Le mirage de la semaine "en quatre jours" dans la fonction publique territoriale
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Le SNDGCT (syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales) vient de rendre publique une note de réflexion relative à « la semaine en 4 jours ». Il ne s’agit pas de proposer une « énième » réduction du temps de travail, mais plutôt de proposer comme un levier d’attractivité en l’absence d’évolution salariale significative (gel du point de fonction publique, suppression de la GIPA), la possibilité de proposer aux agents de regrouper leur durée hebdomadaire de travail (1.607 heure annualisée) sur seulement 4 jours, sur la base du volontariat. Un point positif serait de limiter le recours aux temps partiels… mais un point négatif substantiel serait de complexifier la gestion collective des personnels et de défavoriser les foyers monoparentaux… bref, il y a un risque qu’au nom de la « continuité du service public » cette démarche ne provoque une hausse des effectifs pour assurer les mêmes missions.
Le constat du développement du recours à la semaine de 4 jours dans le privé comme dans le public, mais à titre de « niche » :
Comme le relève un récent rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale[1], « Selon les informations transmises par la direction du travail (DGT) au printemps dernier, 147 accords d’entreprise traitent de la question étaient recensés dans la base de données du ministère entre 2017 et le 1er mai 2024 ». Par ailleurs 30 ont été déposés en 2022 et 71 en 2023, 35 sur les 4 premiers mois de l’année en cours. Ces chiffres sont même en deçà de la réalité, car le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) faisait le constat de 154 accords conclus durant la seule année 2023. Cependant, le nombre d’entreprises concernées est très faible, soit 5% selon le cabinet ADP.
Cependant une étude du Crédoc[2] (2024) vient de montrer que cette organisation du travail sur 4 jours concernait 11% des actifs en France, « recouvrant, pour les trois quarts d’entre eux, le mode d’organisation de leur secteur d’activité ou de leur structure ou, pour un quart d’entre eux, les temps partiels choisis ou subis. »
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Champ : ensemble des actifs occupés
Dans le secteur public, en 2023, selon une consultation « Fonction publique + » organisée par le ministère de la Transformation et de la Fonction publique en 2023, 72,6% des agents ont indiqué être intéressés par un réaménagement de leur temps de travail[3]. Dans cette enquête, commandée à l’époque par le ministre Stanislas Guérini[4], les agents de la FPE étaient les plus demandeurs avec 75,6% contre 70,8% dans la FPT et 73,5% dans la FPH, sachant que ceux dont le temps de travail a été le plus réaménagé sont précisément les agents de la FPT (notamment dans le cadre du respect strict des 1.607 heures) à 29,2% contre 14,2% dans la FPE et 20,4% dans la FPH.
S’agissant spécifiquement des collectivités territoriales, et du déploiement de la semaine en 4 jours, selon le baromètre RH de Randstad[5] (édition 2024), 12% des collectivités avaient lancé une expérimentation, 9% l’envisageaient en 2024 et 17% y réfléchissaient, soit des augmentations de +3, +1 et +3pts respectivement.
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Comme le relève la note de réflexion du CNDGCT ces chiffres sont « en augmentation par rapport à 2023, montrant à la fois le développement des expérimentations en collectivités locales, mais aussi leur caractère encore limité et expérimental, 61% des collectivités locales ne l’envisageant pas. »
Les points positifs de ces initiatives de la part des agents et employeurs publics :
Du point de vue des employeurs publics, la semaine de 4 jours a pour but de « favoriser leur attractivité (76%), loin devant la fidélisation des agents (54%) ou pour proposer une alternative aux emplois non télétravaillables (50%) » selon le dernier sondage de Randstad. À cette approche répond celle des employés pour lesquels d’après le CREDOC changer de rythme de travail leur permettrait de « pouvoir dégager du temps pour les occupations personnelles » à 51%, « pour avoir un meilleur équilibre de vie » (43%) et « une meilleure santé physique et mentale » (26%), mais aussi « moins de transports » (18%).
Suivant cette optique, les collectivités territoriales qui pratiqueraient la semaine en 4 jours auraient un avantage comparatif lors du recrutement, notamment s’agissant des métiers en forte tension, où le signal prix ne peut pas nécessairement être constitué par le salaire (comparativement au secteur privé), mais aussi dans les métiers ayant un déficit d’attractivité. Comme le relève du CNDGCT « les jeunes générations ainsi que les femmes semblent plus sensibles à la maîtrise du temps de travail et son organisation pour répondre à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et l’offre d’une semaine de travail en 4 jours est une réponse à leurs attentes. »
Il peut s’agir également d’un moyen de fidéliser les agents, parce que cet avantage permettrait de réduire le turnover, mais aussi « les temps et les coûts associés au recrutement et à la formation ». La modularité du temps de travail et la possibilité de la contracter en 4 jours, permettrait de dégager un jour de repos supplémentaire ce qui là encore accorderait un avantage comparatif pour les collectivités le pratiquant et aux agents une forme de « prime de temps libre ».
Les employeurs publics évoquent également une mesure permettant une amélioration des conditions de travail, permettant « de réduire le stress lié au travail par un nombre de jours de repos plus importants, des trajets domicile-travail moins nombreux… la recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (…) » pouvant conduire à « une plus grande satisfaction et un engagement plus important des agents. »
…Mais des points récurrents négatifs qui doivent écarter toute généralisation :
Cependant, le déploiement d’une semaine de travail en 4 jours (35 heures en 4 jours) recèle beaucoup de contraintes cachées et pas seulement opérationnelles pour les employeurs publics :
Tout d’abord cela demande aux collectivités intéressées d’amples réformes et innovations organisationnelles. En effet cette modulation du temps de travail se heurte à la réalité des métiers occupés par les agents publics qui imposent une approche au cas par cas : « Un certain nombre de collectivités limitent la mise en place de la semaine en 4 jours à un service, une équipe, ou plusieurs équipes selon la nature des métiers. Certaines professions, comme la police municipale, les services de propreté, d’accueil (État civil, CNI/passeport, petite enfance…) nécessitent une continuité du service. » Par ailleurs la taille de la collectivité peut jouer dans la mesure où cette adaptation de la répartition du temps de travail « peut être plus facile à gérer dans des équipes de grande taille ou la rotation des agents permet de maintenir cette continuité », sauf à réduire l’offre de service.
Ensuite, se pose la question de la continuité du service public[6], qui peut se décliner selon deux versants internes et externes : d’un point de vue interne, la semaine en 4 jours a un impact sur les collectifs de travail que ce soit pour garantir des temps communs de réunions ou le remplacement d’absences imprévues (arrêts maladie et autres…). Il y a donc des vulnérabilités managériales certaines à ce titre. D’un point de vue externe, on l’a déjà vu plus haut, certains emplois au contact du public ou de la population ne peuvent pas faire l’objet d’un quelconque morcellement, sauf à réduire l’offre de service, ce qui n’est pas possible pour un certain nombre de tâches. Par ailleurs, même pour les autres postes, des contraintes spécifiques peuvent apparaître afin de mettre en œuvre ce principe de continuité qu’il s’agit de la mise en place de jours de présence physique obligatoire ; d’un 3e jour de repos imposé et variable pour permettre la rotation des équipes, ou de la perte de tout ou partie du télétravail. À ce titre on relève par exemple que « certaines collectivités souhaitent limiter la semaine de 4 jours aux agents sur des postes non télétravaillable » afin de réduire leurs déplacements, ce qui relève plutôt de l’équité entre les agents suivant une sorte d’équilibre des sujétions, tandis que « d’autres collectivités ont décidé de réduire le nombre de jours télétravaillables (de 2 à 1 par exemple) » quand d’autres encore ont imposé aux personnels bénéficiaires « une règle de 3 jours au moins de présence effective sur site. »
Enfin, le déploiement de la semaine en 4 jours doit être expertisé, ce qui impose une démarche expérimentale : il s’agit là encore d’un autre point de contrainte, car il faut bien soupeser pour l’employeur public les coûts et les bénéfices d’accorder de telles mesures à certains de leurs agents. Il faut tout d’abord disposer d’une cartographie du temps de travail existant, car on a pu constater par le passé des écarts entre le temps réellement effectué et la règle appliquée. C’est par exemple que certaines communes l’ont pratiqué à la faveur « de la mise en œuvre des 1607 heures » (c’est-à-dire depuis la loi de transformation de la fonction publique de 2019[7]). Pour cela l’expérimentation doit définir des indicateurs quantitatifs (respect des objectifs fixés, taux d’absentéisme…) et qualitatifs (bien-être au travail ; équilibre vie personnelle/professionnelle, relations avec les autres services en termes de réponses apportées, continuité du service…) pour évaluation avant pérennisation de la démarche…
Du côté des employés également, les contraintes imposées ne sont ni neutres ni invisibles :
La semaine en 4 jours peut au contraire perturber l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle, lorsque celle-ci impose des horaires plus longs rendant plus difficile le dépôt et la récupération des enfants à l’école, les activités périscolaires, etc… Elle peut impacter plus spécifiquement les familles monoparentales et tout particulièrement les femmes.
Des journées de travail plus longues et intenses puisqu’il ne s’agit surtout pas de réduire le nombre d’heures travaillées, peuvent « accroître la charge mentale et compliquer la conciliation vie/travail » surtout si les charges ménagères sont in fine reportées sur le jour de repos gagné. Il peut il y avoir tout particulièrement une incidence de ces rythmes plus soutenus sur la santé au travail, pour une population de fonctionnaires territoriaux vieillissante.
Le risque de coûts cachés :
Il existe enfin des risques de coûts cachés pour les employeurs publics, et significativement les collectivités territoriales, au moins à deux niveaux :
Une réduction du temps partiel, ce qui conduirait à un effet inflationniste sur les dépenses de masse salariale à effectif constant ; au moins tendanciellement (et nous n'en avons même pas assez par rapport à l'Allemagne par exemple).
Un effet induit d’organisation, aboutissant pour garantir la continuité du service public sans dégradation de sa qualité de procéder à des augmentations d’effectifs (impact sur les schémas d’emplois, ce qui complexifie le pilotage de la masse salariale.
Ces deux derniers éléments ne sont bien entendu qu’imparfaitement retracés dans la note du CNDGCT, mais ils doivent être pris très au sérieux par les employeurs publics locaux.
Le temps partiel, non complet ou incomplet, dans la FPT, représente près de 24,6 % de l’emploi physique total, soit hors contrats aidés près de 477.461 personnes.
Rappelons aussi que hors contrats aidés en ETPT, l’emploi est quasiment stable, mais qu’il continue d’augmenter de 0,5% hors contrats aidés dans la FPT entre 2021 et 2022. Par ailleurs, on relèvera que l’écart entre les emplois physiques et les ETPT (emplois virtuels à temps plus travaillé au cours de l’année) s’élève à près de 77.200 hors emplois aidés en 2022 (4%).
Ces écarts montrent en quelque sorte la marge de risque maximal que pourrait comporter une généralisation de la semaine de 4 jours avec maintien intégral de la continuité et de la qualité du service public, pour les employeurs territoriaux.
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Un risque d’autant plus réel que la FPT est aujourd’hui en pleine transition démographique et qu’elle se traduit par un turnover important des personnels, ce qui incite pour des raisons d’attractivité à proposer ces nouveaux modes d’organisation du temps de travail aux nouveaux entrants. Pour mémoire, la FPT présente une 2022, le turnover le plus important des trois versants de la fonction publique, avec 210.800 entrées pour 209.700 sorties.
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Conclusion : la semaine de 4 jours, un gadget managérial à manier avec prudence :
Il est faux de penser que la semaine de 4 jours est plébiscitée par les agents publics eux-mêmes, les derniers sondages disponibles interrogeant les bénéficiaires potentiels sur un réaménagement de leur temps de travail. Par ailleurs, les employeurs publics restent prudents et à raison sur cette expérimentation à cause des risques managériaux internes et de continuité du service public, mais aussi du risque de disparité avec les agents dont le temps de travail n’est pas réaménageable par définition. Par ailleurs nous soulignons également le caractère inflationniste de la systématisation de la pratique en termes d’effectifs (continuité) et de résorption des temps partiels (augmentation des coûts salariaux moyens à effectifs constants). Un ensemble de raisons explicites ou implicites qui devrait militer pour limiter au maximum ce type de pratique et interdit toute généralisation même comme alternative à une augmentation des salaires. Seules des primes de « fusion » découlant de la réversion d’économies sur la masse salariale publique et l’augmentation du temps de travail bien au-delà des 1.607 heures devraient devenir des éléments dynamiques d’évolution des salaires individuels (hors progression de carrière et primes de productivité et de présentéisme[10]) pour les employeurs locaux.
[1] R. Gernigon, S. Viry, en conclusion des travaux de la mission d’information sur la semaine de 4 jours, rapport n°460 du 16 octobre 2024, 17e législature.
[2] Semaine de 4 jours, horaires flexibles : des formules qui séduisent, mais dont les avantages pour l’ensemble des salariés restent à démontrer, étude réalisée pour la Fondation The ADECCO Group par le Crédoc, avril 2024.
[3] Consultation en fonction publique + sur les conditions de travail des agents, décembre 2023.
[4] https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/actualites/synthese-des-resultats-quantitatifs-de-la-consultation-fp%2B_13_11_2023.pdf#page=39
[5] https://www.intercommunalites.fr/app/uploads/2024/09/15e-Barometre-RH-des-collectivites-locales-2024.pdf#page=16
[6] Ainsi d’ailleurs qu’avec les autres lois dites de « Rolland » relatives aux autres principes fondamentaux du service public : mutabilité du service public et égalité des usagers devant le service public.
[7] https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/respect-des-35-heures-dans-la-fonction-publique-territoriale-en-est-toujours-loin
[8 INSEE, l’emploi dans la fonction publique en 2022, INSEE Premier n°2003, juillet 2024.
[9] INSEE, l’emploi dans la fonction publique en 2022, INSEE Premier n°2003, juillet 2024.
[10] Ces deux compartiments étaient en projets sous les ministères Guérini puis Kasbarian, mais n’ont pas encore eu de traduction concrète à la date de rédaction de cette note.