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Transports sanitaires : une économie de 260 millions par an est possible

Selon les derniers chiffres de la Drees, la consommation de transports sanitaires en ambulatoire s’élève à 6,0 milliards d’euros en 2022. Après une baisse de 6,3 % en 2020 du fait de la crise sanitaire, elle rebondit fortement depuis deux ans : +7,7 % en 2022 après +17,7 % en 2021. 

Dans le détail, la Drees indique que les dépenses de transports sanitaires progressent rapidement entre 2012 et 2022, en moyenne de 4,0 % par an en valeur. De plus, depuis octobre 2018, le coût des transports des patients au sein d’un même établissement ou entre deux établissements a été transféré à la charge de l’établissement prescripteur. Cette modification de financement a réduit le périmètre des dépenses de transports, ce qui laisse envisager que les dépenses de transports sanitaires auraient progressé encore davantage.

Trois facteurs expliquent la hausse des dépenses :

  1. le vieillissement de la population, qui accroît la demande de transports sanitaires ; à cela s’ajoute la concentration géographique de plateaux techniques, le virage ambulatoire, les nécessaires liaisons entre les EHPAD ou les structures de soins de suite et les établissements hospitaliers ;
  2. l’augmentation du nombre d’usagers atteints d’affection de longue durée (ALD), exonérés de ticket modérateur. La prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie n’incite pas les patients en ALD à se reporter vers d’autres modes de transports moins coûteux pour l’Assurance maladie,
  3. un report du transport par VSL au profit des taxis, dont les tarifs sont en moyenne plus élevés.

L’Assurance maladie a indiqué depuis la sortie de la crise sanitaire sa volonté de réduire les dépenses de transports sanitaires par des mesures d’efficience en développant notamment le transport partagé dont le tarif est revalorisé et en intégrant pour les patients sans contre-indication médicale et qui refusent un transport partagé un possible refus du Tiers payant (sur le modèle tiers payant contre génériques pour les médicaments).

Dans un rapport de 2016, l’IGAS soulignait une banalisation de l’acte de prescription de transports sanitaires, trop souvent considéré comme un « simple bon de transport » et rappelait la nécessité d’en réaffirmer le caractère médical. La mission avait souligné également le déficit de régulation du fait d’un pilotage éclaté, entre CPAM et ARS, entre les transports sanitaires (VSL et ambulances) et les taxis, qui relèvent de régimes différents. L’IGAS soulignait également la nécessité de lutter contre la fraude et plus largement de mieux surveiller que le remboursement s’appuie sur des prescriptions médicales clairement établies en identifiant notamment le médecin prescripteur. L’IGAS soulignait enfin que le coût moyen par habitant des dépenses de transport de patients pris en charge par l’assurance maladie variait de manière importante entre département dans un rapport de 1 à 3, avec des dépenses plus élevées dans des départements ruraux.

Les dépenses de transports sanitaires sont prises en charge par l’Assurance maladie à plus de 90 %

En 2022, la Sécurité Sociale finance 93,3 % de la dépense de transports sanitaires. Cette prise en charge s’explique par la part importante des transports de patients en ALD, exonérés du ticket modérateur. En 2020, les patients en ALD représentaient 80 % de la dépense de transports sanitaires. La Cour estimait de son côté ce pourcentage à 90%.

En 2022, les organismes complémentaires représentaient 3,1 % de la prise en charge et le reste à charge des ménages s’établit à 3,3 % de la dépense, soit 197 millions d’euros. 

Selon la Cour des comptes, ce niveau de prise en charge par la Sécurité sociale est très supérieur à celui des médicaments (72,7 %), des soins de ville (65,1 %) et des soins, prestations et biens médicaux pris dans leur ensemble (77,8 %). De ce fait, les transports de malades représentent une part très réduite du total des dépenses restant à la charge finale des ménages, après intervention des couvertures complémentaires santé.

Comparaison internationale

Les chiffres de l’OCDE cités par un rapport de l’Assemblée nationale sur le transport sanitaire montrent qu’avec une dépense moyenne de transport sanitaire de 80 dollars par habitant et en parité de pouvoir d’achat, la France occupe une position médiane. Mais, une étude de la Cnam de 2017 portant sur l’organisation du transport sanitaire non urgent en Australie (État de Victoria), en Allemagne (Land de Basse-Saxe), au Canada (province du Québec), en Espagne (communauté autonome de Catalogne) et en Suède (comté de Scanie) fait ressortir plusieurs singularités françaises :

  • D’abord, la régulation de l’offre est plus complexe en France que dans d’autres pays. 
  • S’agissant du pilotage du transport sanitaire, le cas français est marqué par le pilotage national, là où d’autres pays favorisent l’échelon territorial. 
  • Ensuite, les conditions de prise en charge des frais de transport sont moins contraignantes en France qu’à l’étranger. D’une part, la condition de prescription médicale du transport est appréciée plus strictement à l’étranger qu’en France. D’autre part, les motifs de transport donnant lieu à une prise en charge sont plus nombreux en France qu’à l’étranger.

De son côté, la Cour des comptes dresse le comparatif suivant :

Les principaux constats de la Cour des comptes

  • Plus de 90 % des dépenses bénéficient à des patients en affection de longue durée (ALD) pour lesquels l’assurance maladie prend en charge le ticket modérateur de 35 % sur les dépenses présentées à son remboursement au titre de la pathologie exonérante. Cette concentration sur les ALD concourt à expliquer le niveau très élevé de la part des dépenses de transport prises en charge par l’assurance maladie.
  • Les établissements de santé sont à l’origine de près des deux tiers des dépenses de transport (64,1 % tous régimes d’assurance maladie confondus en 2018, en légère augmentation depuis le début de la décennie). De fait, une part prépondérante des dépenses correspond à des trajets domicile - établissement, au titre principalement de séances ou de soins liés à des rendez-vous périodiques.
  • En 2016, quatre grandes familles de pathologies étaient ainsi à l’origine de plus de 2,2 Md€ de dépenses : les cancers (0,8 Md€), l’insuffisance rénale chronique terminale (0,6 Md€ au titre des séances de dialyse), les maladies cardio-neurovasculaires (0,4 Md€) et les maladies psychiatriques (0,4 Md€). 
  • La structure des trajets se déforme dans un sens favorable aux modes de transport les plus onéreux. De 16 % en 1995, la part des taxis conventionnés est passée à 40 % des dépenses en 2017 et même 44% en 2022 ; celle des ambulances de 31 % à 39 % pour retomber à 34% en 2022. Dans le même temps, la part des VSL a régressé de 46 % à 18 % et même 14% aujourd’hui. Or, le coût moyen d’un trajet atteignait 97 € pour l’ambulance, 51 € pour le taxi et 33 € pour le VSL en 2016. Par contraste, le recours au véhicule personnel donnant lieu à un remboursement par l’assurance maladie a un caractère marginal.
  • La densité et la structure par âge de la population sont bien corrélés à la demande de transport. Ainsi, les 10 départements qui présentent la dépense moyenne par habitant la plus élevée sont souvent des départements ruraux à la population vieillissante. 
  • Pour la Cour, le caractère faiblement médicalisé de la prescription de transports, peu liée aux seules notions d’incapacité ou de déficience des patients, expliquent que ces éléments ont une portée limitée pour approcher les causes de l’hétérogénéité des dépenses sur le plan territorial. 
  • En revanche, une corrélation significative apparaît entre le recours aux transports de malades et le niveau de prise en charge de la dépense correspondante par l’assurance maladie. C’est le cas pour les patients en ALD, exonérés du ticket modérateur et pour les bénéficiaires de la CMU-C, exonérés du ticket modérateur et de la franchise de deux euros par trajet (quatre euros pour un aller-retour). On peut y voir un lien avec des caractéristiques de ces assurés sociaux : état de santé dégradé, disposition moindre d’un véhicule personnel, habitat plus éloigné des pôles urbains. On peut aussi se demander si la quasi-gratuité des transports de malades ne constitue pas en elle-même un facteur de dépense[1].

Surtout, la Cour pointe les nombreux motifs de prise en charge qui se combinent à des situations d’exonérations de ticket modérateur :

  • Il existe onze motifs de prise en charge par l’assurance maladie des frais de transport sanitaire :
  • Une franchise médicale de 2 euros par transport, récemment portée à 4 € s’applique également. Cinq cas d’exonération de cette franchise existent toutefois :
  1. les transports des ayants droit mineurs des assurés sociaux ;
  2. les transports des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire ou de l’aide médicale de l’État et des soins urgents ;
  3. les transports des personnes titulaires d’une pension d’invalidité, d’une pension militaire, d’une pension vieillesse substituée à une pension d’invalidité, d’une pension de veuf ou de veuve invalide, d’une rente pour un accident du travail ou une maladie professionnelle avec un taux d’incapacité supérieur à 66,66 % ;
  4. les transports des femmes enceintes à partir du sixième mois de grossesse et jusqu’à douze jours après la date d’accouchement ;
  5. les transports des victimes d’acte de terrorisme pour les soins en lien.

Il faut donc souligner l’extrême diversité de situations pouvant conduire à la prise en charge des frais de transport sanitaire. La Cour des comptes a comptabilisé « pas moins de 140 situations possibles » en la matière, par « combinaison des motifs de prise en charge, d’exonération du ticket modérateur et d’exonération de la franchise » et qualifie certaines de ces situations « d’incohérentes ». 

A cela s’ajoute, toujours selon la Cour, des actions peu efficaces en direction des médecins et des établissements de santé pour réduire la prescription de transports, un principe peu respecté de prescription médicale préalable et des manquements des transporteurs à leurs obligations.

La fixation des tarifs paraît constituer un outil fort de régulation. Mais elle est éclatée entre les transporteurs sanitaires (ambulances et VSL) et les taxis, entre le niveau national et départemental, et n’a qu’une portée limitée. 

Les pistes d’économies

  • Depuis deux ans, l’Assurance maladie déclare s’être engagée dans la recherche d’économies en développant le transport partagé :

Dans son dernier rapport Charges et Produits, l’Assurance maladie indique  que, si la promotion du transport partagé a été mise en suspens durant la crise, il s’agit, à compter de 2024, d’en faire une réelle priorité opérationnelle. En 2022, le transport partagé a généré un abattement total sur les dépenses remboursables de 33,9 millions d’euros, soit 3,6 % du total des dépenses remboursables. La montée en charge des transports partagés de 15 % des trajets facturés en 2022 à 55 % pourrait ainsi permettre de générer près de 92 millions d’euros d’économies, dont 50 millions d’euros pour l’Assurance Maladie après partage des économies avec les entreprises de transports sanitaires.

L’avenant à la convention nationale des transporteurs sanitaires privés, signé le 22 décembre 2020, avait déjà pour ambition de doubler la part de transport partagé, en atteignant 30 % des dépenses remboursables. L’avenant 11, négocié le 13 avril 2023, prévoit la poursuite des travaux sur les plateformes de commande pour organiser le transport partagé, ainsi qu’un nouveau dispositif d’incitation financière pour encourager le transport partagé. En effet, des revalorisations tarifaires prévues en janvier 2025 seront conditionnées à la réalisation de 50 millions d’euros d’économies générées par le transport partagé en 2024.

  • Revoir les motifs de prise en charge

Pour l’économiste de la santé, Frédéric Bizard, le transport partagé est peu applicable en l'état et il recommande de revoir le choix des indications éligibles au remboursement par la Sécurité sociale. Soulignant que, si le Parlement décide chaque année du montant du budget de la santé, aucune institution n'est prévue pour remettre à jour le panier des biens et services remboursés par la Sécurité sociale, il suggère de confier cette mission à une structure ad hoc de la démocratie sanitaire et sociale, comme en Allemagne, sur la base d'objectifs et d'un cahier des charges fixés par l'Etat. Dans le cas des transports sanitaires, cela se traduirait par une restriction significative des indications éligibles à la sécu, pour les restreindre aux besoins justifiés médicalement. Et il rappelle que les mutuelles, dont la part actuelle de remboursement de 3 % des dépenses, pourraient prendre en charge au premier euro des prestations non remboursées par la Sécurité sociale.

  • Déplafonner la franchise médicale sur les transports en ALD

Une piste a été évoquée dans la revue de dépenses réalisée en 2016, et confiée à l’IGAS. Cette piste consiste à revoir les conditions d’exonérations de ticket modérateur ou de plafonnement des franchises liées aux transports sanitaires. Cette piste a été écartée à l’époque par les rédacteurs au motif que cela impacterait trop fortement les populations les plus exposées.

Estimation du potentiel d’économies : en 2020, la dépense de transports sanitaires a représenté 4,7 milliards € pour 61 millions de trajets. Pour 2022, compte tenu de l’évolution des tarifs, on peut estimer que les 6Mds€ d’euros de dépenses représentent entre 70 et 75 millions de trajets.

Si on considère que ces trajets concernent à 80%-90% des transports de personnes en ALD, cela veut dire que 67 millions de trajets sont des trajets d’ALD exonérés de ticket modérateur mais soumis à une franchise de 4 euros, elle-même plafonné à 50 € par patient. Sans aucun plafonnement, la franchise devrait représenter une économie pour l’Assurance Maladie de 260 M€.


[1] Dans une communication à la commission des finances du Sénat sur le Fonds de financement de la CMU-C (mai 2015), la Cour avait relevé que la consommation de transports de malades par les bénéficiaires de la CMU-C était supérieure en 2013 de 162 % à la consommation moyenne d’un assuré social. Cet écart ne pouvait être expliqué par la seule incidence des différences d’âge, de sexe et d’état de santé des titulaires de la CMU-C par rapport aux autres assurés du régime général.