États-Unis : une vision décomplexée de la démocratie
Les campagnes politiques aux États-Unis se déroulent en ce moment à coups de millions de dollars dépensés en publicité. Si, de France, on peut critiquer ces dépenses américaines et les juger excessives, il faut néanmoins se rappeler que c'est de l'argent privé, et non public, qui en est à l'origine.
1. Historique de la régulation de la publicité politique en France
La France a une tradition limitative de la publicité politique. La présidentielle de 1965 a vu pour la première fois l'application du décret du 14 mars 1964, limitant à deux heures de télévision le temps attribué à chaque candidat. Avec la progression jusqu'aux années 1980 des dépenses publicitaires et de communication, les campagnes électorales se voient alors sévèrement encadrées. La loi Léotard du 30 septembre 1986 vient interdire “les émissions publicitaires à caractère politique” suivie par la loi Rocard du 15 janvier 1990 interdisant la propagande par voie de presse, d'affichage et par téléphone dans les trois mois précédant l'élection. La loi du 14 avril 2011 vient allonger cette période à six mois. Un récent arrêt vient d'étendre cette régulation à la mise en place de publicités sur internet. Après l'apothéose de la communication des campagnes des années 1980, le durcissement des règles a rendu la communication politique officielle impossible et nécessité la mise en place d'émissions politiques complexes.
Un important financement public en France
Mais c'est surtout le financement public des partis politiques en France qui pose question. Ainsi, dans un décret [1] publié en février, on apprend que « le montant des aides attribuées aux partis et groupements politiques en application (...) de la loi du 11 mars 1988 susvisée est fixé pour l'année 2012 à 71.130.695,04 euros ». La plus grande partie de ces aides publiques est répartie entre le parti UMP : 30.143.113,94 euros et le Parti socialiste : 22.881.372,78 euros.
Quant au financement privé, le Sénat reconnaît que la loi n'y incite guère en France :
« les contributions des membres de base ne représentent souvent qu'une très faible part des ressources du parti (…). Les partis peuvent disposer d'autres revenus privés, mais dans les limites étroites d'une législation de plus en plus restrictive : ressources provenant d'activités commerciales ou industrielles du parti, legs… Entrent également dans cette catégorie les « dons des personnes physiques » régis par les lois de 1995, étant entendu que depuis cette même date les personnes morales, quelles qu'elles soient (les entreprises notamment), ne sont plus autorisées à verser le moindre don ni le moindre avantage en nature aux partis politiques. En dépit d'une incitation fiscale, les contributions volontaires des personnes physiques restent traditionnellement faibles [2]. »
Une vision américaine permettant à tous de se sentir impliqués
Contrairement à la vision française de limitation des fonds privés et de subventionnement public, les États-Unis font reposer massivement le financement des campagnes électorales sur les dons privés. Ainsi, depuis janvier 2012 et le vote par le Congrès d'une loi réformant le financement de la campagne, les candidats ont la possibilité d'avoir recours de manière illimitée aux dons des entreprises privées.
En demandant une levée de fonds importante aux donateurs privés, le système américain permet d'impliquer directement l'ensemble des électeurs. Certes, le taux de participation est plus faible qu'en France [3] et de nombreuses élections ne se jouent souvent qu'à l'aune d'enjeux locaux, pourtant, les citoyens-électeurs engagés le sont bien plus que les citoyens français.
La différence est palpable dès l'ouverture des sites internet de campagne : sur chaque page d'accueil, le citoyen est invité à donner comme en France mais également à organiser des "évènements, appeler d'autres citoyens, mettre en place des campagnes de tractage ». Dans cette ligne, l'idée des primaires du PS ainsi que l'opération 5 millions de portes ouvertes résultent de la mission d'Arnaud Montebourg pour la rénovation du Parti Socialiste. Le succès de ces opérations est un signe pour les autres partis qu'il est temps de s'adapter, de construire et d'amplifier ce mouvement innovant, pour, à l'avenir, se reposer de moins en moins sur les seules finances publiques.
Conclusion
Il n'est plus possible de continuer à plafonner les dépenses de campagne présidentielle [4], soit environ le budget d'une campagne sénatoriale américaine. Il convient de ne pas conserver cette règle hypocrite autorisant les publicités électorales exclusivement à plus de six mois des scrutins. Il est désormais indispensable de déplafonner ou d'augmenter significativement le plafond des campagnes des élections françaises. Cette mesure permettra à chacun de s'engager, à chacun de prendre part, notamment par le don, au choix démocratique pour avoir de nouveau le sentiment d'être représenté.
Illustration : http://les-yeux-du-monde.fr/actuali...
[1] Décret n° 2012-191 du 7 février 2012 pris pour l'application des articles 9 et 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. http://www.legifrance.gouv.fr/affic...
[2] Source : http://www.senat.fr/role/fiche/fina... Page visitée le 26 septembre 2012.
[3] Le taux de participation exprimé en fonction des électeurs inscrits est estimé entre 60 et 70% aux États-Unis. En France, le taux de participation en mai 2012 était de près de 80%.
[4] « Conformément au décret du 30 décembre 2009, les plafonds des dépenses électorales sont fixés à : 16,851 millions d'euros pour le premier tour, 22,509 millions d'euros pour le second tour. » Source : http://www.vie-publique.fr/actualit...