Assurance-maladie : 628 millions d'euros de fraudes détectées...sur 4 milliards de fraudes estimées

La CNAM vient de rendre publiques sur son site Ameli, les dernières statistiques de lutte contre les fraudes à l’assurance maladie. Les montants ressortent en vive hausse à 628 millions d’euros de fraudes détectées (et/ou stoppées) en 2024, soit +35% par rapport à 2023. On est cependant encore loin du montant de la fraude estimée à l'Assurance maladie qui est évaluée par la Cour des comptes à 4 milliards d'euros environ.
Une augmentation d’abord due aux fraudes stoppées/évitées, qui représentent désormais 42% du total des fraudes détectées (+6 points) avec des montants en augmentation de +55% sur 1 an. Le montant des fraudes détectées dépasse ainsi l’objectif fixé par la COG de 128 millions, mais reste encore inférieur à celui assigné en juin 2024 par le Gouvernement Attal sortant fixé à 800 millions d’euros. La CNAM poursuit la professionnalisation de sa lutte contre la fraude sociale, avec la judiciarisation de ses poursuites (pôles d’enquêteurs spécialisés), l’augmentation de 10% depuis 2023 de ses effectifs de contrôle et le déploiement de nouveaux outils technologiques afin de sécuriser les échanges avec les professionnels de santé et améliorer les signalements.
Une fraude détectée (et/ou stoppée) de 628 M€ en 2024, portée d’abord par la fraude évitée :
La fraude détectée (et/ou stoppée) par l’Assurance maladie est en augmentation significative de 35% par rapport à son niveau de 2023 (628 M€ en 2024 contre 466,6 M€ en 2023). Cette bonne tenue est d’abord le résultat d’une croissance importante des fraudes stoppées/évitées aboutissant à des non-décaissements pour la CNAF. Sur ce champ, les fraudes détectées et sécurisées sont estimées à 263 M€ soit une hausse de 55% par rapport à 2023 (170 M€).

Ces résultats sont supérieurs en niveau aux objectifs imposés par les pouvoirs publics à l’Assurance-maladie dans le cadre de sa COG (convention d’objectifs et de gestion). Ils sont en revanche inférieurs à ceux annoncés par le Premier ministre Gabriel Attal au printemps 2024, soit 800 millions d’euros/an[3].
Par ailleurs cette bonne performance est avant tout tirée par une croissance plus soutenue que l’année précédente en matière de fraudes des établissements de santé (+4,3 pts) et des employeurs (+0,2 pt) par rapport à l’année précédente. Contrairement à la communication de la CNAM, si les professionnels de santé en ville (68% du montant des fraudes) et les assurés (18% des fraudes) sont les plus importants fraudeurs, leurs contributions se réduisent de -2,7 points et de -1,5 point respectivement.

Fraude des assurés, focus sur la lutte contre les arrêts de travail :
La Fraude des assurés détectée représente en 2024 près de 109 milliards d’euros[4], en augmentation de 18 milliards d’euros, soit 19,7% par rapport à 2023, bien que sa contribution à l’ensemble des fraudes détectées se replie de 1,5 point passant de 19,5% du total des fraudes détectées en 2023 à 18% de celles de 2024.
Sur ce montant les contrôles ciblés relatifs aux arrêts de travail représentent 42 milliards d’euros, soit 38,5% des fraudes des assurés en 2024, en hausse de 19,3 points par rapport à 2023.

Ces montants détectés en hausse de 140% par rapport à l’année 2023 se caractérisent par une explosion des faux arrêts de travail (+275%) représentant 30 milliards d’euros, fraudes qui ont été stoppées à hauteur de 60%, soit 18 Md€. Par ailleurs des contrôles approfondis ont permis de détecter pour 11 milliards de fraudes supplémentaires. Ces contrôles sont « lié(s) à l’exercice d’une activité non autorisée par le médecin pendant la période. »
Décomposition de la fraude des professionnels de santé en ville +29,3% en 2024 :
S’agissant de la fraude des professionnels de santé en ville, elle est détectée à hauteur de 427 millions d’euros pour 2024 en hausse de 29,3% par rapport à 2023 (330,2 M€). La CNAF en offre par ailleurs une décomposition pour les principales professions concernées que nous présentons sur 3 ans :

Tout d’abord on relèvera que l’échantillon décomposé baisse dans le total des fraudes détectées des professionnels, pour n’en présenter plus que 93% soit -4,6 points par rapport à 2022 (-1,3 point par rapport à 2023). Cet échantillon est par ailleurs marqué par une explosion de la fraude des audioprothésistes[5] soit +448% en un an avec 115 M€ de fraudes détectées. Sur ce montant, 76,5% de la fraude a été évitée (soit 88 M€)[6]. L’Assurance maladie a agi en systématisant la télétransmission de la carte vitale (avenant 1 de leur convention), en renforçant le contrôle des demandes de conventionnement, en appelant directement les assurés pour s’enquérir de la réalité des prestations effectuées. 55.000 factures ont été contrôlées de façon approfondie et 20.000 factures ont été rejetées sécurisant à elles seules près de 31 M€ de remboursements évités. Près de 500 procédures contentieuses ont été initiées (pénalités financières, plaintes pénales et signalement au procureur).
On remarquera symétriquement une baisse des montants de fraudes détectées dans les centres de santé (-33%), avec 39 M€ en 2024 contre 58 M€ en 2023. Afin de limiter la possibilité de facturer des actes médicaux non réalisés l’Assurance maladie a poursuivi sa stratégie initiée en 2021 consistants à contrôle simultanément tous les centres affiliés à un même réseau au moyen d’une task force dédiée à l’échelle nationale. Cela a permis de mettre en place des déconventionnements massifs au niveau de chaque réseau.
S’agissant des autres professionnels de santé, les fraudes commises par les infirmiers (libéraux) sont en hausse de 12% (56 M€) et sont liées « principalement à la facturation d’actes non réalisés, de falsification d’ordonnances ou encore de double facturation », à cela s’ajoutent « les surfacturations kilométriques » pour les transporteurs dont les fraudes détectées sont en hausse de 24% en 2024 par rapport à 2023.
Une fraude des établissements de santé qui augmente de +4,3 points, soit +18 M€ :
Les établissements de soins et médico-sociaux ont vu un développement de leurs contrôles aboutissant à des résultats importants en termes de lutte contre la fraude aux prestations. Les résultats montrent la pratique de doubles facturations notamment parce que certains soins sont à la fois inclus dans les dotations versées aux EPHAD, HAD (hospitalisation à domicile) et SAD (soins à domicile) puis refacturés séparément sous la nomenclature de soins de ville. Le préjudice financier atteint pour l’assurance-maladie 63 millions d’euros, contre 36 M€ 2023 d’après le rapport de la CNAM ce qui ne semble pas en adéquation avec les sommes estimées l’année précédente 45,1 M€ en 2023 (alors que le total des fraudes détectées n’a pas changé).
Des poursuites contentieuses qui explosent (+91,3% en 2024) :
Afin d’augmenter le taux de recouvrement des créances sociales ainsi que de dissuader et de sanctionner les fraudeurs, l’Assurance-maladie a révisé sa stratégie pénale définie à la mi-2023 se qui s’est concrétisé par une augmentation des poursuites contentieuses de +91,3% en 2024 avec près de 20.000 actions contentieuses, après une augmentation de seulement 20% entre 2023 et 2022.

À ce titre, le nombre des pénalités financières a explosé (+109,4%) (tout comme leur montant, 50 M€ en 2024 soit +100%) tout comme celui des poursuites pénales (+114,2%), en lien avec la mise en place de pôles spécialisés dotés de prérogatives judiciaires.
Renforcement de la judiciarisation de la lutte contre la fraude santé
Les services de l’Assurance-maladie disposent de 1.600 agents pour lutter contre la fraude en 2025, soit une augmentation de +100 agents par rapport à 2024 (+6,6%), une croissance soutenue lorsque l’on pense que les effectifs ont déjà crû de +10% en 2024 par rapport à 2023. Parmi eux, six pôles interrégionaux d’enquêteurs judiciaires (Piej) ont été créés afin de mener des investigations sous pseudo sur internet[7]. Par ailleurs a été également créée une unité de contrôle et d’investigations des fraudes émergentes (UCIFE) dotée d’un effectif de 60 agents agréés et assermentés disposant de « pouvoirs de police judiciaire, dont des pouvoirs de cyberenquête. » Elle est composée de statisticiens, de managers expérimentés ainsi que de 30 agents issus des forces de police et de gendarmerie. Ils peuvent ainsi infiltrer et démanteler les réseaux criminels qui se spécialisent sur la fraude aux prestations santé. Ils se concentrent sur les fraudes « à fort impact », ainsi que sur les réseaux sociaux et le dark web.
Par ailleurs, l’Assurance maladie s’est dotée de moyens de sécurisation et de dématérialisation qui devraient « une fois rendus obligatoires », limiter la fraude documentaire. Elle veut notamment améliorer le signalement afin de renforcer les contrôles. Ainsi le dispositif « Asafo-Pharma » permet de lutter contre les fausses ordonnances (13,4 millions de fraudes stoppées en 2024), avec possibilité pour les pharmaciens de les signaler et de rechercher des signalements par numéro de la Sécurité sociale (7300 ordonnances en 2024 ont été ainsi signalées dont les ¾ se sont révélées fausses). Idem pour la traque aux faux arrêts de travail. 80% des arrêts de travail sont désormais électroniques et télétransmis par le médecin à l’Assurance maladie. Afin de sécuriser les 20% restants, un Cerfa sécurisé avec étiquette holographique non photocopiable a été diffusé depuis le début de l’année.
La CNAM veut aller plus loin avec signalement systématique aux assurés par mail des paiements effectués à leur nom en vertu du tiers payant. Une façon de sécuriser encore mieux les flux de remboursement et de permettre à tout à chacun de signaler d’éventuelles inexactitudes. |
Quel encaissement des fraudes détectées et poursuivies en 2024 ?
La CNAM n’a pas encore rendu public le montant des encaissements réalisés, mais on peut déjà présenter une comparaison par rapport aux éléments fournis pour l’année précédente :

Entre recouvrement des préjudices subis, montants des préjudices évités et sanctions administratives, les encaissements en 2023 ont atteint 395 M€. Pour 2024 sur les deux derniers items, ils atteignent déjà 313 millions, soit d’ores et déjà 79,2% des sommes encaissées ou non décaissées de l’année précédente. Il faudra attendre le rapport de la Cour des comptes sur les comptes de la Sécurité sociale en mai 2025 pour en avoir une vision plus complète.
Conclusion :
La lutte contre la fraude sociale aux cotisations menée par l’Assurance-maladie s’intensifie et apporte des résultats concrets même si les montants détectés et stoppés sont encore loin de parvenir à l’objectif assigné de 800 millions d’euros/an. Plusieurs questions restent cependant en suspens :
La judiciarisation de la lutte anti-fraude à l’assurance maladie s’accompagnera-t-elle de « protocoles » permettant de mettre en relation l’UCIFE avec ses homologues de Bercy (SEJF et BNRD) afin de partager leurs informations croisées.
L’implication progressive des assurés devrait pouvoir déboucher sur la mise en place d’une hotline sécurisée permettant la remontée d’information sensible dont ils seraient les observateurs ;
L'adossement de la carte vitale à la carte d'identité numérique via France identité devrait également limiter les usurpations d'identités et les fraudes associées. Elle est effective depuis le 18 mars 2025.
Le rapport est assez peu disert sur la mise en place de moyens d’intelligence artificielle sans doute nécessaire pour traquer les doubles facturations ou les actes fantômes notamment s’agissant des établissements de santé et des transports sanitaires. Une présélection des incohérences les plus sensibles sur base industrialisée pourrait sans doute encore renforcer les résultats avenir/voir prévenir leur décaissement.
Enfin il semble important de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations interbranches et en particulier en direction de l’UNEDIC et de la branche famille.
[1]https://www.assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/2025-03-20%20DP%20LCF.pdf
[2] https://ess-argos.fr/wp-content/uploads/2024/04/Communique-Presse-Ameli-2024-03-28-DP-LCF.pdf
[3] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/fraude-sociale-maladie-moins-de-500-millions-deuros-recuperes-sur-4-milliards-deuros-de-fraude-estimee
[4] https://www.leparisien.fr/societe/sante/faux-arrets-de-travail-lassurance-maladie-nacceptera-plus-les-photocopies-non-verifiees-des-juin-21-03-2025-5DGGVHWLCFEVLDXNNRTMF3CXXA.php
[5] https://www.leparisien.fr/faits-divers/fraude-aux-protheses-auditives-comment-un-reseau-descrocs-a-siphonne-pres-de-7-millions-deuros-a-la-secu-20-03-2025-B2ZPZJZIMRHUVI5JECWD2VBKYI.php
[6] Un des effets pervers du « zéro reste à charge » introduit par la réforme dite du 100% Santé.
[7] https://www.leparisien.fr/economie/avec-les-cyber-enqueteurs-de-la-secu-a-la-chasse-aux-millions-de-la-fraude-21-03-2025-MDMQQVR7ZFCIBHYB6HNYSV22PY.php