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Cachez ce déficit que je ne saurais voir...

Le nouveau gouvernement Valls nous dit vouloir, dans la continuité, redresser les finances publiques et arriver à réaliser 50 milliards d'économies mais cela dans la « justice sociale ». Dans un pays où la dépense sociale atteint déjà 34% du PIB, ce mot de justice sociale prend tout son sens. Malgré les grandes déclarations, on continue de tourner autour du pot de la baisse des dépenses. Jusqu'à quand ? Le verdict va venir très rapidement. Et la liste des 50 milliards ? On l'attend toujours… mais pas pour très longtemps puisqu'elle devra figurer dans le programme de stabilité à communiquer mi-avril à Bruxelles [1].

Avec 4,3% de déficit et 93,5% de dette au sens de Maastricht, les indicateurs budgétaires ne sont pas au beau fixe. Le 31 mars 2014 l'Insee rendait publique une note relative à l'exécution des comptes publics pour 2013. Il y apparaît que le déficit public s'élèverait à 4,3% du PIB. Or, celui-ci, anticipé à 3% en octobre 2012 n'a fait depuis que se creuser au gré des réévaluations successives (5 au total [2]), avec un écart provisoire (en attendant la reddition complète des comptes en mai) de +1,3 point de PIB par rapport à la prévision initiale soit environ 26 milliards d'euros de déficit en plus.

La tentation du gouvernement est aujourd'hui de négocier avec Bruxelles afin d'arriver à sortir du déficit comptabilisé par Bruxelles un maximum de dépenses. Sous le précédent quinquennat, les investissements dits d'avenir avaient déjà été sortis et le gouvernement actuel en profite encore en 2014 en sortant du déficit Maastrichtien environ 12 milliards de programmes d'investissements d'avenir. Lors de son allocution télévisée du 31 mars dernier, le président François Hollande a semblé vouloir tester l'éventualité d'un assouplissement des règles : « Le gouvernement aura aussi à convaincre l'Europe que cette contribution de la France à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de ses engagements. »

Une phrase qui ressemble à une tentative pour mettre en dehors de la règle budgétaire commune certaines dépenses : d'éducation et de recherche (parce qu'il s'agirait alors de la compétitivité de demain !), de défense (parce que la France participe activement à la sécurité collective de l'UE)… Tentative tuée dans l'œuf par le commissaire aux affaires économiques Olli Rehn le 1er avril qui a rappelé que : « La France a déjà profité, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, de deux reports de calendrier. » Le second l'autorisant à ne revenir sous les 3% de déficit effectif (2,8% même très précisément) qu'à l'horizon 2015 [3]. On sent bien ici que le gouvernement, tout en annonçant haut et fort les 50 milliards d'économies, aurait bien envie de ne pas être obligé de les trouver au rythme convenu… voire de ne pas les trouver du tout. Mais les chiffres parlent d'eux-mêmes : la France est structurellement dans le rouge.

Par rapports interposés, la bataille de chiffres fait rage entre la Commission européenne et la France. Quand on compare dans le tableau les chiffres entre déficits structurel et conjoncturel, on se rend compte que la France cherche à maximiser le déficit conjoncturel en affichant les taux les plus élevés possible, entre 1,5 point de PIB et 1,9 tandis que la Commission donne des chiffres entre 1,2 et 1,7. Soit des écarts allant de 4 à 14 milliards d'euros sur le déficit structurel entre 2012 et 2015 ! Et cela, sachant que l'UE ne croira aux résultats des efforts de la France que si on colle avec les perspectives de baisse du déficit structurel imposé par Bruxelles à la France dans sa décision du 29 mai 2013 (OMT). Le programme de stabilité qui va sortir dans quelques jours va permettre de recalculer l'écart de la trajectoire de nos finances publiques et de montrer que la France est loin de réduire son déficit structurel et encore plus de renouer avec un excédent primaire ou à tout le moins de ne pas dépasser 0,5 point de déficit structurel.

Les dossiers sur la table qui devraient resurgir dans les semaines à venir : remise des conclusions des assises de la fiscalité (volet ménage et volet entreprises), programmation budgétaire pluriannuelle avec le programme de stabilité 2014-2018 transmis à Bruxelles dont en particulier la partie (très détaillée nous dit-on) permettant de préciser l'architecture des 50 milliards d'euros d'économies annoncés par le gouvernement, enfin le rapport définitif Lambert/Malvy qui devrait quant à lui détailler précisément les efforts et les mécanismes institutionnels à mettre en place afin de dégager 10 milliards d'économies sur les budgets des collectivités territoriales.

On le voit, le programme est chargé.

  • Tout d'abord, il faut se prémunir contre ce que Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen appellent le « keynésianisme primitif » [4]. Il s'agit de cette tentation, en période de timide reprise, consistant à chercher à redistribuer tout de suite du pouvoir d'achat par n'importe quel moyen afin d'amorcer la demande et de consolider la reprise. Une illusion, car nos voisins décollent eux-mêmes et vite, et que toute relance par la demande risque de dégrader un peu plus notre solde commercial en dynamisant nos importations (et donc en neutralisant les effets domestiques de la relance espérée).
  • Ensuite, tenons-nous en à la synthèse Cagliari/Alésina explicitée par le gouvernement Ayrault pour le PLF 2013 mais déjà mise en place par le gouvernement Fillon précédent : agir d'abord sur les recettes (effet moins récessif à court terme), puis embrayer sur les dépenses (puisqu'elles permettent un ajustement budgétaire et une reprise de croissance plus pérenne à moyen/long terme). Un peu de constance dans la stratégie à 3 ans renforcerait notre crédibilité envers nos partenaires européens et les marchés (qui veut des taux bas qui durent (5 milliards évités sur les taux) sans se retrouver en compétition avec l'Italie, devrait donner des signaux de stabilité en conséquence).
  • Enfin, plutôt que de nous faire miroiter de fausses baisses d'impôts et de nous refaire le coup très éventé de la « justice sociale », apportons sur le plan fiscal des mesures symboliques qui rapporteront peu en recettes mais beaucoup en confiance (suppression des 75%, remise en place d'un vrai bouclier fiscal, suppression de l'ISF sur les biens entrepreneuriaux non professionnels…) et entrons dans le dur des économies sur les dépenses structurelles. On n'a fait que trop attendre depuis mai 2012…
Comparaison des projections budgétaires France / Commission européenne

Avec 4,3% de déficit en 2013, l'objectif indiqué dans le PLF 2014 de parvenir à un solde effectif de -3,6% semble très difficilement atteignable. L'objectif de 4% mis en avant par la Commission européenne pour 2014 semble raisonnable et sans doute un peu volontariste (puisque sa propre projection se fondait sur un déficit attendu en 2013 de 4,2%). Il apparaît donc que l'effet maximal auquel parviennent les pouvoirs publics compte tenu des révisions successives des hypothèses de croissance, soit d'environ 0,2 point de PIB (ce qui ne préjuge pas de l'effort structurel qui tient compte de l'effort en recettes et en dépenses par rapport au tendanciel des dépenses publiques : par exemple 1,7% pour 2013 en LFR 2013 et 0,9% en 2014). La raison principale en est le patinage des recettes (-0,6 point de PIB environ pour 2013) ce qui implique de reporter l'effort quasi uniquement sur une réduction des dépenses.

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Côté dette publique, les indicateurs sont légèrement meilleurs, avec une dette constatée en 2013 meilleure que celle anticipée par la Commission en mars (93,5% contre 93,9%), mais en augmentation par rapport à la prévision de la loi de finances 2014 (93,4%).

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Faire un effort particulier sur les collectivités territoriales à 10 ou à 18 milliards

L'INSEE le confirme, l'aggravation de l'endettement en 2013 a résulté principalement des collectivités territoriales (+10,1 milliards d'euros), avant celui de l'Etat (+9 milliards) dont une partie provient du soutien de celui-ci (100 milliards de transferts) en direction de ces mêmes collectivités territoriales. Par ailleurs si les dépenses de fonctionnement progressent (+1,9% en 2013), elles sont tirées par la hausse des consommations intermédiaires (+2,2%) mais surtout des rémunérations (+1,7%) dont près de la moitié est due à la hausse des dépenses de personnel des collectivités locales (+3,2%), qui résultent d'une hausse des cotisations employeurs alors même que les traitements et salaires évoluent peu, voire baissent dans la fonction publique d'Etat (-0,6%). Il s'agit d'un signe très fort qui milite pour une baisse décisive des effectifs dans la fonction publique territoriale. En effet, à partir du moment où la hausse des rémunérations versées ne résulte que des cotisations employeurs, la seule marge de manœuvre restant disponible, hors gel du point de fonction publique (déjà mis en œuvre) ou de l'avancement, provient d'une réduction du nombre des personnels. Réduire dans des proportions importantes les effectifs territoriaux devrait permettre de redonner des marges de manœuvre au termes de salaire et de progression de carrière.

Les pouvoirs publics ont annoncé un gel des PSR (prélèvements sur recettes) normés en direction des collectivités territoriales. L'effort devrait être de -1,5 milliard en 2014 puis de -3 milliards en 2015 [5], avec un objectif de 10 milliards d'économies cumulées en année pleine à partir de 2017. Pour rendre effectives ces économies elles ne doivent pas être compensées à due concurrence par les collectivités territoriales, d'autant que l'érosion des bases fiscales nationales jouent également sur la capacité contributive au niveau local. C'est tout l'enjeu des annonces préliminaires faites par la Commission Lambert/Malvy dans son rapport d'étape du 3 mars 2014, avec la volonté partagée par la Fondation iFRAP de stabiliser les dépenses locales en valeur [6].

La dépense locale demeure le principal point de fuite de la dépense totale des administrations publiques. Alors que le nouveau gouvernement entend mettre en place un Pacte de solidarité complémentaire au Pacte de responsabilité, les collectivités territoriales devront se montrer d'autant plus solidaires dans les efforts à réaliser quant à la maîtrise de nos dépenses publiques que les minima sociaux et les dépenses de transferts représentent aujourd'hui le second point de fuite. La solidarité commande de les rationaliser le plus possible mais de les impacter nécessairement à la marge. La charge de la maîtrise de la dépense s'oriente donc désormais sur le bloc local. Souhaitons que le nouveau gouvernement ait le courage de la continuité et de porter à bien cette réforme.

[1] Voir note n°3.

[2] Dans le cadre de la LPFP 2012-2017 (loi de programmation des finances publiques) d'octobre 2012 pour 2013 à 3%, révisé ensuite par le programme de stabilité 2013-2017 au printemps 2013 à 3,7%, réévalué ensuite par le Conseil européen du 29 mai 2013 à 3,9%, puis 4,1% dans le cadre du PLF 2014, 4,2% dans le cadre des prévisions d'hiver de la Commission européenne pour finir avec la note Insee à 4,3%.

[3] Se reporter en particulier à la recommandation du Conseil du 29 mai 2013, SWD(2013) 360 final, ainsi qu'aux documents et recommandations émises spécifiquement à l'endroit de la France dans le cadre de la procédure de déficit excessif, en particulier celui ci. On s'attachera plus particulièrement à la recommandation de la commission du 5 mars 2014 imposant à la France de documenter précisément l'effort structurel permettant de converger vers la trajectoire négociée, ce qui l'oblige à documenter dans le cadre du Pstab 2014-2018 ses 50 milliards d'économies.

[4] On lira avec intérêt l'ouvrage des auteurs, Changer de modèle, Odile Jacob, Paris, avril 2014. p.53.

[5] Voir en particulier notre note Collectivités territoriales : 10 milliards d'économies sans baisse de l'investissement, c'est possible !

[6] La Fondation iFRAP s'est en particulier prononcée très tôt pour la mise en place d'un ONDAL (objectif national de dépense locale), notamment dans son rapport de décembre 2011 relatif à la mise en place d'une RGPP locale, p.16