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Décentraliser des compétences cruciales, mais “recentraliser” les dépenses sociales

Sommes-nous condamnés à payer 84 milliards d’euros par an en trop pour financer nos services publics (selon les calculs de l’iFrap fondés sur le «Panorama des administrations publiques 2019» de l’OCDE)? Tout cela parce que l’État veut bien décentraliser, mais ne souhaite pas transférer complètement les compétences. Parce que les collectivités locales veulent assumer plus de missions, mais pas trop de responsabilités. Parce que la Sécurité sociale affectionne le fait de rester hors de contrôle. Une grosse partie de notre déficit public annuel vient de là.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le mardi 29 mars 2022.

Il faudra bien se saisir de ce dossier dès les premières semaines du nouveau quinquennat. Les régions, dans les autres pays de l’Union européenne, bénéficient en général de budgets beaucoup plus importants que ceux des conseils régionaux en France. Ces derniers n’ont que des compétences limitées (transports, construction et entretien des lycées) et des budgets ridicules (entre 1 et 5 milliards d’euros par an). En parallèle, l’État, en France, ne remplit plus ses missions régaliennes conformément aux attentes des citoyens. La sécurité, la défense ou le pénitentiaire ont fait les frais de la montée en puissance sans limites de la dépense sociale.

La fausse décentralisation régulière et répétée (lois de 1982, de 2003, de 2015) est devenue une marque de fabrique française. On décentralise le nettoyage des lycées ou la rénovation des bâtiments, mais pas l’embauche des professeurs ; la formation, mais pas Pôle emploi. La France reste le pays d’Europe avec le plus de collectivités territoriales et d’élus, mais qui ont le moins de pouvoir!

La complexité des financements et l’enchevêtrement des compétences perdurent. La simplification reste un mot vide de sens. Nos concitoyens, pour la plupart, ne comprennent plus rien à la répartition des compétences. Qui est responsable de la logistique dans un Ehpad? Le département, qui finance? ou l’ARS? Bien malin qui est capable de répondre à cette question. Suivre l’argent de la poche du contribuable au service public concerné est quasiment mission impossible.

La loi 3DS - abréviation de la loi sur «la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale», adoptée en février 2022 - ne change pas la donne. Au contraire, elle aggrave un peu plus le flou qui entoure notre gestion publique locale. Par exemple, 11.500 kilomètres de routes nationales verront leur gestion transmise aux départements et aux métropoles, notamment celle de Lyon, mais 9000 kilomètres de routes nationales seront exploitées et entretenues par les régions dans le cadre d’une expérimentation de cinq ans. Résultat: les anciennes routes nationales vont être gérées par trois financeurs: des départements, des métropoles et des régions.

Dans le domaine social, métropoles et communautés urbaines vont pouvoir créer leurs propres centres d’action sociale alors que communes et intercommunalités se font déjà concurrence avec les leurs. La loi 3DS ouvre aussi la porte à une centralisation du RSA pour les départements en difficulté, notamment la Seine-Saint-Denis depuis janvier 2022. Mais pourquoi ne pas le faire pour tous les départements et faire gérer la distribution du RSA (et de toutes les aides sociales) par Bercy plutôt que de conserver une multitude de CAF sur le territoire? Cette vision à la carte des missions publiques embrouille encore plus la situation.

Pourtant, les Français expriment leur souhait de voir les collectivités territoriales assumer plus de responsabilités, en particulier commune et région. La Fondation iFRAP propose et chiffre, dans sa dernière étude, une nouvelle répartition des missions publiques qui transférerait 100 milliards de dépenses de l’État aux régions et aux communes en décentralisant la gestion de la santé, de l’éducation, de la culture et de Pôle emploi - les régions pourraient alors faire gérer le placement des demandeurs d’emploi par des associations, des fondations ou des organismes spécialisés en délégation de service public. Il en irait de même pour les écoles et les hôpitaux. La nouvelle répartition des missions publiques ferait aussi baisser les dépenses de la Sécurité sociale de plus de 80 milliards en transférant à Bercy la gestion des aides sociales versées en numéraires sur critères de ressources (RSA, allocations familiales, APL, allocation adulte handicapé, prime de Noël, prime de rentrée scolaire) et en les réunissant en une allocation sociale unique, imposable et plafonnée au niveau du smic. Les organismes de sécurité sociale devraient en outre, dorénavant, appliquer la même règle de bonne gestion que les collectivités locales: pas d’endettement pour fonctionner et une transparence dans leur activité, contrôlée par le Parlement, ce qui est loin d’être de mise à l’heure actuelle.

L’objectif de cette vraie décentralisation? Clarifier et pouvoir faire enfin des économies sur les dépenses en supprimant les doublons publics, dont on nous parle depuis des années sans jamais voir rien arriver. Tous les acteurs publics savent que l’organisation publique actuelle de la France entretient frais administratifs et coûts bureaucratiques.

Rien qu’en appliquant enfin le principe de base qu’est la subsidiarité, 38 milliards d’euros par an de dépenses inutiles peuvent être économisés. Pourquoi nous en priver délibérément? Il est plus que temps de mettre tous les élus nationaux et locaux et tous les acteurs publics autour de la table, et d’aboutir à une cartographie des missions publiques explicable simplement et qui ne ressemble plus à une toile d’araignée.