmanuel Macron en 2017 rappellent les sénateurs qui soulignent que si la volonté de réformer la gouvernance du Grand Paris a toujours été là, c’est la réalisation qui pêche. D’ailleurs, malgré les intentions initiales, le sujet ne devrait pas être abordé dans le projet de loi 4D en préparation pour l’été.
Les sénateurs ont mis en avant 5 scénarios possibles d’évolution qui se résument dans le diagramme suivant :
Une des raisons à cela c’est le calendrier électoral qui laisse à chaque fois une petite fenêtre de tir pour entamer une réforme :
Scrutins :
- 2014 municipales
- 2015 départementales et régionales
- 2017 présidentielle et législatives
- …
- 2020 municipales
- 2021 départementales et régionales
- 2022 présidentielle et législatives, etc.
La maire de Paris, qui est également première vice-présidente de la métropole, insiste sur le fait qu’il sera impossible de faire une évolution qui mette tout le monde d’accord. Plutôt que de vouloir faire évoluer la gouvernance institutionnelle qui risque de prendre des années, elle préfère la formule de « métropole de projets » avec les élus métropolitains. Et de citer comme l’exemple de la ZFE, zone à faible émission qui va être mise en place à l’intérieur du périmètre de l’A86, rocade francilienne qui comprend 79 communes et qui va interdire les voitures classées critair 4 et 5, comme un exemple de concrétisation. De fait l’ensemble des véhicules diesel devrait être exclu en 2024. Sauf qu’un tel projet est loin d’être évident et ne semble pas avoir été porté par toutes les sensibilités aux dernières élections municipales. En témoigne le fait que 3 villes refusent la ZFE dont Bobigny et Créteil selon Les Echos. Cet exemple pose aussi la question du périmètre du Grand Paris : un tel zonage ne risque t-il pas de recréer une frontière avec la grande couronne ? (au moment même où Paris s’efforce de gommer la frontière constituée par le périphérique avec la proche banlieue). Et que dire des ménages modestes qui souvent sont les plus pénalisés et qui n’ont pas d’alternatives en transports en commun ? Tout cela dans une période économique difficile malgré les aides prévues pour changer de véhicules ? |
D’immenses défis à relever
La région francilienne a devant elle d’immenses défis à relever :
- L’emploi et l’activité économique : Au quatrième trimestre 2020, en Ile-de-France, les restrictions sanitaires associées à l’épidémie de Covid-19 ont fait perdre 23.000 emplois salariés sur le trimestre. Une diminution de -0,4%, plus prononcée qu’au niveau national (-0,1%), pour cause de forte spécialisation de la région dans des activités très touchées par la pandémie (tourisme, culture). Selon le bulletin de L’Insee cité par Le Parisien, la région enregistre un tiers des pertes nationales. Avec 100.000 emplois détruits sur toute l’année 2020, même si la situation n’est pas identique dans tous les départements franciliens ;
- Le logement : Selon la Fondation Abbé Pierre citée par Les Echos, la région concentre les problèmes en France en matière de logement : « la région concentre près de 34 % des demandes HLM, 41 % des expulsions locatives effectives […], 63 % des situations de surpeuplement accentué… » Parmi les 4 millions de personnes mal logées en France, 1,2 million vit en région parisienne. La région cumule un prix au m² plus élevé que la moyenne nationale, des coûts de construction plus élevés (foncier, coûts de main d’œuvre). On peut rajouter à ces deux points la situation de la délinquance et de l’insécurité plus marquée en région Ile-de-France[3] et la question des transports puisque la mobilité est un enjeu majeur en Ile de France : le trafic trains et RER en Ile-de-France est supérieur à la totalité du trafic TER en régions et les temps de transport sont supérieurs à ceux observés en province.
Le tableau du partage des compétences montre qu’au moins deux thèmes sont trop éparpillés entre les acteurs : il s’agit de l’attractivité et développement économique, et du logement. S’agissant des agences locales de développement, on doit saluer le fait que leur nombre se soit réduit. Mais il faut faire converger l’attractivité économique entre petite et grande couronne. Sur le logement, les compétences sont là aussi trop éparpillées alors même que le processus de construction est alourdi par des coûts de construction toujours plus élevés sous l’effet des normes, des recours qui allongent les délais, des contraintes environnementales de plus en plus sévères. Pour toutes ces raisons, la frontière entre zone dense et zone peu dense évolue très vite. Et ce sera encore plus le cas lorsque le chantier du Grand Paris Express sera réalisé. Sur au moins ces deux thèmes la région peut faire converger l’intérêt de la petite et de la grande couronne : pour ces raisons, elle doit prendre le leadership.
Conclusion
La Fondation iFRAP se prononce pour privilégier l'option n°5. C'est-à-dire une fusion de la MGP et de la région, les départements devenant des échelons déconcentrés ce qui reprend les principes de la décentralisation voulus dans le cadre de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. La question renouvelée du conseiller territorial déployant son action en collège unique/métropolitain ou en collèges départementaux aurait le bénéfice de réduire le nombre d'élus. Les EPT devraient à terme fusionner avec les EPCI portés par le bloc communal... du type GPSO, etc.
L'avantage de cette évolution c'est qu'en outre il serait possible de mettre en avant les synergies en matière de sécurité. L'exécutif serait plus légitime pour demander un périmètre plus juste de la PPP (préfecture de police de Paris) et un partage des compétences sur les personnels (qui pourraient être hiérarchiquement toujours exercées par le ministère de l'Intérieur et son représentant le préfet de police de Paris et fonctionnellement partagées avec le "maire"/"Président" de la Nouvelle métropole intégrée...) en renforçant le continuum de sécurité avec les polices municipales. Les polices municipales devraient d'ailleurs être intercommunalisées strictement (ce qui nécessiterait une modification de la loi "sécurité intérieure" actuellement en discussion au Parlement, à raison des compétences de police du maire et de leur délégation fonctionnelle à l'intercommunalité). Les intercommunalités actuelles devant disparaître soit par fusion de communes, soit par absorbsion par les EPT (moyennant une modification du périmètre de leurs compétences).
[1] Un élu local ne peut être titulaire de plus de deux mandats électoraux parmi les suivants : conseiller régional, conseiller départemental, conseiller de Paris et conseiller municipal (article L. 46-1 du code électoral).
[2] La DRIAFF, la DRIEA, la DRJSCS, la DRAC, la DIRECCTE, la DRIEE et la DRIHL composent les services de l'État en région.
[3] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2019-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-24